L'évènement de la fin mars - début avril, chez nous, c'était les cantonales. Mais en Allemagne, c'était les élections régionales, qui ont été marquées par la percée éclatante du parti écologiste, dans le Bade-Wurtemberg. Pour la première fois dans l'histoire politique allemande, les “Grünen”, les Verts allemands, vont présider un Land, infligeant une défaite historique aux chrétiens-démocraties d'Angela Merkel, au pouvoir dans cette région depuis plus de cinquante ans. Un ministre-président issu des verts devrait donc, pour la toute première fois dirigée ce land allemand, très riche. La voiture est l’avenir des verts. Qui l’eut cru ? C’est dans ce fief industriel d’Hammler et de Porsche, le fameux Land de Bade-Wurtemberg, que les verts allemands ont été élus… Pour une victoire électorale Outre-Rhin - remontant à une dizaine de jours -, qui mériterait, en tout cas, toute l'attention du courant écolo hexagonal.
Il est vrai, jusqu’à présent, ils avaient l’habitude à l’instar de leurs amis français, d’être cantonnés sur la banquette arrière, indispensable pour donner un peu de fraicheur juvénile, mais qui devaient se taire, dès que les grandes personnes parlaient. On imagine toujours les verts, en pataugas, pull-over en grosse laine, fumeur de pétard et cheveux longs. Une caricature qui date de leur jeunesse post-soixante-huitarde. Mais qui ne correspond pas vraiment au profil de Wilfried Kretschmann, le nouveau président vert du Land. Qui ressemblerait davantage à l’ancien ministre des finances de Giscard, dans les années 70, Jean-Pierre Fourcade, caricature du technocrate, que les caricaturistes surnommaient ”balais-brosse“. Même les baby-boomers vieillisent, leur génération étant à l’âge où l’on devient responsable et pontifiant. D'ailleurs, le président vert allemand élu, ne cache pas une foi catholique vibrante et se déclare sans fard, très conservateur. On est loin du mariage homosexuel, cher à Noël Mamère, et du combat pour les sans-papiers, cher à Dominique Voynet. Certes, ils sont quand même verts allemands et ils ont gagné ces élections dans le Bade-Wurtemberg. Le débat nucléaire a été certainement fondamental, dans ce Land abritant quatre des dix-sept centrales nucléaires allemandes. Mais au-delà des causes conjucturelles de cette victoire électorale - accident nucléaire japonais ou lutte contre la construction d’une grande gare à Stuggart -, les verts allemands n’ont remporté leur combat politique, que parce qu’ils ont renoncé à leur anticapitalisme des origines et à leurs combats sociétaux les plus subversifs.
Paradoxalement, les verts allemands reviennent aussi aux sources de l’écologie, qui naquit d'abord sur les rives écologiques d'une droite réactionnaire, qui refusaient depuis le XIXe siècle, les certitudes progressistes et scientistes de la gauche. Elle était auparavant, plus recentrée sur ses problématiques initiales. En France, c'est sous la présidence de Pompidou, que la nébuleuse écologiste a vécu sa période de plus intense développement, bien déterminée à manifester sa vitalité dans sa première élection de 1974. On envisage d'abord une candidature de Philippe de Saint-Marc, qui préfére entreprendre un rapprochement avec Valéry Giscard d'Estaing. C'est finalement René Dumont, un agronome renommé retraité de soixante-dix ans, qui porte les couleurs de l'écologie. Sa campagne iconoclaste est alors très remarquée, le candidat se distinguant par son fameux pull rouge, ses formules qui détonent avec le discours politique traditionnel (”La voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con…“), ses coups médiatiques préparés par son équipe de campagne, venant avec un verre d'eau à la télévision, pour le boire devant les téléspectateurs. En France, les verts font toujours semblant d’être du côté des rebelles, leurs positionnements sociétaux actuels remontant à une évolution tactique, du début des années 90. Mais en Allemagne, ils s’allient aux grands patrons de l’industrie automobile, pour inventer “le fameux new deal vert”, qu’attend le capitalisme occidental pour sa survie, face à la concurrence des pays émergeants… “Ils acceptent leur réalité de meilleurs défenseurs du système capitalise mondialisé“. Et ils ont toutes les qualités pour remplacer dans ce rôle-là, les socio-démocrates, affaiblis par le recul des syndicats et la désagrégation de la classe ouvrière.
Les verts allemands sont en train de réaliser le rêve des verts français, remplacer les socialistes. “Ils accomplissent la mission que leur a accordé, Daniel Cohn-Bendit, devenir le grand parti réformiste libéral de gauche, avec bien-sûr, une forte dose environnementale“. Que le système capitalise globalisé attend. Les Français tergiversent encore devant ce reniement historique, qui leur ouvrirait les portes du pouvoir et de l’assemblée. Mais faute de mieux, certainement y viendront-ils.
J. D.