Porte de la Villette, à Paris, la misère des Gitans

Publié le 04 février 2008 par Willy
Roumains, Polonais, Bulgares... Ils sont près d'une centaine à squatter le long du périph parisien. Dans la misère la plus totale.

Sa voiture garée en contrebas du périph, porte de la Villette, un homme regarde ses enfants jeter, en sautillant, des draps troués et des sacs débordant d'ordures dans de petites baraques en bois. Il fume sa cigarette sans rien dire. Il les a amenés là pour ça. "C'est des Gitans qui dorment là!", crache-t-il pour s'expliquer. Il n'est manifestement pas le seul à considérer cette succession de quinze maisonnettes de fortune comme une décharge à ciel ouvert: une presque butte d'ordure pourrit ici.

Entre Paris et Pantin, ils sont près d'une centaine de Roumains, Polonais et Bulgares à vivre de part et d'autre du boulevard périphérique. Des Gitans pour qui, croit-on, cette vie dans la boue est un choix.


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Appuyées contre un long mur bétonné, les minuscules cahutes des gitans sont construites avec des planches de bois. Ce sont leurs murs. Les toits sont aussi faits de bois. Contre la pluie, des objets lourds (vélos, matelas, bouts de ferraille) fixent de fines bâches bleues. Les portes sont closes. Des cadenas, des chaînes de vélos ou du fil de fer les verrouillent. Les petites vitres encastrées laissent entrevoir les intérieurs grossiers. Au mieux, un lit. Généralement, un matelas en mousse, un tabouret et l'immanquable réchaud avec casserole.

"Avant? On était ailleurs..."

L'une des baraques est restée ouverte. Elle est plus grande que les autres: deux pièces. Près de la fenêtre, un pot de tournesols fanés. Sur le canapé usé, une couverture est en boule. De petites chaises sont placées autour. Une porte sépare ce living de la chambre. Un imposant moustachu en sort. Béret et blouson de cuir, il éteint sa cigarette. Sa vieille femme, foulard sur la tête et gilet de laine, le suit.

Ils vivent là avec leurs deux filles adolescentes. Lui, travaille dans "la ferraille". Il n'en dira pas plus. Sa très relative aisance, sa bicoque plus grande que les autres, il la doit à son statut. Ici, il est un peu le chef. Respecté par les autres hommes du campement, c'est lui qui prend la parole ou intime le silence lorsqu'il s'agit de répondre aux questions. Ses deux filles, cheveux longs et doudoune noire, ne sont pas plus bavardes. Elles parlent espagnol.

"On est roumaines. On habite ici depuis dix mois. Ca fait longtemps. Avant? On était ailleurs..."

De l'autre côté du boulevard, près d'un tunnel où sont stationnées des voitures fracassées qui servent aussi de maison aux plus démunis, des gamins courent. Ils quémandent des pièces ou un bonbon. Ils s'appellent Ici, David et Anton. Ils disent aller à l'école. Anton, 13 ans, garde la tête baissée et les poings serrés dans son blouson de cuir marron auquel est accroché un petit papillon de tissu. Seul le plus jeune, Ici, 8 ans, est capable d'écrire son prénom et celui des grands. Très vite, ils oublient la question et se remettent à jouer bruyamment.

"Qu'ils retournent chez eux cette racaille!" apostrophe une vieille dame qui promène ses trois chiens. Imperturbables, les gamins continuent de rire et de parader sur leurs vélos. Ils vivent en face de ce terrain de jeu improvisé.

De la merde, partout

Derrière une grille sur laquelle sèchent des couvertures, des bicoques de bois et quelques campings car. Le sol est boueux, le spectacle chaotique. De la merde, partout, sur plusieurs mètres de terre, rend désormais inutile l'accès aux deux cabines mobiles de toilettes échouées au fond du terrain. Des fauteuils éventrés partout. Des poussettes et des ordures larguées sur les branches des arbres. Des miroirs cloués aux troncs. Des débris de verres par terre.

Comme en face, les toits sont formés par des bâches fixées par des objets improbables. Comme en face, des tuyaux rouillés fument. A l'intérieur des baraques, des poêles ont été installés pour tenir chaud.

Debout, près de la porte de son Mobil home, une jeune fille fait signe. Elle veut raconter son histoire. Au-dessus de la poignée, un autocollant réclame "Un toit pour tous." Cedra a 20 ans et le corps déjà fatigué. Elle parle bas, son bébé, Narjiss dort. Il a 1 an. La bobine douce et souriante, elle parait à la fois gênée et fière de son intérieur. Humiliée de vivre dans cette étroitesse. Regonflée d'avoir astiqué chaque recoin de son foyer. Elle n'a rien pu contre les énormes trous au plafond, menaçant de s'élargir. Son petit radiateur ne peut rien contre le froid ni l'humidité. Elle garde les bras croisés, sauf pour ajuster sa longue jupe à motifs écossais avant de dire qu'elle ne veut pas rester là:

"C'est difficile pour mon bébé. Pour l'eau, je dois aller au robinet, près du métro. C'est mieux que les hôtels ici, mais je veux partir."

Pour avoir une vraie maison. Elle n'en a jamais eu. Pas même en Roumanie, où vit toujours son père. Sa mère est morte. Cedra est donc partie. Son mari, épousé en France, travaille. Elle ne sait pas bien où. Certains employeurs viennent le démarcher, dehors, là où jouent les enfants: "Une femme lui donne 10 euros pour vider des poubelles."

Elle est la seule femme à être là ce dimanche matin. Les autres sont au marché. Cedra n'y va pas, elle n'a pas les moyens. Parfois, elle récupère ce qu'il reste des étals. Elle rigole quand on lui demande si elle a des amis: "C'est quoi, ça"?

Attente de papiers

Un épais nuage de fumées. Un diable plein de bières. Voici les hommes. Une bouteille à la main, ils parlent fort. Un peu à l'écart, un type à bonnet vert sirote en silence. Il attend ses papiers. Il attend façon condamné: il n'a accompli aucune démarche administrative. Machinalement, il pousse du pied un tas d'ordures. Sous les boîtes de conserves, un livre de la la poétesse polonaise Wislawa Szymborka. Elle a écrit un jour:

"Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.
- Je n’ai pas de porte, dit la pierre."

â–ş Photos: Audrey Cerdan.

Par Zineb Dryef  - http://rue89.com/