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Pessimisme et feu sacré

Publié le 22 avril 2011 par Assouf
Pessimisme et feu sacréLe pessimisme m'est beaucoup renvoyé à la figure ces temps-ci, au moment peut-être où je le ressens pourtant le moins. Je considère comme mon état normal la pathologie : la dépression, et je ne m'imagine pas autrement d'ailleurs, surtout depuis que j'ai découvert que c'était pour de très bonnes et nietzschéennes raisons - je vous renvoie à Ma maladie est une bénédiction (je ne me souvenais plus avoir donné un titre anglais à cet article, tiens). Devenir un Prince Mychkine actuel que je suis apparaît être la Voie de l'honneur, dans une époque déshonorée, et revient à éprouver ce dont on se convainc aisément à la lecture de Nietzsche : se battre contre le colosse du nihilisme ne fait pas de soi un nihiliste, c'est tout le contraire. 
Le problème est souvent posé en rapport à la question du que faire ? à laquelle il y a une réponse réaliste, et une beaucoup moins (plus ambitieuse) et pour cela jugée utopiste - écartée. Je n'ai pas lu Michéa, mais ça me semble typique de la formation de l'Empire du moindre mal. D'accord, on pourrait imaginer mieux, mais enfin, on a "ça", c'est déjà pas si mal... C'est la légende de la grenouille (à la scientificité contestable). Plongez-la dans l'eau bouillante, elle cherchera à s'enfuir. Plongez-la dans une eau très progressivement chauffée, elle mourra sans jamais avoir compris la menace.
Je trouve dans cette métaphore abusive la justification de l'amour du lointain, et non du prochain. Avoir un système de référence le plus éloigné possible, aussi. Visiter régulièrement le Panthéon des Grands Anciens à épater, dont Nabe décrit le cruel manque dans ces années 2000. Juger les meilleurs de nos contemporains à l'aune de leurs concurrents est une absurdité. Par contre, les comparer à ce qui se faisait de mieux les siècles précédents, voilà qui a du sens, et qui peut servir de boussole. Desproges disait de Jean-Marc Roberts qu'il était présenté, peut-être à juste titre, comme le plus talentueux des écrivains de sa génération - cela devait-il pour autant être vu comme un exploit ? bien évidemment non. C'est à Dante qu'il doit être comparé, et à qui il ne le sera pas une seconde. Circulez.
On me dira : mais ça n'a rien à voir, on ne peut pas comparer. Précisément. Alors pourquoi le faisons-nous ? par défaut, certes, mais nous le faisons. Par négationnisme, par amnésie générale et organisée, nous nous complaisons dans la décadence de notre époque. Lire Léon Bloy est difficile, parce qu'il faut y chercher beaucoup de mots dans le dictionnaire. C'est vrai, mais je le vis comme une honte personnelle, et elle ne dérange personne ; et je tente d'y remédier en l'ouvrant, le dictionnaire. Voici : nous en sommes à une telle avancée dans la destruction des valeurs et de l'âme que le terme médiocrité est encore beaucoup trop flatteur. Depuis mon point de vue, nous vivons la Chute, nous sommes à Babylone, c'est la Bérézina. Pour le penser, le dire, je suis le dépressif. Il me semble pourtant que l'esprit de la défaite est en face, chez ceux qui, sans jamais opposer de faits ni d'arguments, se contentent d'une contradiction de principe, et de la situation qu'ils acceptent, déchéance après déchéance, sans même remarquer qu'il s'agit de déchéances. Faut-il encore que le contempteur de la société dépressive voit sur lui transférer ce caractère dépressif ? Eh bien soit. "Cette multitude d'offenses n'est qu'une goutte d'eau dans un brasier ardent", disait sainte Thérèse de Lisieux.
Et en effet, c'est plutôt une immense flamme, un feu sacré qui me meut. Je passe sur le sauvetage de mon âme. Mais je m'arrête sur des témoignages qui rendent à mes yeux aberrant tout pessimisme. Quand une petite fille de 8 ans m'explique sa surprise et sa joie d'avoir découvert plein de choses et aussi qu'on avait parfois tort et parfois raison, mais qu'on pouvait apprendre après s'être trompé, que c'est ça qui est passionnant et amusant d'imaginer les moyens de vérifier, toujours, ses idées ; quand une autre petite fille de 8 ans revient sur ses pas au moment de repartir avec sa classe pour venir me dire que le séjour avait été génial, qu'elle a adoré, découvert des tas de choses et compris qu'on pouvait apprendre de ses erreurs, qu'elle voulait revenir faire d'autres expériences, et avec un regard brillant de milles et un feux au point que je ne suis pas certain l'avoir entendue dire cela tant son visage lui l'exprimait... le pessimisme est tout simplement impensable, impensable.
Et cette flamme mystique liquide l'écueil de l'inaction politique, celle dont parle Bernard Friot : la lassitude, penser que tout fout le camp, que tout se vaut, qu'il n'y a rien à espérer, et finalement ne pas savoir repérer le subversif dans le monde qu'on habite, pour l'amplifier et en rendre actuelle la portée révolutionnaire. Le désespoir mystique éprouvé est le contraire de la lassitude crainte par Husserl
« Luttons avec tout notre zèle contre ce danger des dangers [la lassitude], en bons européens que n’effraye même pas un combat infini et, de l’embrasement anéantissant de l’incroyance, du feu se consumant du désespoir devant la mission humanitaire de l’Occident, des cendres de la grande lassitude, le phénix d’une intériorité de vie et d’une spiritualité nouvelles ressuscitera, gage d’un avenir humain grand et lointain : car seul l’esprit est immortel. »
Décadence et barbarie, ou Renaissance et héroïsme ? Je suis quichottien, est-il utile de le rappeler ? Mais, en effet, le combat est infini, et la conscience que ce n'est qu'un début, aussi, est infinie...

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