Magazine Environnement

Un remarquable site naturel des Pyrénées Centrales menacé

Publié le 01 mai 2011 par Lagela

Marcel Saule, botaniste, est l’auteur de la Grande Flore illustrée des Pyrénées. Il vient, chaque année depuis un demi-siècle, randonner et herboriser en vallée d’Aure. Choqué par ce projet de création de station de ski en vallée de la Gela, il nous a fait parvenir ce texte par l’intermédiaire de sa fille, Hélène Saule-Sorbé.

La tribune que lui ouvre l’association est d’autant plus pertinente que ses travaux sont mentionnés dans le dossier d’UTN (chapitre 1 page 92). Merci à lui pour sa contribution.

**************

Dans la suite des vastes cirques glaciaires ouverts sur le versant nord des Pyrénées Centrales, dont les crêtes portent à plus de 3000 m les pics emblématiques de la chaîne, se succèdent d’ouest en est le cirque de Gavarnie, le plus célèbre et le plus visité, le Cirque d’Estaubé, voie d’accès à la brèche de Tuquerouge et au Mont-Perdu, desservi par la route jusqu’au barrage des Gloriettes à 1620 m d’altitude, le Cirque de Troumouse au pied de la Munia (3133 m) avec une desserte routière jusqu’à 2100m, et enfin le Cirque de Barroude tout aussi remarquable que les deux précédents dont l’accès miraculeusement protégé, uniquement pédestre à partir de 1400 m d’altitude – ce qui est exceptionnel – échappe encore à l’envahissement motorisé et à ses nuisances.

La promenade à Barroude est l’une des plus belles des Pyrénées. Longeant d’abord l’étroite et encaissée vallée de la Géla, entaillée dans de puissantes assises calcaires recoupées par des filons de roches magmatiques, elle permet l’observation facile de la riche flore calcicole de l’étage montagnard, laquelle déploie, du printemps à l’automne, les merveilles de ses floraisons successives.

Pelouse rocailleuse qui se développe de part et d’autre du chemin en aval et en amont du rocher de la vierge, jusqu’à la berge du torrent, de 1350 à 1480m :

  • Ononis matrix, Ononis matrix L
  • Rhapontique faux artichaut, Rhaponticum cynaroides, Lessing (plante protégée 1)
  • Crépis des Pyrénées ; Crepis pyrenaica (L) W. Greuter
  • Ail de la Sainte Victoire ; Allium victorialis L
  • Drave blanchâtre, Draba incana L (plante protégée 1)

Fissures, vives, couloirs, de l’escarpement calcaire, redressé qui domine le chemin entre 1480 et 1700m, les Lavasses  de la Géla, orienté nord-ouest :

  • Raisin d’ours, Arctostaphylos uva-ursi (L) Sprengel.
  • Dryade à 8 pétsales, Dryas octopetala L
  • Epiaire queue-de-renard, Stachys alopecuros (L) Bentham
  • Crapaudine à feuilles d’hysope, Sorderitis hysopifolia L (thé de montagne)
  • Gypsophile rampant, Gypsophila repens L
  • Buplèvre anguleuse, Bupleurum angulosum L
  • Réséda glauque, Reseda glauca L
  • Edelweiss, Leontopodium alpinum Cassini
  • Saxifrage à longues feuilles, Saxifraga longifolia Lapeyrouse
  • Scabieuse colombaire, Scabiosa columbaria L
  • Helianthème nummulaire, Helianthemum nummularium (L) Miller
  • Renoncule thora, Ranunculus thora L
  • Trèfle bai, Trifolium badium Schreber
  • Benoite des Pyrénées, Geum pyrenarium Wildenow
  • Valeriane des Montagnes, Valeriana montana L
  • Saule des Pyrénées, Salix pyrenaica Gouan etc…etc…

Sur rochers irrigués et ombragés :

  • Crépis des marais, Crépis paludosa
  • Calamagnostis faux-roseau, Calamagrostis arundinacea (L) Roth
  • Cystopteris des montagnes ; Cystopteris montana Desvaux (1) (plante protégée 1)
  • Millepertuis nummulaire, Hypericum nummularium L
  • Véronique de Gouan, Veronica gouanii moretti
  • Carex des régions froides, Carex frigida Allioni
  • Saxifrage faux-aizoon, Saxigraga aizoides L

Sous bois de la hêtraie qui domine le chemin et vallonnement herbeuse en contrebas :

  • Pigamon à feuilles d’Ancolie ; Thalictrum aquilegifolium L
  • Laitue de Plumier ; Cicerbita plumieri (L) Kirchleger
  • Crepis fausse lapsane ; Crepis lapsanoides (Gouan) Taush
  • Aconit tue-loup ; Aconitum lycoctonum L
  • Géranium des forêts ; Geranium sylvaticum L
  • Rumex à feuilles d’arum ; Rumex arifolius Allioni
  • Iris des Pyrénées ; Iris pyrenaica Bubani
  • Lis martagon ; Silium martagon L
  • Astrancie majeure ; Astrantia major L
  • Euphorbe d’Irlande ; Euphorbica hyberna L
  • Pulsatille des Alpes ; Pulsatilla alpina (L) Delarbre
  • Spirée ulmaire ; Spiraea ulmaria L
  • Millepertuis de Burser ; Hypericum burseri Spach

Etc…etc…

En amont des gradins calcaires, le chemin subhorizontal débouche sur l’immense auge glaciaire dont les vastes pâturages se déploient sur près de 3 km jusqu’au pied du socle rocheux qui porte les lacs de Barroude à 2355m.

