Magazine Société

La Passion du Christ (1) : petites réflexions périphériques

Publié le 22 avril 2011 par Sylvainrakotoarison

Exercice périlleux dans une société qui a raison d’être laïque : je m’essaie à évoquer quelques éléments de l’actualité contemporaine sur la base d’un des textes les plus importants du christianisme. Sans aucune prétention.

yartiPassionC03
Ce vendredi 22 avril 2011, c’est vendredi saint. C’est-à-dire, pour les chrétiens, le jour qui commémore la mort du Christ. Mort avant sa résurrection à Pâques, fête qui termine la semaine sainte qui a commencé par le dimanche des Rameaux, journée où le Christ est accueilli à Jérusalem avec les acclamations de la population et qui s’est poursuivie notamment par le jeudi saint (la Cène) et par la nuit angoissée sur le mont des Oliviers.

Après son arrivée à Jérusalem, Jésus chasse les marchands du temple (hélas, maintenant, ils sont revenus, à Lourdes entre autres), ce qui a rendu furieux les grands prêtres et a abouti à son arrestation et à son martyre.

Entre foi et histoire

La Passion du Christ est l’histoire racontée par les évangélistes se passant entre le jeudi et le dimanche. Elle a plusieurs ressorts et notamment deux : historique et spirituel.

Le spirituel est du domaine de la foi, et la foi n’étant jamais démontrable, elle ne se discute pas, elle se vit plutôt. Ou pas. Ainsi, le Christ a-t-il été le Messie ? A-t-il ressuscité réellement ? Y a-t-il réellement transsubstantiation ?… sont des questions du registre de la foi. Je ne parle pas de la naissance de Jésus (conçu sans fécondation), puisque je me restreins à la Passion.

Mais à côté de ces questions qui ne peuvent pas vraiment trouver de réponse (sinon tout le monde serait croyant ou, au contraire, personne ne le serait, selon la réponse), il y a des éléments historiques assez intéressants.

La description par quatre évangélistes permet ainsi de trouver quelques réalités historiques sur ce qu’il s’est passé, qui sont d’ailleurs confirmées par ailleurs (par des écrivains grecs généralement). Ce n’est plus de la religion, ici, mais de l’histoire, donc de la science, et c’est assez "passionnant" (sans jeu de mot).

En me basant sur le texte selon saint Matthieu (apôtre et auteur supposé du premier évangile canonique en araméen ; ou du deuxième selon des théories plus récentes mais encore controversées), texte parmi les plus courts, je me suis fait un certain nombre de réflexions sur l’actualité encore très présente de cette Passion du Christ.

L’antisémitisme

Le texte pourrait parler d’abord d’antisémitisme. L’antisémitisme n’est pas né à cette époque (les Juifs avaient déjà été déportés au VIe siècle avant JC ce qui leur a permis d’écrire les textes bibliques), mais il a été (involontairement) renforcé par cet épisode. Ce n’est que sous Paul VI que le concept de peuple déicide fut définitivement réprouvé (par la déclaration "Nostra Aetate" du 28 octobre 1965 au cours du Concile Vatican II).

Le film de Mel Gibson (2004) a d’ailleurs été accusé d’antisémitisme (peut-être avec raison, je ne l’ai pas vu et n’ai aucune intention de le voir en raison de ses images trop violentes) pour la manière dont les Juifs sont dépeints (lâches, cruels, noirs).

Mais le texte ne parle pas seulement d’antisémitisme.

Justice et populisme

Il parle aussi de peine de mort : le principe même de la peine de mort. Il parle aussi de torture, de moqueries infligées à celui qui se prétend être le roi. Il parle de lynchage vaguement institutionnalisé (Ponce Pilate s’en lave les mains), de la lâcheté du pouvoir politique vis-à-vis du pouvoir religieux (thème au combien actuel).

J’y vois également la marque du populisme et de la démagogie. En soi, Ponce Pilate n’est pas méchant. Il ne comprend même pas pourquoi Jésus a été arrêté, ou si, il comprend que c’est par jalousie des grands prêtres, mais pour lui, il n’a rien fait de mal. Mais le peuple, la foule souhaite sa mort. Comme finalement il s’en moque, Pilate le lâche à la foule rugissante. Puisqu’elle le veut.

On pourrait d’ailleurs penser que Pilate le fait pour se faire aimer de la foule, mais je ne le pense pas. Il se moque bien d’être populaire puisqu’il est l’occupant et qu’il détient l’autorité et la force armée. Je pense qu’il a agi de la sorte uniquement pour le maintien de l’ordre. La foule semblait si folle que s’il ne lui avait pas livré Jésus, il aurait pu y avoir des débordements. Éviter tout trouble.

Au-delà de la démagogie (de Pilate), on peut aussi y déceler de l’habilité de langage de Jésus lui-même. Dans le dialogue entre le gouverneur et lui, il reste volontairement ambigu : « Es-tu le roi des Juifs ? » et il répond : « C’est toi qui le dis. ». Ce type de parole revient souvent, même avant dans ses dialogues avec les apôtres.

Trahison et reniement

Il y a aussi des thèmes plus personnels, comme la trahison (celle de Judas pour quelques pièces d’argent) ou comme le reniement (Pierre, trois fois avant le chant du coq), histoire de ne pas subir la même chose que Jésus. Qui peuvent se traduire par délation et lâcheté.

Dans la trahison, évidemment, on revient à l’époque de l’Occupation avec la délation. La délation vénale, d’ailleurs, j’oserais dire presque pragmatique, pas idéologique, juste pour gagner de l’argent.

