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Sauteries

Par Deathpoe

"Bonjour Mike.
-Ah, ce n'est plus Monsieur maintenant.
-Eh non, comment tu vas?
-Wow, et en plus vous me tutoyez.
-Oui, enfin, réponds à ma question.
-Ça va, j'alterne. Un jour je pète le feu, le lendemain je me désintéresse de tout. Tout ce que je ne calme plus par ma géniale automédication.
-J'aimerai revenir sur le stage si tu le veux bien.
-Ah ouais, comment vous m'avez trouvé?
-C'était une représentation pour vous?"

Je réfléchis à ma réponse pendant un moment tout en sentant son regard intrigué. Je sais qu'il sera impossible d'éluder la question, même par tous les moyens possibles.
"Euh, je ne sais pas. Dites-moi ce que vous en pensez.
-Non, je veux d'abord savoir ce que toi tu as retiré de cette expérience.
-Je ne sais pas, j'ai traversé toutes les émotions. J'ai tout été, en quelques sortes, passant du gros con fini au gosse qui chiale. Me suis bien marré cependant.
-Tu veux parler de l'après-midi?
-Oui. Et le soir, je ne sais pas, j'ai complètement craqué, tout m'est revenu en pleine poire sans que je n'aie aucun contrôle.
-Le dimanche je t'ai trouvé éteint.
-Il y avait de ça, ce putain de sentiment de vide, plus aucune sensation, plus rien, totalement absent de moi-même. Enfin, c'est vous qui êtes censé m'analyser, pas moi, alors faites votre job."
C'est à lui de réfléchir, sans doutes veut-il peser ses mots autant que je puis le faire, soit pour être le plus juste possible, soit pour ne pas me blesser.
"Tu n'étais pas un gros con fini le samedi après-midi. Pour moi, le gros con, c'est le beauf du PMU du coin. Au contraire là il y avait de la profondeur, de la finesse, un certain esprit sûr de lui.
-En tous cas, on peut dire que j'ai provoqué des réactions.
-Oui, en me provoquant par exemple, et lorsque les autres parlaient. Tu étais un véritable scalpel à émotions, tu ne laissais rien passer. Je ne sais pas, que ressentais-tu à ce moment-là?
-Hum, de la toute-puissance, je dirais, un certain orgueil, de pouvoir réagir ainsi, intellectuellement parlant, en toute liberté.
-J'étais moi-même dans une position délicate par rapport à ton dos. Ainsi, tu étais sur une chaise, ce qui te donnait de fait une position supérieure au reste du groupe, et à moi-même. Et j'ai ressenti beaucoup d'orgueil...
-Ou de la toute-puissance...
-Oui, mais qui n'était finalement que des émanations de ta propre souffrance.
-Le jeu était plaisant cependant.
-Exactement, ce n'était qu'un jeu. La souffrance pure et dure d'un enfant gâté et toujours protégé, un moment sûr de lui et de son intellect.
-Bordel, vous n'allez pas encore me refaire le coup de la mère et toutes ses conneries.
-Et pourtant tu t'es littéralement laissé aller à un moment...
-Oui, le soir, quand je-ne-sais-plus-qui a parlé de sa petite soeur décédée. Me suis rendu compte d'un coup que mon frère me manquait atrocement, que tout venait peut-être de là, que la pièce du puzzle manquante manquerait finalement toujours. Et puis, j'en avais marre du jeu, et personne n'était vraiment capable de me contrer.
-Il y a bien eu B. qui a réagi.
-Oui, tout de suite en gueulant, dans une logorrhée totalement ridicule. Personnellement, quand on se met à gueuler pour s'exprimer, ça me fait plus rire qu'autre chose.
-Il semble t'avoir poussé dans tes retranchements tout de même.
-Pas vraiment, seulement quand il a dit que je ressemblais à tous ces jeunes qui vont se cuiter et qui veulent qu'on s'intéresse à eux, le pire compliment qu'on puisse me faire.
-Comment ça?
-Que je ressemble à tout le monde.
-C'est vrai que pour quelqu'un de narcissique comme vous...
-Recommencez pas avec ça. Le mec m'a balancé des critiques sans aucun fondements, me prenant simplement pour un petit dépressif de merde dont le jeu préféré est de se défoncer. Et pour un type qui admet bander mais qui incapable de soutenir, je cite "l'idée du coït", laissez-moi rire.
-Et vous, le sexe?
-Ça vous intéresse tant que ça?
-Ça te gêne d'en parler?
-Un coup vous me vouvoyez, un coup vous me tutoyez.
-Tu évites ma question.
-Non, ça ne me gêne pas. L'orgasme est ce qui nous rapproche le plus d'une personne. C'est comme une décharge électrique, de l'instantané pas forcément provisoire, de l'amour à l'état pur, mieux que n'importe quelle défonce. Et si vous voulez savoir, il paraît que je baise comme si je voulais conquérir le monde. Alors cet idiot qui passait son temps à jouer avec sa balle.
-Tu te rends compte que tu as failli t'en prendre dans la gueule plusieurs fois.
-Oui, mais je ne voulais pas les blesser, c'était loin d'être mon intention. Je voulais les pousser à bout, qu'ils sortent tout ce qu'ils avaient dans leurs tripes.
-Le contrôle, toujours.
-Non! Faire comprendre que toute cette merde n'est rien à côté de petites choses qui peuvent ensoleiller une journée, c'est tout.
-En tous cas, le soir, pleurant, lorsque même tu m'as pris dans tes bras, il devait y avoir là un transfert paternel je ne sais pas, tu as ému beaucoup de monde. On ne savait vraiment pas à quoi s'attendre avec toi et, apparemment, tu as plu à certaines demoiselles.
-Ah, celle qui m'a dit le lendemain qu'elle me trouvait moins séduisant que la veille, bah, qu'est-ce que j'en ai à cirer.
-Bref. Et que t'as laissé comme impression ce stage?"

Je sers les poings et refoule des larmes, qui viennent malgré elles, sans que j'en ai le contrôle. Être vivant.
"Tu ne t'échapperas pas comme ça, réponds-moi.
-Putain, avant le début de nos entretiens, j'avais le contrôle. Je contrôlais mes émotions en les noyant, mes petits démons dansants n'avaient pas la possibilité de me ronger. Je contrôlais mes consommations. La situation ne m'échappait pas tant que ça. Ou en fait si. Et il a fallu d'une putain de chute dans les escaliers pour que tout foute le camp. Et maintenant, je me rends compte qu'il est impossible de rester seul, qu'on a besoin, comment dire "d'une compagne cosmique", de quelqu'un, d'un écho. Vous m'avez baisé la gueule avec votre stage.
-Tu me l'as déjà dit, en y ajoutant "enfoiré".
-Oui, et je l'assume parfaitement.
-Ça fait chier de savoir qu'on ne peut être seul?
-Oui. Mais je l'accepte, finalement, très bien. Mais c'est pire lorsqu'on a détruit tout son entourage.
-On en reparlera, c'est fini pour aujourd'hui.
-Pile à l'heure, toujours.
-Eh oui, ça fait partie du boulot.
-Ah, au passage, depuis votre connerie de stage, je me remets à écrire, bon, quelques vers par-ci par-là.
-Oui, des broutilles, pourquoi y attacher de l'importance."

Il me sert la main et me laisse sur cette boutade. Je descends les escaliers deux par deux, mes Docks résonnant sur les marches de bois. Oui, ça vient.


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