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Merméros et Phérès

Publié le 02 mai 2011 par La Bienveillante @Ema_Dellorto

C'est pour vous si la succession de pères prompts à tuer leurs enfants vous étourdit.

J'ai été très raisonnable et n'ai pas cherché à connaître la part respective d'auteurs masculins et féminins d'infanticide.

Assumons qu'elle est de 50%.

Agamemnon sacrifie Iphigénie pour gagner la route du Rhum. L'ambitieux. Érechthée bousille sa benjamine Chtonie pour sauver son trône.

Agavé prend son fils pour une bête sauvage et le met en pièces. Athamas prend son fils pour un cerf et le tue. Ino se précipite dans la mer avec le sien à son insu. Not guilty.

Althée oublie que son fils est une bûche et sous une température peu clémente le jette au feu. Not very guilty.

Fusion des deux syndromes précédents, Héraclès est dans un sale état quand il jette lui aussi ses enfants au feu. J'atténue.

Eole garde les mains propres en ordonnant à sa fille Canacé de se suicider après son amour incestueux avec son frère (puis jette l'enfant de cette union aux chiens). L'argument moral.

Un costaud : Procné tue Itys, son jeune fils, en compagnie de sa soeur abusée par Térée, mari, père et beau-frère des uns et des autres. Térée bouffe Itys, ce qu'il ignore. Médée est également conduite à zigouiller Merméros et Phérès par l'inconstance de son amoureux Jason.

Cette rapide recension est assez efficace pour distinguer 3 raisons de tuer ses enfants. 

(au passage, un chouette panel de prénoms si envisager de faire vos courses au marché bio Raspail avec votre fils Artaud vous déprime d'avance).

1 parce qu'on n'a pas toutes ses facultés mentales.

2 pour se venger du conjoint.

3 parce qu'on n'a pas le choix.

Au contraire des Grecs, chez nous, il est peu "utile" de supprimer les petits.

Les déments c'est les déments. Quoique, l'infanticide pourrait-il devenir une maladie mentale transitoire à l'instar des fous voyageurs ? On s'en inquiètera en temps voulu.

Et puis le cas n°2 : la Médée-Manie. 

Car même Procné a pour elle de venger sa soeur, abandonnée dans une grotte la langue coupée par l'infidèle. Ca se discute bien sûr car quel besoin de faire rôtir son fils, vous pourriez me convaincre que c'est pire.

"S’il cesse de m’aimer, qu’il commence à me craindre" dit Médée

Et pourquoi ne se contente-t-elle pas de l'estourbir, le félon Jason ?

Tu t’abuses, Jason, je suis encor moi-même.

Tout ce qu’en ta faveur fit mon amour extrême,

Je le ferai par haine ; et je veux pour le moins

Qu’un forfait nous sépare, ainsi qu’il nous a joints ;

Que mon sanglant divorce, en meurtres, en carnage,

S’égale aux premiers jours de notre mariage,

Et que notre union, que rompt ton changement,


Trouve une fin pareille à son commencement.

Déchirer par morceaux l’enfant aux yeux du père

N’est que le moindre effet qui suivra ma colère ;

Dans un premier temps, elle pense surtout détruire sa rivale, un méfait plutôt commun pour le spectateur assidu de New York Police Criminelle.

Mais Jason veut garder les enfants et découvre ainsi son "faible" : 

Il aime ses enfants, ce courage inflexible:

Son faible est découvert ; par eux il est sensible,

Par eux mon bras, armé d’une juste rigueur,

Va trouver des chemins à lui percer le cœur.


 La servante de bon sens prévient Médée qu'elle n'y survivra pas :

"Epargnez vos entrailles; N’avancez point par là vos propres funérailles".

Nous savons qu'elle y survit et que bizarrement, la plupart de ceux qui mettent fin à leur jour après ce geste se ratent (je sais que tout cela est un peu dégueulasse). 

Alors, pourquoi :

Peut-être que contre eux s’étend sa trahison,

Qu’elle ne les prend plus que pour ceux de Jason,

Et qu’elle s’imagine, en haine de leur père,

Que n’étant plus sa femme, elle n’est plus leur mère. 

C'est beaucoup plus simple :

Ils sont trop criminels d’avoir Jason pour père ;

Il faut que leur trépas redouble son tourment ;

Il faut qu’il souffre en père aussi bien qu’en amant.

...

Je vous perds, mes enfants ; mais Jason vous perdra ; 

 En plus, chez Corneille, Jason veut aussi tuer les enfants pour se venger de leur maman qui a tué son amoureuse (vos parents n'étaient VRAIMENT pas cools mes amours). Mais trop tard, c'est déjà fait.

 Voilà ce que j'appelle un drame bourgeois (et je sais reconnaître un drame bourgeois quand...)

 Rien du désir de chaos de la Médée de Sénèque, barbare.

 Plutôt une mise en liquidation après faillite de la PME familiale.

Au-delà de l'horreur, la mesquinerie moderne.


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