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Bravo Borloo ! (1) : l’éclatement de l’UMP

Publié le 16 avril 2011 par Sylvainrakotoarison

Alors que chaque jour, l’UMP se droitise de plus en plus sur des chemins de plus en plus hasardeux, l’initiative des radicaux valoisiens de reprendre leur liberté donne un air frais à la démocratie sociale et aux valeurs républicaines. Une occasion qu’il faut savoir saisir. Première partie.
yartiBorloo01L’éclatement de l’UMP a bien eu lieu en direct à la télévision. Cela ne s’est pas passé avec Jean-Pierre Raffarin ni avec Rama Yade comme je l’avais imaginé dans deux poissons d’avril en 2008 et 2010, mais avec Jean-Louis Borloo. Le plus sérieusement du monde.
Double cérémonie pour cette émission d’Arlette Chabot "À vous de juger" du jeudi 7 avril 2011 sur France 2. La dernière émission de la journaliste remerciée par France Télévisions (qui va continuer sa carrière sur Europe 1) recevait une personnalité politique de premier plan qui fêtait son soixantième anniversaire. Mais pas de cadeau d’anniversaire ni de cadeau d’adieu pour une émission faiblement suivie (seulement 2,2 millions de personnes l’ont regardée soit moins de 10% des téléspectateurs).
Recompositions centristes

L’information essentielle délivrée par l’invité, Jean-Louis Borloo, le président du Parti radical, c’est qu’il allait quitter l’UMP ainsi que ses camarades radicaux. Un divorce à l’amiable qui sera collectivement officialisé les 14 et 15 mai 2011. À l’amiable car les radicaux restent a priori dans la majorité actuelle.
Quelques jours après, le mardi 12 avril 2011 dans la soirée, cinq "leaders" centristes se sont réunis avec leurs troupes : Jean-Louis Borloo, président du Parti radical, Hervé Morin, président du Nouveau centre, Jean Arthuis, président d’Alliance centriste, Jean-Marie Bockel, président de Gauche moderne et Hervé de Charette, président des archéo-clubs Perspectives et Réalités (qui n’ont plus beaucoup de réalité depuis la fin des années 1990 puisqu’il s’agissait de clubs giscardiens pour promouvoir la candidature de l’ancien Président) pour construire une confédération centriste. Même les centristes restant encore à l’UMP sous la houlette de Pierre Méhaignerie pourraient y être associés.
L’idée, c’est de recréer un regroupement centriste, un peu à la manière du Mouvement réformateur de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Jean Lecanuet.
Le lendemain, mercredi 13 avril 2011, Nicolas Hulot a annoncé sa candidature à Sevran, puis, le surlendemain, jeudi 14 avril 2011, Dominique de Villepin (qui n’est pas du tout un centriste) présentait son programme pour 2012, ce qui a fait dire ironiquement à François Bayrou, le 14 avril 2011 : « La multiplication des candidatures, une par jour aujourd’hui, c’est la saison des champignons, là, on est dans la saison des champignons de printemps ! Cela fait la une des journaux, fait un petit tour, et puis disparaît. ».