Mais avec la morale sauve puisque pris de remords, Judas renonce à l’argent et se suicide finalement (par pendaison). Le sentiment de culpabilité rend la conscience plus difficile à vivre que la fidélité. C’est peut-être cela qui a motivé de nombreuses personnes à ne pas dénoncer leurs voisins ? Pouvoir encore se regarder dans une glace, très égoïstement ?

Mise en accusation

Étrangement, le texte me replonge dans la pleine actualité de la réforme de la garde à vue applicable dès le week-end dernier et plus généralement, les mises en accusation avant procès et éventuelle condamnation. Il est clair que dans cette affaire, on a cherché à tout faire pour rendre coupable Jésus : « Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème ! » dit le grand prêtre, tout content de trouver un angle d’attaque.

Quand on sait le nombre d’accusés innocents, c’est essentiel que la présomption d’innocence soit matériellement institutionnalisée par l’assistance d’un avocat durant la garde à vue : ainsi, il ne sera plus possible de commettre des traitements dégradants pour avoir des aveux (aveux qui, à mon sens, ne servent à rien s’ils ne sont pas étayés par des preuves factuelles). Il y a deux mille ans, la procédure pénale était encore bien dérisoire.

Féminisme avant l’heure ?

Petites parenthèses à propos du procès : la seule femme de l’histoire (avant Marie-Madeleine et Marie à la fin), c’est la femme de Pilate qui réclame la clémence pour Jésus. Un acte de féminisme ?

En tout cas, une évidence que les femmes seraient moins tentées par le lynchage et seraient plus réfléchies, plus raisonnables et moins passionnelles (même si les généralisations ne sont jamais pertinentes, la mention de cette anecdote dans le texte est suffisamment discrète pour renoncer à y voir une désinformation).

Blasphème

Mise en accusation, erreur judiciaire (le mot me paraît étrange, je dirais plutôt faute judiciaire), et aussi, comme le dit le grand prêtre, blasphème.

Comment peut-on parler de blasphème dans la société laïque d’aujourd’hui ? Le blasphème semble avoir traversé les temps en passant du christianisme à l’islam. Mais justement, ne peuvent être blasphématoires que des personnes croyantes. Ceux qui ne croient pas ne peuvent ni provoquer ni insulter ni parodier un dieu inexistant. Quant à ceux qui croient, ils doivent cependant être également protégés dans une société laïque.

Souffrances corporelles

Il y a aussi dans ce texte très riche la question de la souffrance. La souffrance est-elle rédemptrice ? Faut-il tout faire pour supprimer la douleur ? On n’est déjà plus loin des questions que posent l’euthanasie, par exemple, ou les soins palliatifs.

Entre fatalité et libre arbitre

Celui qui se prétend fils de Dieu qui se laisse sauvagement torturer. C’est aussi une preuve d’humilité. Il aurait pu se dire : "J’ai le bras long, je vais vite me dégager de cette galère".

Mais non, il laisse se réaliser les Écritures. Là, c’est un côté intéressant (et peu catholique d’ailleurs, plus protestant), c’est l’aspect de la fatalité. À quoi bon refuser le destin qui est écrit ? La page est déjà écrite. Un élément qui paraît en contradiction avec la liberté également prônée comme cause du mal dans le triptyque : "Dieu est bon, Dieu est puissant, Dieu laisse l’humain libre". Comment Dieu puissant et bon peut-il laisser le mal se développer ? Parce qu’il laisse aussi la liberté, celle de faire le mal. Or, en donnant cette liberté, il efface toutes les pages du destin qu’il aurait pu écrire auparavant. Pas de fatalité donc. La fatalité serait même la caractéristique d’un monde parfait sans existence du mal.

Contradiction impossible à lever, un peu à l’instar des démocraties qui ne peuvent empêcher l’expression des groupes antidémocratiques au nom des principes mêmes de la démocratie. Il y a cette fameuse phrase du même évangile de saint Matthieu : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. ».

Le fait que même Dieu (par Jésus) puisse lui aussi subir le sort atroce laisse entendre que ce dieu est un dieu de proximité, qui se salit les mains, qui connaît la condition de "ses" humains. Victime du mal et en même temps, triomphateur du mal. Mais attention, cette partie sur le libre arbitre n’est plus sur les faits mais sur la foi. La foi que Jésus serait divin, qu’il renaîtrait de sa mort, qu’il rachèterait le pêché originel par sa crucifixion etc.

Doute

Et qui dit foi dit doute. Il y a bien la "foi du charbonnier", comme on dit, mais aujourd’hui, il est plus facile de douter que de croire. C’est là où le texte de la Passion est intéressant. Là aussi, d’un point de vue historique, je pense que cela peut être contesté car il n’y avait pas de caméra de télévision à l’époque des fait. Mais il est toutefois intéressant de noter ce qui suit.

Suant de sang, Jésus a la trouille, finalement, la nuit avant son arrestation. Il a le trac, comme un étudiant avant son examen. Ou un condamné à mort avant son exécution. Il est réellement angoissé. Pire. Le comble pour un fils de dieu : il DOUTE ! « Mon père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! ». Puis sur la croix, il aura encore ce doute terrible : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».

Le doute fait partie de la foi.
Et cette assertion peut s’appliquer à beaucoup de domaines, même très éloignés des religions.

Dans mon prochain article, j’évoquerai la date de la mort du Christ et je conclurai l'exercice par une citation de saint Paul.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 avril 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte selon saint Matthieu.
(Illustrations : 1
e Salvador Dali ; 2e Edvard Munch)
yartiPassionC02



  

 http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-passion-du-christ-1-petites-92688

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-286


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvainrakotoarison 1208 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine