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Naissance d’une Cité

Publié le 03 mai 2011 par Les Lettres Françaises

Naissance d’une Cité

Quand Jean-Richard Bloch regardait du côté de Métropolis et de l’Opéra de quatre sous

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Le Front populaire a davantage donné lieu à des commentaires publiés par la suite qu’il n’a produit des œuvres artistiques qui lui sont propres. En effet, pour qu’elles aient été conçues il aurait sans doute fallu que les artistes et les acteurs du mouvement d’alors s’accordent une pause dans le cours tumultueux des événements, ce qui était hors de question. On a retenu du Front populaire son aspect de fête, avec les bals de la victoire. Mais il fut surtout remarquable par l’irruption en force sur la scène sociale des masses laborieuses pour se faire entendre et imposer un minimum de considération à l’endroit de leur vie. On sait que les pauvres n’accèdent pas spontanément au respect, à l’inverse des actionnaires, et que leurs revendications sont toujours considérées comme des prétentions exorbitantes qui montrent leur égoïsme. Dans les débuts du Front populaire la dimension artistique n’est donc pas première : les roses passent après le pain. Mais elles viendront. Ce qui rend plus intéressante encore la pièce de Jean-Richard Bloch Naissance d’une Cité, une des rares œuvres conçues à cette époque.
Bloch était alors un des intellectuels en vue, codirecteur avec Aragon de Ce soir. Il s’était battu pour l’Espagne républicaine où il s’était rendu, considérant, comme la suite des événements devait le montrer, que le combat contre le franquisme était aussi celui pour l’avenir de la France. Publié en 1937 sous le titre Espagne, Espagne ! le récit de son voyage relate les faits politiques et militaires qu’il eut à connaître et accorde une importance particulière aux initiatives des Républicains pour que le peuple ait enfin accès à la culture et que des formes culturelles spécifiques, en prise avec les événements vécus, puissent exister. Ces initiatives ne pouvaient que passionner Bloch, lui dont une part considérable de l’activité intellectuelle s’était orientée depuis le début du siècle vers les problèmes d’un art de haut niveau, tout à la fois révolutionnaire et populaire. Il menait depuis plusieurs années une réflexion théâtrale qui l’avait rapproché des metteurs en scène les plus en vue, en particulier de Piscator dont il connaissait bien le travail et les innovations.
Mélange d’utopie et de réalisme, Naissance d’une Cité est certainement l’une des pièces les plus originales de Bloch, évoquant Métropolis de Fritz Lang et l’Opéra de quatre sous de Brecht. Elle montre la vie des ouvriers parisiens avec la fatigue, la menace du licenciement, la misère puis l’envol des rêves à propos d’un navire et d’une île au loin où tout serait différent. On y trouve certains des procédés chers au théâtre politique allemand d’avant le nazisme. L’auteur y mêle de façon audacieuse et réfléchie (audace et réflexion sont la marque de Bloch) la musique, le cirque, le music-hall et des effets de groupes particulièrement spectaculaires. La pièce fut présentée au Vélodrome d’hiver, dans des décors de Fernand Léger et des musiques signées Milhaud et Honegger. Elle nous revient dans l’édition qu’en donne Sylvie Jedinak qui expose dans une postface pénétrante la visée théâtrale de Bloch.
La publication de Naissance d’une Cité amène à signaler la dernière livraison de La Revue Commune sur le Front Populaire. En une quinzaine d’articles on suit les événements de ce grand mouvement social du début jusqu’à sa disparition. Au plan culturel on retrouve le Groupe Octobre, les films de Jean Renoir, le rôle de Jacques Prévert, celui de Romain Rolland et son 14 juillet, les articles de Nizan et de tous les écrivains qui collaborent à Commune, l’action de Moussinac, celle des peintres et des musiciens qui s’engagent à corps perdu dans un combat pour l’union du peuple et des artistes. Un ensemble de haut niveau et passionnant.

François Eychart

Naissance d’une Cité de Jean-Richard Bloch, Société des Études Jean-Richard Bloch, 108 pages, 8 euros, disponible auprès de la Société, 64 rue Stendhal 75020 Paris ou en librairie.
La Revue commune, n° 41, Le Front populaire, 112 pages, 10 euros, disponible auprès de la revue, 6 avenue É Vailland, 93500 Pantin.




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