À l’exception d’Hervé de Charette, qui a quitté l’UMP en 2009 de manière individuelle pour rejoindre le Nouveau centre, c’est la première fois qu’il y a des défections collectives à l’UMP (Il y a déjà eu une défection souverainiste avec le départ de Nicolas Dupont-Aignan en 2007). Comme le dit Gérard Grunberg, directeur de recherche au CNRS, cette décision est « un acte politique de première importance dans le paysage politique français, et dont les conséquences pourraient être majeures ».
Sous-marin ou opération marketing ?
Pour ses détracteurs, Jean-Louis Borloo ne serait qu’un sous-marin de Nicolas Sarkozy pour "pêcher" les électeurs centristes et les ramener dans le sarkozysme. C’est oublier un peu vite que cet éclatement se fait avant tout aux dépens exclusif de l’UMP et des partisans de Nicolas Sarkozy qui pourrait même, par conséquent, ne pas être présent au second tour de la prochaine élection présidentielle.
L’UMP a besoin au contraire d’une union renforcée et ce n’est pas anodin si dès le lendemain, sur les terres de Pierre Méhaignerie (à Vitré), le Premier Ministre François Fillon a recommandé l’union de la majorité. Tactiquement, le départ des centristes conforterait le leadership de Jean-François Copé au détriment de François Fillon sur une UMP de plus en plus droitisée depuis le discours de Grenoble et depuis les multiples déclarations quasi-xénophobes de l’actuel locataire de la place Beauvau. Une impression que partage Xavier Bertrand qui n’hésite plus à se rapprocher du Premier Ministre pour organiser une véritable aile sociale à l’UMP et colmater au mieux la "brèche radicale".
Ceux qui voient la démarche actuelle de Jean-Louis Borloo comme une opération marketing se trompent également. Elle n’est pas destinée à l’élection présidentielle de 2012. Elle est destinée à l’après-2012, dans le but de reconstruire ce que Philippe Douste-Blazy en 2002 puis François Bayrou et Hervé Morin en 2007 avaient détruit plus ou moins volontairement : un parti de centre droit, ayant un "corps de doctrine" suffisamment solide pour faire entendre sa voix dans le concert politique, un parti qu’avait réussi à fédérer Valéry Giscard d’Estaing le 1er février 1978 avant les élections législatives du mois suivant (l’UDF).
Pragmatisme de parti
Jean-Louis Borloo est un pragmatique et un apatride de parti, c’est-à-dire, un électron libre. Il n’est pas plus radical aujourd’hui qu’il n’a été démocrate social en 1989 lorsqu’il était numéro deux de la liste centriste de Simone Veil à l’époque enivrante des rénovateurs, ni plus qu’il n’a pas été écologiste lors de la fondation de Génération écologie en 1990. Ou plutôt, il est un peu de tous ces courants à la fois, sans tradition personnelle affirmée mais avec l’intuition que la voie doit être dans la modération, dans l’équilibre, dans la justice sociale et la défense écologique associées à l’efficacité économique. Qu’importe l’origine anticléricale des radicaux qui est aux antipodes du catholicisme social d’une centrisme incarné par Pierre Méhaignerie ou feu Adrien Zeller.
Après avoir conquis la mairie de Valenciennes le 19 mars 1989 (sans étiquette contre un candidat de droite) et un siège au Parlement européen le 18 juin 1989, Jean-Louis Borloo s’est attaqué au Conseil régional du Nord-Pas de Calais le 22 mars 1992. Quatre forces principales étaient en présence (hors FN et hors PCF), sans qu’aucune majorité absolue n’ait pu se dégager à cause du scrutin proportionnel. Le duel entre le RPR Jacques Legendre et le PS Michel Delebarre se déplaça le 31 mars 1992 vers un duel entre le centriste Jean-Louis Borloo et l’écologiste Marie-Christine Blandin (actuellement sénatrice) au profit de cette dernière (première et unique écologiste à avoir présidé un Conseil régional).
Je peux imaginer la rancœur que peut ressentir (et entretenir) François Bayrou à l’égard de Jean-Louis Borloo, porte-parole de l’UDF et son directeur de campagne lors de sa première candidature à l’élection présidentielle en 2002, quand le 23 avril 2002, après le séisme lepéniste, Jean-Louis Borloo décida de quitter l’UDF pour l’UMP, un abandon pour assouvir une ambition ministérielle évidente.
Un ministre très populaire

Du 7 mai 2002 au 13 novembre 2010. Huit années et demi sans discontinuité au sein des gouvernements de la République : Jean-Louis Borloo est même placé parmi les recordmans de la longévité ministérielle (même s’il est loin de battre Michèle Alliot-Marie et Pierre Messmer), touchant à la Ville, au Travail, aux Affaires sociales, au Logement, furtivement à l’Économie et aux Finances et enfin à l’Écologie comme Ministre d’État et numéro deux du gouvernement. L’an dernier, on lui prédisait également Matignon et on lui aurait aussi proposé le prestigieux Quai d’Orsay.
Pendant toutes ces années, Jean-Louis Borloo n’a pas critiqué l’UMP. Au contraire, il l’a confortée dans sa propre vision gouvernementale. Conforté politiquement mais peut-être pas électoralement, puisqu’une réponse faite à Laurent Fabius sur un plateau de télévision à propos de la TVA social aurait fait perdre à l’UMP plusieurs dizaines de sièges de député le 17 juin 2007 selon certains experts électoraux.
Cela n’a pas enlevé la réelle valeur ajoutée de Jean-Louis Borloo au sein des gouvernements dans lesquels il était présent. D’une approche à la fois personnelle et pragmatique, Jean-Louis Borloo a cultivé une forte popularité par quelques actions concrètes : les investissements attribués à l’urbanisme et au logement dans le cadre d’une politique de la ville ambitieuse, une prise en compte désormais officielle du thème de l’environnement dans les politiques suivies (avec à son actif un Grenelle de l’environnement qui, s’il est aujourd’hui peut-être critiqué, avait fait à l’époque l’unanimité politique), et plus généralement, il est une force de proposition à la fois indépendante et "docile".
Ministre délégué de Jean-Louis Borloo, l’actuel Président du Sénat, Gérard Larcher, qui ne cache pas son amitié pour lui ni son ancrage dans un gaullisme social qui le rend très agacé par la coloration de plus en plus sécuritaire de l’UMP, évoque un ministre plein d’idées, sans doute un peu brouillon dans son bouillonnement mais qui sait renouveler la pensée politique par des perspectives très originales.
L’aile sociale semble avoir échoué à imposer ses vues à l’UMP en 2010. L’existence du Parti radical valoisien a permis d’exprimer cette sensibilité à l’intérieur de l’UMP et bientôt, à l’extérieur (2e partie).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 avril 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La (vraie) famille centriste.
La trajectoire de François Bayrou.
À qui appartient l’UDF ?
L’éclatement de l’UMP.
Le décentrage de l’UMP.
Sondage IFOP à télécharger sur le leadership du centre (8 avril 2011).


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