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L’Ecole doit transmettre la culture générale

Publié le 19 avril 2011 par Veille-Education

Un parent d’élève m’a un jour écrit : « Mais en tant que principal adulte en contact avec les enfants, après les parents, l’enseignant se doit de participer à cette mission « éducatrice » pour que les enfants n’aient pas qu’un ensemble de savoir à leur disposition, mais aussi une manière de l’utiliser dans la vie quotidienne ».

« Ne pas avoir qu’un ensemble de savoir à leur disposition mais aussi une manière de l’utiliser »… cette phrase me laisse perplexe. Remarquez qu’elle est est dans l’air du temps, c’est l’antienne favorite des spécialistes des sciences de l’éducation : les savoir-faire plutôt que les savoirs. Autrement dit, acquérir des savoirs qui font immédiatement sens, parce que l’élève peut les utiliser dans la demi-heure qui suit leur acquisition.

Hélas, ce n’est pas possible, ou alors cela s’appelle de l’enseignement professionnel. En BEP, en bac pro, les élèves apprennent des techniques qui sont immédiatement réinvestissables. Cela ne peut pas être le cas de la culture générale. Celle-ci est nécessairement un peu abstraite, un peu gratuite, un peu inutile. C’est d’ailleurs pour ça que sa suppression des programmes scolaires passe inaperçue dans l’éducation des enfants. Les effets ne se font sentir qu’à long terme.

La culture générale, c’est un peu comme des semences que l’on sème et qui n’écloront que plus tard, qui ne feront sens que plus tard. Ce n’est pas immédiat, car ce n’est pas une technique, c’est un outil pour la pensée.

Pour penser, vous avez besoin de références, d’exemples, d’analogies que vous allez puiser dans votre culture générale, qu’il s’agisse de littérature, de chimie, d’histoire ou de mathématiques. Inconsciemment aujourd’hui, quand vous pensez, quand vous réfléchissez, vous faites appel à ce que vous avez appris au collège et au lycée : soit vous utilisez les savoirs acquis, qui sont notre référence commune (Racine, Pythagore, la Révolution française, Freud…) ; soit vous utilisez votre capacité d’abstraction (induction, déduction, analogie) que vous avez exercée au lycée ; soit vous utilisez des connaissances acquises ultérieurement dans vos études supérieures ou vos lectures personnelles, mais que vous n’avez pu acquérir que parce que vous avez fréquenté le lycée.

L’école, en grec, c’est le « skholê », LE loisir (par opposition aux loisirs), c’est-à-dire le détour, le dépaysement. On quitte son quotidien (sa vie familiale, ses soucis, sa culture, son travail) et on prend le temps, le loisir de penser, de réfléchir, d’apprendre. Apprendre le théorème de Bolzano-Weierstrass (que je ne connais pas) vous semble peut-être inutile, car vous ne l’utilisez pas au quotidien. Mais, d’une part, il fait maintenant partie de votre boîte à outil intellectuelle : il se peut qu’au cours de votre vie, un jour, vous en ayez besoin, même si c’est sans doute peu probable. Surtout, ce théorème, gratuit, vous a fait gagné en réflexion, en logique abstraite, et ça, c’est toujours transposable dans n’importe quelle autre activité humaine. Si on ne vous avait appris que ce que vous faites dans votre métier actuel, ce serait bien pauvre, car tous nos métiers reposent sur une certaine routine : les mêmes cas se répétent peu ou prou au quotidien. Ce théorème, et de façon générale la culture générale, fait que vous pourrez aussi traiter un cas qui sort de la routine.

Enfin, il y un plaisir à se poser des questions abstraites, aussi bien en mathématiques qu’en sciences humaines : seule la culture générale vous permet d’y accéder. Ce plaisir fait partie de l’humanité, même si il ne la résume pas toute entière.

On peut alors donner un conseil pour évaluer les réformes de l’Education nationale : chaque fois qu’une réforme diminue la part de l’enseignment général dans le secondaire, vous pouvez être certain qu’il s’agit d’une mauvaise réforme.
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