Versez sur eux et l'injure et l'outrage,
Vous que jamais n'atteindra le remords,
Le destin seul a trahi leur courage,
Nous les aimions et nous pleurons nos morts ;
Ils s'étaient dit : du combat voici l'heure !
Frappons ! frappons l'égoïsme brutal !
L'espoir d'hier, aujourd'hui n'est qu'un leurre,
Et notre lot, la faim et l'hôpital !
Ils nous berçaient de menteuses promesses,
Ces avocats, ces bourgeois alarmés ;
Ils ont fermé leurs coeurs, comme leurs caisses,
Lorsqu'ils ont cru nos bras bien désarmés !
Marchons ! à nous les quais, les ponts, les rues !
A nous Paris, ce colosse énervé :
De toutes parts les foules accourues
Au sol brûlant disputent le pavé ;
Et toi soldat qu'un pouvoir leur oppose,
Toi qui demain deviendras ouvrier,
Ces combattants servent la même cause
Qu'ils défendaient aux jours de février !
De les flétrir, du moins, je vous défie,
Les criminels, ils n'ont pas réussi ;
Ce février que l'on nous déifie
Est fils du peuple, et juin fut peuple aussi !
Versez sur eux et l'injure et l'outrage,
Vous que jamais n'atteindra le remords,
Le destin seul a trahi leur courage,
Nous les aimions et nous pleurons nos morts !
Ils sont tombés après cinq jours de lutte !
Ils sont tombés sans nous dire leurs noms ;
Ils sont tombés, mais le bruit de leur chute
Recouvre encor la voix de vos canons !
Tremblez ! tremblez, la guerre sociale
A de nos jours pris son point de départ ;
C'est une guerre acharnée et fatale
Où riche et pauvre useront leur poignard ; !
Vous nous direz que, pour longtemps, peut-être,
L'émeute est morte, et morts ses combattants,
Que le pouvoir est fort, qu'il est le maître ;
Mais le pouvoir s'use avec le temps !
Un grand soldat prête aujourd'hui son sabre,
Comme un appui des tyranneaux bourgeois !
Parlez moins haut quand le peuple se cabre
Les grands soldats tombent comme les rois !…
Dans les cachots où nos frères languissent,
Ln saint espoir vient réchauffer leurs coeurs !
Ils ont laissé bien des fils qui grandissent,
Et les martyrs enfantent des vengeurs !
Versez sur eux et l'injure et l'outrage,
Vous que jamais n'atteindra le remords,
Le destin seul a trahi leur courage,
Nous les aimions et nous pleurons nos morts !
- date : 1848.
- texte : Charles GILLE.
- musique : air de Margot, des Comédiens, ou d'Octave.
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