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Villepin et le servage civique

Publié le 15 avril 2011 par Variae

L’avantage de la présidentielle 2012, c’est que crépuscule du sarkozysme aidant, plus d’un responsable politique se voit déjà en haut de l’affiche. D’où éclosions de candidatures en rafales, et pluie de propositions – c’est en cette fin de semaine au tour de Dominique de Villepin de présenter les siennes. Sous le concept général de la « citoyenneté » (vague refuge pour qui veut éviter le catalogage à gauche ou à droite) sont développées un certain nombre de mesures, qui ont au moins le mérite d’ouvrir clairement le débat, sur le vote obligatoire par exemple. Parmi elles, une en particulier a retenu mon attention – non pas en raison de son originalité, mais au contraire pour son caractère de marronnier traversant les partis, les époques et échappant à toute critique, ce qui est rarement bon signe.

Villepin et le servage civique

Je veux parler du service civique, ici dénommé « service citoyen » et présenté comme « obligatoire [pour les jeunes] pour une période de douze mois », fractionnable, et quand même « ouvert à tous » (« vieux » y compris), pour « remplir des tâches d’intérêt général ». DDV n’entre pas plus dans les détails dans son interview des Échos, mais on trouve plus de précisions sur le site de son mouvement, et notamment sur le montant du dédommagement prévu pour les heureux « bénéficiaires » : on leur promet d’être indemnisé via le « revenu citoyen », pour un généreux montant de … 850 euros.

Difficile d’analyser ce genre de proposition, tant les mots « civique » ou « citoyen » ont pour effet, sur tout cerveau français normalement constitué, de paralyser l’activité neuronale et de susciter des images glorieuses – buste de Marianne, drapeau tricolore, 1789, la patrie en danger, sur fond de Marseillaise – la larme à l’œil. Je vous propose donc une petite expérience de pensée. Prenons le descriptif des tâches que peut concerner ce service : « appui au service public », réponse « aux besoin des collectivités territoriales », par exemple. Renommons en conséquence de façon plus claire et directe la mesure : le service obligatoire d’appui au service public et de soutien aux collectivités territoriales.

Qu’avons-nous donc là ? Une obligation pour tout jeune de 18 à 25 ans de travailler, pour un peu plus d’un demi-SMIC, au service de l’Etat. Ou, pour parler autrement, la constitution forcée d’un lumpenprolétariat de jeunes en cours d’études (ou cherchant un vrai travail), venant occuper de façon précaire des fonctions mal payées dans des secteurs dont on doit comprendre, j’imagine, qu’ils ne nécessitent aucune formation spécifique – des secteurs aussi secondaires que « l’éducation », « le personnel soignant » ou encore « l’humanitaire », et plus largement l’ensemble du secteur public.

Que dirait-on si Madame Parisot faisait la même proposition, réclamant que l’Etat contraigne tout jeune majeur à venir travailler dans ses entreprises à vil prix, au nom du « brassage social » et de « l’intérêt général », pour « s’appuyer » sur « les énergies de notre jeunesse » et « incarner » la « solidarité des citoyens » ? D’où vient cette idée que des jeunes adultes, payant souvent déjà des impôts, et qui n’ont pas choisi de naître – jusqu’à preuve du contraire – dans leur pays, lui devraient légalement un don de leur temps et de leur force de travail ?

On me rétorquera probablement que la mesure vise à remplir le vide laissé par la disparition du service militaire. Mais, outre qu’il y aurait bien des choses à dire sur les supposés et mythiques bienfaits dudit service, cette comparaison omet une différence fondamentale entre les deux concepts. Le service militaire est la réalisation d’une idée vieille comme la démocratie : ce qui fonde une communauté de libres citoyens, dans un contexte où la guerre est un risque probable, c’est leur capacité à assumer collectivement leur défense. C’est la vieille image de la phalange athénienne. Dans cette perspective, l’idée d’une contribution universelle à la défense collective a un sens et une utilité, puisqu’elle touche à l’existence et à la survie même de la communauté. A contrario, le « service citoyen obligatoire » ne consiste au bout du compte qu’en une forme d’impôt déguisé, et d’autant plus hypocrite qu’il se pare des atours du « civisme » et de « l’intérêt général ». On notera au passage l’intéressante conception qu’il révèle de la jeunesse, apparemment considérée comme égoïste, auto-centrée et dénuée de tout sens républicain, au point qu’il faudrait lui inculquer une bonne vieille morale civique à la schlague. Finalement, Hessel avait bien raison de remuer ces petits cons et de les appeler à « s’indigner » !

Quelque chose me dit que nous n’avons pas fini d’entendre parler de cette proposition, qui resurgira forcément, sous une forme ou sous une autre, au sein des autres partis politiques et chez d’autres candidats, puisqu’il est de bon ton de se lamenter sur la perte de sens de notre société, évidemment matérialiste et superficielle. Paradoxe d’une époque qui dit faire de la jeunesse une priorité, tout en la plaçant en position d’accusé et de fautif. Mais pour faciliter les futurs débats et clarifier un peu leurs enjeux, je propose que nous rebaptisions la mesure d’un nom plus transparent : le servage civique.

Romain Pigenel


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