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Un sociologue proche du PS et sa pensée complexifiante

Publié le 20 avril 2011 par H16

Dans une interview qui fait son chemin sur une toile en pâmoison, Jean Viard nous apprend que la France est en phase pré-révolutionnaire, ah ça ira ça ira. Je n’avais pas envie de lire l’article, jusqu’à ce que je tombe sur la micro-biographie de l’auteur par lui-même …

… On y découvre, tout sourire, qu’il a été un temps acoquiné avec Papy Purée, pardon Edgar Morin, qui a déjà eu le privilège sympatoche de faire rire la galerie, ici notamment.

Alléché par un si cocasse partenariat, je me suis donc penché sur le reste de l’article. Et bingo, dès la première phrase, le journaliste défouraille du panda intellectuel puisqu’il commence par :

« Jean Viard, sociologue proche du PS »

En quoi cette information est-elle pertinente ? Soit il fait de la politique, soit il fait de la sociologie, mais en quoi le fait qu’il fasse l’un et l’autre peut-il amener une réflexion plus pertinente que Jo La Frite, lui aussi socialiste, ou Marcel Furoncle, lui aussi sociologue, mais proche du FN à ses heures perdues ? Est-ce qu’un mathématicien proche de l’UMP ou un docteur proche de Mélanchon serait meilleur ou moins bon praticien de son art ?

On ne s’interrogera pas plus et en tout cas, on apprendra dans la suite de l’introduction que notre sociologue proche du PS « pourfend les moyennes qui ne veulent rien dire » . Dommage qu’il n’en fasse pas autant avec les phrases introductives de journalistes ineptes, ça lui aurait évité de participer à une interview sabotée d’avance.

Bref.

La première question attaque notre sociologue sur le mode statistico-économique : pourquoi c’est-y que les économistes et les statisticiens nous disent que notre pouvoir d’achat ne diminue pas alors que les Français ont l’impression exactement inverse ?

Tout comme on demande des conseils de cuisine à un footballeur et un éclairage nouveau en physique quantique à un chanteur du Top 50, notre sociologue s’empresse donc de répondre à la question statistique. Et nous apprend donc que, je cite :

« Le problème, c’est que nos modes de consommation nous coûtent de plus en plus cher. Il y a dix ans, on n’avait pas de téléphone portable, pas d’Internet, quasi pas d’abonnements à des bouquets de chaînes de télévision… L’évolution des modes de vie fait qu’on arrive moins bien à vivre au même standard – au sens où ces nouveaux produits sont maintenant entrés dans le standard. Le sentiment des gens n’est donc pas faux. »

On notera que ce standard de vie, pas mal d’autres pays arrivent fort bien à le tenir. En gros, ce qu’il veut dire, c’est qu’en France, les gens sont plus pauvres. Et force est de constater qu’il n’a pas tort, même s’il le dit de façon torturée. Mais quelques lignes plus loin, après cette entrée en matière raisonnable, c’est la cata. Parlant du marché du logement, notre sociologue remarque finement que :

On dit que c’est un marché, mais il n’arrête pas de produire de la norme, et la seule chose qui est libre c’est le prix, le loyer. Tout le reste est réglementé, et du coup, le prix n’a plus aucun sens : il n’est plus lié au coût de production du logement, ni à son coût d’entretien et de renouvellement. C’est un faux marché.

Le bât blesse dans la conclusion :

Soit c’est libre, et alors on construit n’importe où, et les prix vont s’effondrer, soit c’est réglementé, et les loyers devraient l’être aussi.

Patatras : on regrette le non-sequitur « c’est libre alors on construit n’importe où » ; de nombreux pays ont largement expérimenté le « libre » sans que ce soit devenu « n’importe quoi » ou « n’importe où ». Mais force est de constater que notre sociologue s’en tire, jusqu’à présent, plutôt bien puisqu’il nous dit tout de même que, je cite : « Les réglementations ont aussi un effet pervers. »

À la question suivante, sur un petit mélange déclassement / baisse des salaires, le sociologue nous sort quelques chiffres et quelques remarques déjà entendues, pas spécialement fausses du reste ; il constate que les gens se découpent en deux catégories, d’un côté les salariés en CDI qui ne décoincent plus de leur job, et de l’autre, les contrats « précaires » ou à temps partiel dont les bénéficiaires n’arrivent pas à sortir non plus.

Le journaliste, toujours aussi fin, pilote l’interview d’un sujet à l’autre, sans jamais pénétrer la surface : puisque les deux groupes identifiés le sont comme malheureux de leur condition, on va savoir si la société « entend cette souffrance ». Autrement dit, trouve-t-on quelque chose pour corriger le symptôme ?