Valée de La Gela dans les Hautes-Pyrénées

Le chant du torrent qui grondait au fond de la gorge s’adoucit, les hampes lumineuses du lis des Pyrénées se dressent de part et d’autre du sentier, le cincle d’eau à plastron blanc qui explorait les eaux cristallines de la Géla s’éloigne de la berge suivie par les randonneurs. Sur les terrasses herbeuses qui s’élèvent vers le pic Piau, chemine lentement une harde d’isards.

isards en vallée de la Gela (Pyrénées)

Les sonnailles des grands troupeaux de bovins qui paissent à tous les étages de la pelouse couvrent le murmure de l’eau. Les images et les sons d’une nature belle et paisible composent une admirable symphonie pastorale, tandis que les brumes du matin se dissipent et révèlent la longue et vertigineuse muraille blanche et monolithique qui barre le ciel d’Espagne, depuis le pic de Troumouse (3085 m) jusqu’au Gerbats.

Et c’est là, en ce lieu de rêve, la Hourmagerie, en amont de l’unique et discrète bergerie, qu’un projet stupéfiant va implanter le bric-à-brac métallique et mécanique et vomir tout le béton nécessaire à un relais de remontée vers la station de Piau Engaly avec ses bâtiments de confinement et de stockage destinés à la sécurité des personnes en cas de mauvais temps, ses bassins de retenue d’eau (40 000 m3) pour l’approvisionnement des canons à neige, sans parler du tracé des pistes, etc. Et cela, à quelques dizaines de mètres de l’accès le plus oriental du parc national, avec les répercussions fâcheuses que l’on peut prévoir sur la faune qui y est préservée dans les meilleures conditions jusqu’à aujourd’hui.

Ce saccage et ces aménagements dévastateurs qui menacent l’avenir d’un site naturel exceptionnel sont programmés à un moment où le tourisme du tout ski exclusif doit désormais prendre en compte les conséquences du réchauffement climatique, la brièveté de la saison hivernale propice, et la nécessité pour les stations de montagne de s’orienter vers une offre plus diversifiée, étalée dans le temps à la période estivale, incluant donc la découverte, la fréquentation et la connaissance des milieux naturels. En cela, les potentialités du site La Géla-Barroude sont exceptionnelles en raison de leur richesse et de leur variété, depuis le bas de l’étage montagnard jusqu’à l’étage nival, et de la qualité de leur préservation jusqu’à ce jour.

Notre dame de la Géla dont la statuette est toujours ornée de frais bouquets de fleurs naturelles, les amoureux de la nature et des Pyrénées se tournent vers vous, et vous prient d’exaucer leurs prières pour la sauvegarde de cette splendide montagne.

Vierge de la Gela (Hautes-Pyrénées)

"Au passant qui ton nom murmure, ô vierge, rend la route moins dure"

Que dire, enfin, du parking de 500 places à la sortie française du tunnel de Bielsa, belle carte de visite en effet pour cette entrée en France en venant d’Espagne, se substituant à l’état présent qui met en scène le pâturage et le troupeau de brebis géré par le berger de la cabane de Saux, juste en aval, réputée pour son excellent fromage ? La route des skieurs espagnols doit-elle être interrompue à ce stationnement pour qu’ils n’aient pas l’opportunité de descendre dans la vallée d’Aure, d’en découvrir les charmes, le patrimoine et d’y fréquenter les cafés, les restaurants et les commerces qui s’égrènent entre Fabian et Saint-Lary ?

Nous connaissons le savoir-faire du groupe Aramon, dévoreur insatiable d’espaces naturels, développant au-delà du raisonnable ses entreprises tentaculaires et ses capacités de convertir la montagne, conservatoire ultime d’une nature sauvage en parkings de supermarché. Il suffit de franchir le col du Pourtalet en haute vallée d’Ossau en direction de Formigal, pour en avoir une image édifiante.

Notre dame de la Géla…

Marcel Saule

(1) Plante protégées :

Dicotylédones : Leuzea rhapontica (L) J. Holub = Rhaponticum cynaroides Lessing

Draba incana L

Pteridophytes : Cystopteris montana Desvaux

Cf. Liste nationale actualisée au 1er janvier 1999, Arrêt relatif à la liste des espèces végétales protégées sur l’ensemble du territoire (annexe I)

NDLR : Les liens conduisants aux plantes mentionnées par Marcel Saule sont issues du site Fleurs des Pyrénées

Voir aussi sur le sujet, l’article de Wikipedia : flore des Pyrénées


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Lagela 1389 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte