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L’école ne doit pas éduquer mais instruire

Publié le 27 avril 2011 par Veille-Education

En interrogeant son ancien professeur de philosophie, Coralie Delaume se penche sur un sujet brûlant : le malaise de l’école qui, selon son interlocuteur, est autant le fait de la gauche, qui en transformant l’école en lieu ouvert lui à fait perdre son caractère protégé, que de la droite, qui a provoqué un véritable manque de moyens.
Jean-Claude Blanc est professeur agrégé de philosophie. Particulièrement soucieux des questions de laïcité et du devenir le l’école publique, il donne régulièrement des conférences dans le Sud de la France. Ayant gardé un excellent souvenir de celui qui fut mon « prof de philo » en terminale, je suis allée à sa rencontre pour le questionner sur le « malaise de l’école publique ».

Il est de plus en plus fréquent d’entendre dire que «l’école va mal». Pensez vous que cela soit le fait des réformes récentes entreprises sous le règne de Sarkozy et par la main de ses ministres successifs ?

Je ne le pense pas. Car s’il est vrai que l’école va mal, il me semble qu’on peut faire remonter cela à 25 ans environ. Or il y a eu des alternances politiques sur cette période. Force est donc de constater que nous sommes là face à un problème politique singulier qui fait fi du clivage droite/gauche. Et les réformes entreprises tant par la gauche que par la droite depuis des années, loin de s’annuler, se sont complétées.
Quand la gauche était au pouvoir, elle s’est beaucoup inspirée des prétendues « sciences de l’éducation ». Les mesures décidées par Jospin ou par Allègre, et qui avaient pour objet de «mettre l’élève au centre de l’école» et de faire de celle-ci un « lieu de vie » ouvert et non plus un lieu fermé, protégé, de transmission des savoir, ont parfaitement préparé le terrain aux réformes décidées aujourd’hui par la droite libérale, et qui sont responsables, pour la première fois depuis bien longtemps, de l’apparition d’un véritable manque de moyens.

Pour la première fois depuis bien longtemps ? Vous voulez dire que le manque de moyens si souvent dénoncé par les syndicats est un phénomène récent ?

Bien sûr ! Alors que la question porte depuis longtemps déjà sur la question des fins, les syndicats s’arc-boutent sur celle des moyens. Mais savez-vous qu’il y a seulement cinq ans, la France était le pays d’Europe qui, après la Suède, consacrait la plus grosse somme à chaque élève, et ce du primaire au lycée ?
Hélas, cela n’est plus vrai aujourd’hui. Comme le rappelle Claire Mazeron, de nombreuses coupes sombres ont désormais fait passer la France au plus bas niveau européen pour son taux d’encadrement des élèves. Cependant l’apparition du phénomène, même rapide, demeure récente.

Ainsi donc nous aurions un problème de définition des fins, qui serait bien antérieur à celui de l’allocation des moyens. Pourtant, en termes de fins, l’idée d’une « école ouverte », ayant pour mot d’ordre « l’élève au centre » semble plutôt une idée généreuse !

En effet, cela a l’apparence du progressisme. D’un progressisme qui s’opposerait à « la nostalgie des blouses grises ». Mais ces slogans apparemment sympathiques sont un leurre. Ils témoignent d’un oubli des caractéristiques mêmes de l’école, qui me semblent être au nombre de deux. Tout d’abord, l’école est un lieu particulier, un espace/temps unique et singulier. Ensuite, elle a une mission particulière, qui est celle d’instruire.

En quoi ce cadre espace-temps représenté par l’école est il si particulier ? En quoi est-il différent, par exemple, d’un autre cadre de travail ? L’élève passe huit heures par jours à l’école, le salarié passe huit heures par jour dans son entreprise. La différence est-elle si grande ?

Fondamentale ! Au contraire du monde de l’entreprise, l’école représente ce temps unique où l’on se détourne de l’utilitaire pour se consacrer uniquement à se « faire soi-même ». Ceci remonte à la notion latine de « schola » : c’est l’idée d’un temps où les contraintes ordinaires de la vie sont suspendues, et pendant lequel, en se dépouillant de tout souci relatif à « l’avoir », on va pouvoir cultiver son « être », sa propre humanité. Or si dans l’Antiquité seuls quelques privilégiés pouvaient prétendre à un tel « loisir », les penseurs révolutionnaires ont décrété que chacun devait pouvoir en disposer, que tout enfant était à la fois candidat à l’humanité (laquelle se conquiert, se mérite), et candidat à la citoyenneté. Toute la préoccupation des philosophes de la Révolution était de parvenir à transformer de sujets en citoyens, capables de penser le bien public, l’intérêt général. « Il faut que la raison devienne populaire » disait Condorcet. Par la suite, la troisième République a institutionnalisé cette école publique, en la voulant obligatoire et gratuite, comme nous le savons. Mais cette institution, dès lors, devra sans cesse être défendue, ne serait-ce que parce que la « société civile » n’aura de cesse de vouloir assujettir l’école à ses demandes particulières. Il faut sans cesse rappeler, par exemple, que les règles de l’école ne sont pas celles de la famille. Car l’enfant n’y est plus seulement un enfant, il y est un élève. A l’école, on ne se préoccupe plus du confort et de l’affection pour l’enfant. On s’adresse à la raison de l’élève. Le rapport maître/élève n’est d’ailleurs pas un rapport affectif : on ne demande pas à un professeur d’être « sympa ». On lui demande d’être exigent et juste. Et également exigent avec tous, d’ailleurs. Car à l’école, l’élève se trouve « un » parmi des égaux. Comme le disait Jacques Muglioni, « à l’école, il n’y a pas d’étrangers ».
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