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Arrêtez de m’appeler « immigrée »

Publié le 19 avril 2011 par Copeau @Contrepoints

Lors de la rencontre de 60 élèves avec des femmes et des hommes politiques, une élève m’a fait la réflexion : « Ces personnes se rendent-elles compte que nous sommes là, quand elles parlent ‘d’immigrés’ ? » Cette réflexion m’a fait réfléchir.

Arrêtez de m’appeler « immigrée »
Ai-je des immigrés dans mes classes ?
Je me suis posé la question : « Ai-je des immigrés dans mes classes ? » Parce que cette question, je ne me la suis jamais posée. Dans ma classe, j’ai des élèves travailleurs, d’autres vifs d’esprit, d’autres avec une capacité de conceptualisation élevée, d’autres encore avec un sens pratique prononcé. Mais ai-je des immigrés ? Je commence alors à faire la liste de mes élèves. Bon Ahmed doit être un « immigré », mais Sylvia ? Et puis un élève avec un prénom « exotique » mais qui est né en Belgique, dont les parents sont nés en Belgique sont-ils encore des « immigrés » ?

Je préfère ne pas discriminer mes élèves parce qu’ils ont le malheur de vivre dans un « quartier bien »
Je préfère donc ne pas commencer à discriminer mes élèves sur des critères injustes. En effet, le décret « Inscription » désavantage l’élève qui habite un quartier dont l’indice socio-économique est élevé, alors que l’élève lui-même fait peut-être partie d’une famille défavorisée. De même l’élève qui est inscrit dans une école avec un « indice élevé » n’aura pas le même soutien que son voisin qui est lui inscrit dans une école à « indice faible ».

« M’asseoir à côté de vous et pleurer avec vous ou vous donner cours pour vous rendre meilleur que les autres ? »
Je me rappelle une autre réflexion d’un autre élève, en Promotion sociale. Chauffeur de bus, cet élève voulait réorienter sa carrière et suivait des cours de marketing. Lors d’une discussion, cet élève m’apostrophe : « Vous ne vous rendez pas compte à quel point c’est difficile pour nous de trouver un emploi avec le nom que l’on porte. » C’est vrai, j’ai évidemment oublié de spécifier que cet élève s’appelait Mohamed… Ma réponse fut impulsive. « Cher monsieur, il y a deux possibilités : soit je viens m’asseoir à côté de vous pour pleurer avec vous, soit je continue mon cours pour vous permettre d’apprendre et de contrebalancer le fait que vous ayez un nom qui laisse supposer que vous n’êtes pas belge depuis 6 générations. Parce que comme vous, les blondes, les gros, les bègues, les timides, ceux qui ont les oreilles décollées, etc. doivent montrer au futur patron qu’il y gagnera à les engager ». Trois ans plus tard, quand il est venu chercher son diplôme, cet élève est venu me trouver : « Monsieur, si vous saviez à quel point vous m’aviez énervé le jour où vous m’avez dit d’arrêter de me plaindre mais d’agir. Puis j’ai réfléchi. Et aujourd’hui j’ai décidé d’agir, d’être meilleur que les autres. Merci. » Ce merci est gravé dans mon cœur. Surtout que le soir même j’avais regretté mon impulsivité. Parce que le discours politiquement correct est de revendiquer le CV anonyme, sans date de naissance, sans indication des écoles, sans indication de la commune du domicile. Et puis de l’interview masqué avec déformation de la voix pour éviter « que le méchant patron refuse d’engager quelqu’un pour des raisons non objectives ».

Mon combat : former pour contrebalancer les préjugés
Mon combat ne sera jamais celui-là. Le CV anonyme, les quotas et autres aspirateurs de voix aux prochaines élections sont contreproductifs. Mais mon combat est et sera toujours de former ces jeunes et ces moins jeunes. À des savoirs, certes, mais surtout à des attitudes. Je suis satisfait lorsque mes élèves se prennent en mains, arrêtent de « demander plus » parce qu’ils sont immigrés, femmes, gros, etc. Et qu’ils luttent pour devenir meilleurs que les autres dans leur domaine, quel qu’il soit.

« Je vous engage parce que vous acceptez de marcher une demi-heure »
Je terminerai pas une autre victoire, choisie parmi tant d’autres. Je mets un jour sur mon mur Facebook une demande d’un « ami » pour des telemarketers. Un de mes élèves me demande s’il a une chance d’être pris. Je lui réponds que je n’en sais rien, mais que s’il ne prend pas contact, il n’aura en effet aucune chance. Il prend contact et on lui demande s’il a une voiture. L’entreprise se trouve en effet à une demi-heure à pied de la gare. Tentative de le décourager ? Je ne le saurai jamais. Cet élève a répondu : une demi-heure ce n’est pas grave. Il a été se présenter, en beau costume avec une belle cravate. Et il a été engagé. Pas parce qu’il est marocain. Mais son patron lui a dit que quelqu’un qui acceptait de marcher une demi-heure ne pouvait qu’être un bon telemarketeur.


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