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La puissance des médias sociaux, catalyseurs de révolution ? par Smitnat KUNNAVATANA

Publié le 18 avril 2011 par Egea

J'ai le plaisir d'accueillir le Capitaine de corvette Smitnat KUNNAVATANA, actuellement stagiaire à l'école de guerre. Il est thaïlandais et fait l'effort d'écrire en français, ce qui justifierait à soi seul une publication : mais en plus, son article, classique, est intéressant car il nous rappelle d'autres scènes où les média sociaux ont joué : Moldavie en 2009, Iran également, ou plus récemment la Thaïlande : ce qui vient de se passer au Maghreb n'est finalement nouveau que par les conséquences : pour une fois, le mouvement a réussi la révolution ! Surtout, l'auteur montre bien que ce 'est pas le média social qui fait la révolution, mais la situation sociale sous-jacente.

La puissance des médias sociaux, catalyseurs de révolution ? par Smitnat KUNNAVATANA
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Merci à lui.

O. Kempf

A la fin de l'année 2010, il n'y avait pas de nouvelles de prémices sur la situation en Tunisie. Après un mois de manifestations et au moins 80 morts, le président Ben Ali a quitté tout à la fois le pouvoir et la Tunisie. Puis, au début de 2011, un changement de la situation politique est survenu en Égypte où le peuple demandait le départ du président Moubarak et une réforme politique. Ces deux événements constituent des dimensions essentielles à la sécurité régionale que tous les pays doivent prendre attentivement en considération en raison de la propagation de cette agitation à d'autres pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Il est difficile de discerner d’éventuels leaders émergents ou l’orientation future de la politique de ces pays. Ces deux révolutions sont largement liées à l’usage des médias sociaux qui ont provoqué ces changements politiques rapides. En raison de la violence des deux révolutions, l’impact sur les intérêts nationaux ainsi que sur la géopolitique régionale est réel. C’est pourquoi il est nécessaire de connaître et de comprendre la puissance des médias sociaux et leurs impacts au niveau national.

Dans le passé, la communication a été limitée par la distance et la technique. La communication s’effectuait au sein de petits groupes tels que le village. Plus tard, avec le développement des technologies de communication, la distance et la vitesse des échanges ont considérablement évolué. La société n'est plus seulement limitée à la distance de visibilité. Avec l’avènement de la mondialisation, la communauté en ligne est apparue. L’homme peut désormais vivre dans une société sans connaître les autres. Ils partagent un même intérêt pour le partage et l’échange de données dans le monde virtuel. En outre, l’homme est par nature curieux : s’il est bloqué, il cherchera. Comme la communauté en ligne n'a ni besoin de contact, de se faire connaître ou d’être prudent, ni crainte de l’échec ; alors que l’envoi de messages anonymes échappe à toute responsabilité, le changement des informations en ligne est plus rapide et plus tentant. La réflexion avant la communication en ligne est réduite. C’est pourquoi aujourd’hui, Internet s’est étendu à la quasi-totalité des pays et a connu une popularité croissante.

De nos jours, il est impossible d’échapper au terme de média social. Il est sans cesse et universellement évoqué. Que recouvrent « les médias sociaux » exactement ? Ils reposent sur des outils ou des programmes de communication via Internet tels que Facebook ou Twitter pour communiquer et échanger des points de vue sur diverses questions tant personnelles que collectives. Les médias sociaux se fondent sur la volonté de communiquer ou d'interagir les uns avec les autres. L'émergence de Facebook, Twitter ou autres s’est étendue aux affaires, à la société, à l'éducation et à la politique. Le média social est devenu un domaine à part entière des technologies de communication de la nouvelle génération. Avec leur amélioration et la rapidité, l’impact sur la perception du public est augmenté en conséquence. Par rapport au passé, les efforts de quelques gouvernements locaux pour bloquer ou restreindre ces canaux d'information sont dès lors plus difficiles.

La situation en Tunisie fin 2010 et la situation en Égypte début 2011 est très éclairante et intéressante de ce point de vue. Les leçons que l’on peut tirer des manifestations en Tunisie et en Égypte portent sur la puissance des réseaux sociaux qui permettent de changer la politique et de bouleverser l’ordre social. Pourtant le média social est initialement destiné à partager des renseignements personnels ou à établir des relations amicales. Mais lorsque des sujets d'actualité sont très intéressants, les médias sont devenus un outil de création du groupe social ou public plutôt que des groupes personnels normaux. Par exemple, leur utilisation pour mobiliser puissamment les masses permet l’émergence d’une opinion publique bouleversant l'agenda social contre son gouvernement.

