René, le Senior sacrifié

René rentre dans mon bureau et il n’est pas content. Arrivé comme agent de maîtrise, dans les années 70, René a mené une carrière très honorable puisqu’il est, à l’aube de son départ, position cadre 3A. Il n’a jamais fait partie des happy few, ceux qui ont une voiture de fonction. Pourtant il les connaît tous et tous respectent son ancienneté et son parcours. Tous seront aussi soulagés de le voir partir. Ces Grands Managers, que les jeunes envient et que le middle management craint, sont mal à l’aise quand ils croisent René dans les couloirs : tant de promesses qu’ils n’ont pas tenues. René, quant à lui, est partagé entre l’orgueil de tous les tutoyer et la frustration de ne pas faire partie de leur cercle.
Après les politesses d’usage, René s’installe confortablement dans le siège qui me fait face. Il s’est longuement préparé pour son dernier entretien. Cela se sent. Tous ses gestes sont étudiés. Minutieux.
Je dois mettre René à la retraite. Je souhaite que ce moment soit le plus bref possible. Lui, souhaite le contraire. Pour soigner sa sortie. Il attaque bille en tête : « Sans vouloir être désagréable, je trouve que les compétences ne sont pas très bien exploitées dans cette boîte ». Mais bien sûr… « Vous vous rendez compte que la dernière fois que j’ai vu les Ressources Humaines, c’était il y a dix ans ?! » Je n’étais même pas là….

Le plus embarrassant, c’est que je n’ai jamais souhaité rencontrer René auparavant. Les priorités concernaient d’autres sujets ou d’autres managers. Je sais pertinemment que l’analyse qu’il va me livrer sera juste et ses griefs justifiés. Comment annoncer à un collaborateur exemplaire que la décision vient d’en haut ? Comment lui dire que la semaine dernière en comité, mon chef a conclu par un : « Christine, tu vas nous mettre René à la retraite »…

René ne veut pas partir. Pas comme ça. Pas par la petite porte. Nos 45 minutes d’entretien sont un monologue où mon écoute est le seul respect que je peux lui témoigner.

Il n’y a que récemment que la société pousse les collaborateurs à réfléchir sur leur parcours. Pour prendre du recul et s’orienter dans la voie la plus profitable pour chacun.

René aurait dû s’apercevoir que le système ne lui aurait pas offert la carrière qu’il espérait. Il aurait pu avoir ce discernement.

Non, Mesdames et Messieurs les Seniors*, vous ne serez pas tous califes à la place du calife. Oui, vous pouvez éviter des années d’aigreur… Sollicitez votre Responsable des Ressources Humaines et co-construisez votre carrière avec lui (ou elle, évidemment !). Vous avez tout à y gagner !

*Seniors : 45 ans et plus…