Agaçant. On aurait pu s’attendre à une question d’analyse : pourquoi diable notre sociologue trouve-t-il de la souffrance alors que, régulièrement, les Français se déclarent heureux au travail ? Surtout, pourquoi le journaliste en carton ne demande pas au sociologue pourquoi, petit-à-petit, le marché du travail s’est à ce point englué ?

Suis-je tout seul à noter l’extraordinaire similitude entre le paragraphe sur le marché de l’immobilier, franchement visqueux à force de réglementations, et celui de l’emploi, à cette analyse près ?

Baste, revoilà notre journaleux parti à l’assaut d’une nouvelle calinothérapie : comment faire pour atténuer les bobos des gens ? Eh bien … Eh bien on n’en saura rien, puisqu’à cette question, notre gentil sociologue fait quelques jolies bulles de mousse légère autour du mariage, du chômage, des femmes seules avec des enfants, et … ne répond pas à la question. Pour le coup, on retrouve la « pensée foutraque » chère à Morin, où tout, moyennant quelques contorsions, est dans tout et réciproquement à condition d’avoir assez de vaseline pour éviter les frictions douloureuses.

sense : this picture makes none

Mais enfin, jusqu’à présent, on ne pouvait pas trop ronchonner : Viard nous a fourni quelques données, une ou deux opinions personnelles, et, bien que proche du PS, a même admis quelque chose que les libéraux ont compris depuis des lustres.

Cependant, à la question suivante sur une éventuelle « politique du pouvoir d’achat« , ça se gâte puisque notre sociologue sort prestement de son champ de compétence pour rentrer de plain-pied dans celui de la politique interventionniste en faisant des pointes de ballerine. Et là, c’est surtout le « proche du PS » qui ressort bien avant le sociologue :
- Encadrement des hauts revenus car c’est un scandale que des gens gagnent trop; c’est pratique : si on coupe les têtes des plus grands, les plus petits sont moins petits.
- Distribution généreuse d’argent gratuit à des populations ciblées (ici, les femmes seules avec enfant – d’autres auraient dit les immigrés, d’autres les ouvriers, d’autres les étudiants, etc… : c’est sans fin).
- On revalorise le SMIC à 1500 euros sans le revaloriser mais en l’amenant à ce montant et heureusement il y a les transferts sociaux qui produisent de l’argent gratuit lui aussi, c’est super.

Le journaliste ne sera pas interloqué. Ce n’est pas son job. Lui, il est là pour poser des questions, savamment bâties pour aborder un peu tout et n’importe quoi. Après ce bombardement de bisous socialistes, on revient à une question économique et sociale (celle de l’évolution de ce pouvoir d’achat depuis les Trente Glorieuses) à laquelle Viard va nous répondre en fournissant quelques chiffres et quelques platitudes générales pastel qui glissent comme du petit lait après une vodka paysanne de contrebande.

Heureusement, pour clore l’interview, le frétillant pisse-copie lâche un peu la bride à notre sociologue, toujours aussi « proche du PS« , en le lançant sur un peu de prospective 2012. Viard ne se fait pas prier et nous sort, d’un coup, un gloubiboulga un peu bizarre contenant de la révolution, mais pas trop, du keynésianisme, mais avec deux cubes de glace critique, une mondialisation un peu géniale et un peu terrifiante et l’idée d’augmenter les salaires à l’échelle planétaire, pudiquement qualifiée d’ « un peu compliquée ».

La fin ponctue agréablement cette tourte aux fruits, légumes et petits morceaux de plastique, recette qu’on supposera sans mal typique de la « pensée foutraque » et qui permet de déguster en une seule bouchée sa dose journalière de mangibougisme tout en se déchirant un peu le palais : l’interviewé nous explique tout d’un trait qu’il n’est pas trop pour les révolutions, qu’elles sont toujours des échecs, mais qu’elles sont parfois légitimes, que les gens aiment vivre confortablement (ah ? voilà qui surprend !) et qu’à n’en pas douter, 1.8 millions de gogos d’indignés qui lisent dans l’Hessel, c’est de la bombe, man, c’est de la bombe.

Et l’interview s’arrête ici. Chplof. Comme ça.

Et je suis mitigé : finalement, le Viard, il m’a l’air sympathique avec son regard de cocker triste, et lorsqu’il se cantonne à délivrer quelques chiffres et données sociologiques, il semble les pieds sur terre. Mais voilà : ces aspects aimables n’occultent pas tout à fait les vieux relents socialistes et l’absence edgarmorinesque de discipline dans le raisonnement, indigence franchement accrue par les effort surhumains du journaliste pour faire partir l’entretien dans absolument toutes les directions, avec succès.

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