Le journal « Le Monde » rapporte aujourd’hui qu’Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères, a souligné, suite au colloque sur le "printemps arabe" organisé par son ministère à Paris, que "le grand mouvement d'aspiration populaire à la liberté et à la démocratie, qui touche l'ensemble du Maghreb et au-delà, jusqu'au Golfe persique, concerne aussi l'Algérie bien sûr". Il a de plus qualifié les décisions annoncées vendredi par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, dans un grand discours de ce dernier à sa nation, de réformes qui vont « dans la bonne direction ».
Bouteflika dit vouloir les amendements nécessaires à la constitution de 1996 pour « renforcer la démocratie ». Il a enfin parlé. Son discours était attendu depuis le début des manifestations du « printemps arabe » dans son pays qui avaient fait, en janvier dernier, cinq morts et 800 blessés,
Le président algérien veut créer une commission constitutionnelle « à laquelle participeront les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel". La commission "me fera des propositions dont je m'assurerai de la conformité avec les valeurs fondamentales de notre société, avant de les soumettre à l'approbation du parlement ou à vos suffrages par la voie référendaire", a-t-il expliqué. Donc, c’est Bouteflika qui décidera.
Il veut aussi renforcer les lois électorales et la loi sur les partis afin que les algériens puissent "exercer leur droit dans les meilleures conditions, empreintes de démocratie et de transparence" et pour obtenir une participation "plus efficace de ces partis au processus de renouveau du pays". En fin de trajet, qui décidera ? Bouteflika.
Le président algérien est en fait la marionnette des généraux algériens. Bouteflika a 74 ans et est à la tête du pays depuis 1992, au moment où l’armée a saisi le pouvoir du Front Islamique du Salut (FIS) qui venait de gagner les élections. Il avait alors promis « des réformes globales incluant des réformes politiques". Elles ne sont pas venues. Puis, 200 000 innocents algériens ont été tués par les islamistes et, plusieurs algériens affirment, l’armée. Pour retrouver la paix, Bouteflika a instauré un pardon national pour les coupables. On oublie tout et on recommence !
Pour calmer les esprits qui s’expriment depuis le début des manifestations, Bouteflika a levé l'état d'urgence de février 1992 et a concédé plusieurs choses sur le plan économique et social : augmentations des salaires, plus d’emplois pour les jeunes et un grand nombre de nouveaux logements. Mais, il peine à satisfaire les manifestants qui en veulent de plus en plus, car le besoin est là.
Du côté des partis politiques, on veut maintenir le statu quo. Le Front de libération nationale (FLN) parti de la révolution, le Rassemblement national démocratique (RND) et le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste) ne souhaitent pas l'élection d'une assemblée constituante pour définir une nouvelle constitution. Tout ce beau monde veut conserver sa place et ses fioles. Très édifiant !
Vendredi, en réaction au discours du président, une dizaine de militaires ont été tués et plusieurs ont été blessés par un groupe qualifié de « terroriste » qui a attaqué leur poste de surveillance en Kabylie. L'attaque, non confirmée par les sources gouvernementales, aurait fait 14 morts chez les militaires et un parmi les assaillants. La dernière action d'envergure, attribuée cette fois-là aux groupes islamistes armés en Kabylie, remonte à octobre 2010.
C’est parce que Bouteflika commence à s'inquiéter de la réaction de son peuple, qu’il a réagi. Cette peur de la révolte du peuple algérien, qui ressemble à celles de la Tunisie, de l’Egypte et de la Syrie, pousse sur lui et sur tout son régime. Il fait semblant de commencer à vraiment écouter son peuple.
Il me semble évident que sa nouvelle initiative constitutionnelle n'est conçue que pour gagner du temps et gérer la tornade qui souffle à travers tout le monde arabe.
Il faut se rappeler les événements d'octobre 1988, lorsque le président algérien Chadli a aussi fait semblant de répondre aux aspirations de son peuple. Il avait soit disant ouvert le champ politique à qui voulait s'organiser et participer au dialogue politique national. On connaît les résultats désastreux de la démocratisation à la Chadli.
A mon avis, la démocratie ne s'offre jamais. Elle se prend. Elle est toujours acquise par la force des bras et souvent par des rivières de sang. Combien de constitutions nationales ont été promulguées par les chefs politiques en Algérie depuis 1962 ? On peine à les compter tellement elles sont nombreuses. La prochaine constitution de Bouteflika aura exactement les mêmes conséquences à moyen et long terme.
Le grand problème que l'Algérie doit surmonter n'est pas l'établissement d'une démocratie théorique mais plutôt de créer réellement des conditions sur le terrain pour permettre aux algériens de s'organiser pour tout d'abord exprimer clairement leurs revendications fondamentales et se mobiliser pour changer le système politique actuel. Tant que Bouteflika avec ses patrons, les généraux, n’accepteront pas une telle liberté, leurs paroles ne sont que des mots en l’air et de la foutaise.
Claude Dupras