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La notion de pardon dans les principales religions

Publié le 25 avril 2011 par Unpeudetao

 
“Pour aborder le Pardon par un angle inhabituel, je vais vous conter une histoire. Cette histoire trouve sa source au cœur d'une maison ouverte sur le monde, dans un lieu au carrefour de l'humanité. Cette demeure comporte une immense pièce centrale, d'où rayonnent cinq couloirs, Vue de la terrasse qui surplombe le toit, la maison forme un immense soleil. Chacun de ses cinq rayons trace le chemin menant à une chambre aux portes ornées chacune d'un symbole, représentant la conscience et la présence de celui qui l'habite.

Un être sage dirige la vie de chacun. Tous les jours, il inscrit sur un tableau une phrase, une seule, interpellant l'ensemble des membres de cette communauté imposée par des circonstances connues d’eux-seuls, mais devant également faire sens à chacun en particulier. Ce tableau est le lien de convergence des habitants de cette étrange maison. La phrase tracée ce jour, veille de la fête juive du Grand pardon, est lapidaire :

“Pardonner n'est pas oublier”

Le maître des lieux va frapper à une porte portant un croissant en son centre. Un homme, vêtu d'un élégant costume noir ouvre, regarde longuement son invitant, puis se dirige vers un autre tableau, vierge de toute inscription. Il s'assoit sur des coussins à même le sol, prend des pinceaux, de l'encre de chine, ferme les yeux puis trace d'un geste quelques mots “Le pardon est un paradoxe et nous en sommes la représentation vivante”. Puis il frappe sur un gong avec un maillet de bois, trois fois. Une à une les autres chambres s'ouvrent, celle ornée d'une étoile d'or, celle revêtue d'un lotus, celle portant un Christ en croix. La séance peut commencer. Chacun s'assoit dans un profond fauteuil selon un rituel immuable, prend sur une table à ses côtés un livre à lui seul destiné. Le maître des lieux rappelle les règles. Chacun devra écouter l'autre, ne pas le contredire puis exposer son propre point de vue, à travers le prisme de sa propre histoire.

Lobsang parle en premier. Cela aussi est immuable.
“Mes chers amis! Azzam nous lance un nouveau défi! Le paradoxe du Pardon? En quoi sommes-nous la représentation vivante du paradoxe du pardon? Le fait d'être de quatre horizons cultuels différents nous autorise-il à penser que nous soyons en contradiction, une contradiction s'imposant presque d’elle-même? Que dit le bouddhisme du pardon, qui soit opposable à vos traditions respectives? Un jour, je vous ai conté une histoire qu’aucun d’entre vous n’a semblé comprendre.
Celle d’un très vieil homme ensanglanté assis sur un zafou, immobile et les yeux clos, au pied du Potala. Lhassa était envahi par l’armée chinoise, déjà. Des soldats l’avaient mis en joue. A ses pieds, trois moines gisaient là, face contre terre. L’un d’entre eux était son fils. Les soldats hurlaient, le bousculaient. Pour seule réponse, il ouvrit les yeux, regarda les soldats l’un après l’autre, leur adressa un sourire lumineux. Ce sourire leur faisait offense, ils s’acharnèrent à le détruire. Cet homme était mon grand-père. Caché derrière un pilier, je n’ai rien fait. Depuis, je vis avec cette boursouflure dans mon âme. Je n’ai rien oublié et je n’ai pas encore pardonné.

Que dit le bouddhisme du pardon ? L’idée d’un dieu d’amour qui pardonne n’existe pas, ce qui est mis en avant c’est l’effet que le pardon peut avoir sur celui qui pardonne. Le mot même de pardon n’a d’ailleurs pas d’équivalent exact en sanskrit. La loi du karma, loi de causalité naturelle, que l’on constate mais qui n’est pas une justice divine, veut que tout acte ait sa rétribution, sous forme de bonheur pour les actes positifs, sous forme de souffrance pour les actes négatifs. Je souffre, oui. Cette rétribution est automatique. Nul ne peut y échapper. Néanmoins l’énergie engagée dans les actes, positifs ou négatifs, n’est pas infinie, elle s’épuise. D’où l’impermanence. Nous ne connaissons pas notre karma et ne sommes donc jamais sûrs d’obtenir ou de conserver une existence favorable, notre karma évolue en fonction des actes nouveaux que nous accomplissons. Il n’est pas une fatalité. A ce sujet, Bouddha a dit « si vous voulez connaître vos existences passées, considérez votre situation présente, si vous voulez connaître vos existences futures, considérez vos actes présents (ceux du corps, de la parole et de l’esprit) ».

Les soldats qui ont assassiné mon grand-père et mon père ne seront libérés de leur karma que par mon propre pardon. Mais comment puis-je pardonner alors que je ne suis pas la victime ? J’ai besoin de votre aide. Eclairez-moi, mes amis.

Michaël prend alors la parole : “Lobsang, le pardon et la réconciliation marchent ensemble. Le « Notre Père » invite les Chrétiens, à pardonner aux hommes leurs fautes, comme le Père céleste leur a lui-même pardonné. Le pardon est fondateur du royaume de Dieu. A l’origine de la réconciliation de l’homme avec Dieu, il est aussi le moyen de la réconciliation de l’homme avec l’homme Il y a une exigence de réconciliation, comme il y a une exigence de pardon dans le message évangélique. La réconciliation, au sens biblique du terme, n’est jamais inconditionnelle et unilatérale. Pardonner ce n’est pas laisser l’autre s’en tirer à bon compte, dégagé du poids de sa faute et poursuivre son chemin avec la possibilité de recommencer, sans subir les conséquences de ses actes.
Le pardon est une invitation à la réconciliation et non une réconciliation à bon marché offerte à l’offenseur.