La première insurrection dans le monde liée au cyberespace s’est produite au cours des émeutes de Moldavie en 2009. Les gens utilisaient Twitter, Facebook ou le Live Journal pour échanger idées et mots d’ordre. Mais le changement majeur est intervenu avec les manifestations en Iran en 2009 alimentées par l'utilisation de Twitter comme outil de mobilisation de la manifestation. Bien que les manifestations en Iran n’aient pas réussi à changer la structure du pouvoir politique, Twitter a démontré qu’il pouvait transgresser la censure et le blocage gouvernemental. Dans le cas de l'insurrection en Thaïlande durant la période mars-mai 2010, les différentes factions utilisaient Facebook et Twitter pour défendre leurs positions et inciter les internautes à rallier leur cause. Mais les récentes manifestations en Tunisie et en Égypte ont donné des résultats différents. En effet, la puissance des médias sociaux a rapidement provoqué les plus grandes manifestations de ces dernières décennies sans que les gouvernements concernés aient eu prise sur les événements, en raison de l’usage de méthodes traditionnelles dans la gestion d'un grand nombre de manifestations. La fermeture des systèmes de communication sur internet et la censure des autres médias ont eu l’effet inverse de celui escompté. Cela a au contraire provoqué et catalysé la mobilisation populaire, en raison de la nature humaine « Il est bloqué, il cherchera ». En fin de compte, les deux présidents contestés ont quitté le pouvoir malgré leurs efforts pour gagner du temps et transférer le pouvoir dans l’ordre (Orderly Transition).

Les médias sociaux ne sont pas seulement utilisés pour échanger des idées au sein de pays mais servent à l'action. Les habitants d’autres pays peuvent également partager leurs opinions et leurs informations. Par exemple, les Tunisiens de l’intérieur comme de l’extérieur modifiaient leurs photos profils sur Twitter et Facebook par un drapeau rouge afin de démontrer leur solidarité dans la lutte contre le gouvernement. Au moment de la fuite de Ben Ali, les gens ont essayé de l’empêcher de quitter le pays en échangeant des informations via Internet. Alors que la Tunisie réussissait sa révolution, les Egyptiens ont utilisé Twitter et Facebook pour féliciter les Tunisiens pour leur victoire et espéraient le même succès pour la révolution égyptienne. Les Algériens et les Marocains les ont également félicité. Mais le cyberespace affecte également de nombreux autres pays, tant Twitter, Facebook et YouTube se sont imposés comme outils de communication universelle. Après le succès des deux révolutions, les émeutes en Iran, au Yémen, au Bahreïn et en Libye prennent le relais et sont elles aussi liées à l'utilisation des médias sociaux.

La réussite des révolutions populaires est peut-être souhaitable dans quelques pays. Toutefois, l'impact international et géopolitique induit n’est pas toujours très favorable comme l’illustre le cas de l'Égypte. Si les extrémistes politiques venaient à dominer l'Égypte, le traité de paix avec Israël pourrait être remis en cause et affecter l’ensemble du Moyen-Orient. Par ailleurs, l'analyse de l’attitude de Google est intéressante. Cette société étrangère a soutenu les manifestants en Égypte en proposant de nouveaux canaux de communication aux manifestants après le blocage gouvernemental des systèmes de communication via l’Internet. Cette intervention peut-elle être considérée comme une ingérence extérieure ? En tout état de cause, cet événement affecte clairement la sécurité intérieure de ce pays et la tendance à l’accroissement de ce type d’événements partout dans le monde sera sans aucun doute confortée par le développement technologique.

Alors que les révolutions en Tunisie et en Égypte ont été clairement portées par les médias sociaux, la véritable cause de la révolution, elle, n'est pas fondée sur un média social mais résulte plutôt des déséquilibres internes tels que le chômage, les mauvaises conditions de vie ou surtout la soif de liberté du peuple. Là réside en effet la source des contestations antigouvernementales. Dès lors, la transition sociale et politique constitue la réponse à ces déséquilibres. Ce renouvellement survient soit par le biais d’une réforme pacifique, soit par une révolution violente. Les peuples et les gouvernements restent les acteurs principaux et incontournables et les médias sociaux sont désormais les catalyseurs de cette transition sociale. Dans le monde sans frontières, on peut donc se demander comment on pourra gérer les effets des médias sociaux sur la sécurité intérieure et la stabilité de l’État ?

CC Smitnat KUNNAVATANA


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