
D’abord le merle. Ce croisement du coq et du rossignol siffle le réveil printanier de cinq heures sur tous les toits de la ville. Il n’ôte jamais sa soutane et connaît par cœur les Bucoliques. Spondée, dactyle : son hexamètre est de l’allégresse codée, du morse arrangé par Mozart. Vous songez quand même à vous rendormir, mais la tourterelle prend le relais dans le registre de la douceur mièvre -rou rouuuu rou… rou rouuuu rou… rou rouuuu rou, etc. Il en est des oiseaux comme des humains, les rabâcheux ont le dernier mot mais on ne les écoute plus.
Après l’ouverture pour flûte et hautbois, vient le tour de la grosse caisse : le camion des « boueux », acheminant en crescendo decrescendo un rugissement de course et un claquement de poubelles à vous faire regretter de ne pas vivre d’amour et d’eau fraîche. Puis c’est La Vengeance du sous-fifre, un solo pour cyclomoteur, dont la stridence aussi sûrement qu’une rage dentaire vous compromet le rendormissement de six heures trente. Les mains croisées sous une nuque philosophe, vous prenez alors en analgésique le long et doux chuintement de l’express régional, qui relève d’un demi-ton la sourdine de l’autoroute.
Pour clore la symphonie, les chœurs, comme chez Beethoven. Une pétulante mamie accueille sous votre fenêtre ses trois souriceaux à hauts cris de tendresse réciproque, avant d’encourager la mère, attendue sur quelque estrade collégienne à trois tours de roue, mais un tour de roue vaut ici vingt minutes. La huitième heure sera donc pour la jeune maman celle de broyer du noir devant des blancs becs ; pour vous, celle d’aller faire vrombir la cafetière électrique et jaser la radio. « Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, / Simple et tranquille ! / Cette paisible rumeur-là / Vient de la ville. »
Arion
[1ère parution le 30 avril 2008. Les commentaires initiaux ont été conservés]