Pardonner jusqu’à 77 fois 7 fois, comme nous y invite l’Evangile est une chose, vivre une authentique réconciliation en est une autre. Tu n’es pas la victime, certes, mais tu es le messager de tes pères absents. S’il est vrai que bien des choses en ce monde nous empêchent de vivre une pleine et entière réconciliation entre les hommes, il n’en demeure pas moins que l’évangile nous invite à être vraiment prêts à pardonner et à rétablir autant que faire se peut les relations rompues. Ainsi mon cher Lopsang, trouvera-tu peux être la paix.

David respire profondément avant de se lancer. “Le pardon, mes frères, a-t-il une valeur au delà de l'impardonnable? En accordant son pardon, la victime absout-elle, pour reprendre des termes familiers à Michaël, la faute de son bourreau? J’ai fait un rêve cette nuit, je marchais dans la neige, pourtant mes pas ne laissaient aucune trace derrière moi. J’aurai dû frissonner, vêtu de lambeaux d’étoffes. Pourtant je ne frissonnais pas. J’avançais obstinément dans un univers sans couleurs. Aucune sensation ne m’habitait, ni froid, ni faim, ni mémoire. J’étais juste ombre, issu de l’ombre. Là bas, au loin, d’invisibles musiciens jouaient l’ouverture des Walkyries, pour un peuple de chiens, dont j’entendais les aboiements. J’avançais toujours. Soudain l’univers se déchirait et ma compagne apparaissait. C’était ma Marthe, celle d’avant, avec son sourire lumière. Elle agitait les mains vers moi, qui ne pouvais la rejoindre. Puis le peuple des chiens envahissait l’espace, entourait Marthe, l’obligeait à reculer. Et, comme toujours, je me suis réveillé en hurlant.

Je ne suis pas passé de l’autre côté de la frontière de l’impossible pardon. J’aimerai faire mien le concept de Derrida qui dit que « Le pardon ne peut et ne doit pardonner que l’impardonnable. Pardonner le pardonnable ce n’est pas pardonner ». Mais ce pardon –là me semble une trahison, une trahison pour Marthe, pour toutes les Marthe, abstraites de ce monde par le seul fait d’être nées sous une mauvaise étoile. Je sais cependant intimement que ce pardon serait libérateur, mais je n’en ai pas la force. Pas encore.

Puis Azzam prend enfin la parole : «Dans l’islam, Dieu a l’initiative du pardon. Le péché, quel qu’il soit, est essentiellement désobéissance à la Loi divine révélée, la Charia. Le plus grand des péchés est celui qui porte atteinte à l’unicité divine, faute communément attribuée aux Chrétiens, avec le concept de trinité. Associer à Dieu d’autres Dieux est la seule faute qui détruit le paradis des croyants. Plusieurs termes arabes sont utilisés pour traduire le verbe pardonner. L’un signifie couvrir d’un voile, pour dire que Dieu recouvre la faute pour ne plus la voir et donc l’oublier, un autre terme a le sens d’effacer, un troisième est utilisé pour Dieu qui revient vers l’homme et pour l’homme qui revient vers Dieu après son péché. Dieu est en effet « le pardonneur », celui qui a l’initiative du pardon. C’est pourquoi le jour de l’aïd el fitr, lorsque nous rompons le jeûne à la fin du Ramadan, nous nous offrons un pardon mutuel, c’est un jour de réconciliation entre tous les hommes. Rien cependant n’autorise à penser que ce pardon-là n’est autre que rite et religion. Je crois authentiquement que, pour Lobsang comme pour Michaël, le pardon est un travail lent et douloureux, mais indispensable, non pour les victimes définitivement empêchées de venir offrir le leur, mais pour éviter la propagation du malheur, de génération en génération.

Le maître du lieu s'avance alors et dit : « Je vous ai entendu, mes amis, chacun a cru défendre, selon ses valeurs et ce qu'il représente sur notre échiquier, la notion de Pardon. Bien que vous ayez tous tenté de vous abriter derrière le paravent cultuel dont vous êtes imprégnés, aucun d'entre vous n'a étayé la réflexion que je proposais ce jour. Pourquoi vous êtes vous ainsi inhabituellement dérobés? Qu'y a-t-il dans ce concept du pardon qui vous fait emprunter des chemins de traverse?

Nous qui sommes unis en ce lieu depuis si longtemps, observateurs attentifs du spectacle du monde, nous nous sommes engagés à être hors de ce monde pour en être des veilleurs, des éveilleurs même, pas pour gloser, comme vous venez de le faire, avec émotion, certes, mais sans véritable intention.

Je vous invite, si vous ne l'avez encore fait, à lire l'ouvrage de Vladimir Jankélévitch, « L'imprescriptible » et à vous pencher sur la page 14. Que nous dit le philosophe en réponse à la question: “Faut-il pardonner?”. « Qu'il existe entre l'absolu de la loi d'amour et l'absolu de la liberté méchante une déchirure qui ne peut être entièrement décousue. Nous n'avons pas cherché à réconcilier l'irrationalité du mal avec la toute puissance de l'amour. Le pardon est fort comme le mal, mais le mal est fort comme le pardon».

Paradoxe, semble-il, à l’image de notre communauté. Souvenez-vous cependant que les portes de cette demeure ne pourront s’ouvrir que lorsque chacun d’entre vous sera prêt en son âme et conscience à accorder sa confiance en cette humanité, en lui offrant les piliers de notre sagesse et de notre force. Ainsi, peut-être la beauté refleurira –elle sur les cendres, rendant ainsi un sens acceptable par tous à la notion de Pardon. Nous n’avons encore rien résolu, nous n’avons fait qu’ouvrir le questionnement. » “

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