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Les cotisations sociales pèsent-elles sur les profits ?

Publié le 03 mai 2011 par Raphael57

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Dans le prolongement de ce que j'ai écrit sur les hausses de salaire et la prime carotte électorale de 1 000 euros, voici aujourd'hui un billet consacré à une idée reçue qui à la peau dure : le niveau élevé des cotisations sociales pèserait sur la compétitivité des entreprises françaises et réduirait les profits, ce qui déboucherait sur une baisse de l'investissement et de la création d 'emplois. Clair comme de l'eau de roche ? Et pourtant, les faits démentent cette conclusion...

Commençons par définir précisément les termes dont nous aurons besoin, quitte à faire un long détour... La valeur ajoutée est ce qu'il reste à l'entreprise après avoir payé les fournisseurs, et qu'elle se partage en trois parts : celle de l'État, celle destinée aux salariés, le reste revenant aux apporteurs de capitaux (actionnaires + créanciers).

Les profits sont alors mesurés par le très fruste excédent brut d'exploitation, et on appelle taux de marge le rapport Excédent brut d'exploitation/Valeur ajoutée. La valeur ajoutée se partageant essentiellement entre l'entreprise et les salariés (entre le capital et le travail si on préfère), on comprend donc que les profits soient étroitement liés à l'évolution du partage de celle-ci, de sorte qu'une diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée s'accompagne d'une augmentation de la part de l'excédent brut d'exploitation comme ce fut le cas entre 1982 et 1988 par exemple.

Part de la rémunération des salariés et de l'excédent brut d'exploitation dans la valeur ajoutée brute
des sociétés non financières (en %)

 

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[ Source :  Comptes nationaux annuels - Base 2000 - Secteurs institutionnels ]

La courbe en rouge sur le graphique montre l'évolution du taux de marge depuis 1949, donc la part des profits dans la valeur ajoutée créée par les entreprises. On constate que durant les Trente Glorieuses (1950 à 1974 pour faire simple), le taux de marge oscillait entre 25 % et 30 %, alors depuis les années 80, le partage de la valeur ajoutée s'est modifié en faveur des profits puisque le taux de marge augmente (le niveau étant toujours au-dessus de 30 %). La période comprise entre 1974 et 1982 est quant à elle très particulière, puisque les salariés avaient obtenu des hausses de rémunération 2,5 fois plus élevées que les gains de productivité réalisés, entraînant par conséquent une chute de la part des profits dans la valeur ajoutée.

Pour être plus précis sur le partage entre travail et capital, il faudrait retirer de la valeur ajoutée brute ce qui n'est pas distribuable, comme les impôts sur la production et l'amortissement, postes qui ont sensiblement augmenté au cours du temps. On obtient alors un agrégat appelé valeur ajoutée nette au coût des facteurs. Mais pour notre propos, je m'en tiendrai au graphique ci-dessus, où la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises est restée stable à environ 32 % depuis 1985. Les représentants du patronat aime à citer cette phrase du chancelier allemand Helmut Schmidt que d'aucuns qualifient même de théorème : "les profits d'aujourd'hui font les investissements de demain qui font les emplois d'après demain". Or, le vrai problème avec les profits d'aujourd'hui, c'est qu'au lieu de financer l'investissement de demain ils servent de plus en plus à verser des dividendes aux actionnaires d'aujourd'hui... au détriment des emplois de demain et souvent même d'aujourd'hui !

Venons-en enfin à nos cotisations sociales. Elles correspondent à des versements obligatoires (pour la Sécurité sociale) ou volontaires (pour les mutuelles par exemple) effectués par les non-salariés, les employeurs et leurs salariés pour acquérir des droits à prestations sociales. Le coût du travail pour l'employeur (également nommé salaire super brut) est donc égal au salaire brut auquel on ajoute les cotisations sociales patronales. De son côté, le salarié ne touche qu'un salaire net égal au salaire brut diminué des cotisations sociales salariales, oubliant souvent que les cotisations constituent une rémunération indirecte puisqu'elles ouvrent des droits à la retraite, au chômage dans certains cas, au remboursement des dépenses de santé, etc.

Le patronat laisse entendre que toutes les cotisations sociales sont des charges supportées par les employeurs et qui pèsent donc sur l'entreprise. Mais lorsqu'on regarde le graphique du taux de marge (la courbe rouge à nouveau), on ne peut que conclure que le hausse des cotisations sociales sous la Ve République n'a pas pesé sur les profits, le niveau du taux de marge étant même supérieur ces dernières années à celui atteint durant les Trente Glorieuses ! C'est donc le poids du salaire net qui a baissé, montrant au passage que les cotisations sociales pèsent essentiellement sur les salariés, même si on distingue à tort entre cotisations patronales et salariales. C'est ce que l'on appelle le principe de l'incidence fiscale en économie, et qui semble être un des mécanismes économiques les moins bien compris...

Il serait donc préférable pour améliorer la clarté des débats de bien préciser tout cela afin d'éviter les contresens plus ou moins voulus d'ailleurs : les cotisations sociales n'étant au final pas prélevées sur les profits comme nous venons de le montrer, les entreprises ne devraient pas s'immiscer dans la question des cotisations (tant que le coût salarial unitaire reste stable), celle-ci se ramenant en fait à la façon dont les salariés souhaitent collectivement arbitrer entre rémunération directe et indirecte ! Cela devrait ainsi nous permettre de nous poser les questions indispensables sur la prise en compte de la dépendance par exemple, sans réduire à chaque fois ces questions sociales à une question économique liée à la compétitivité des entreprises !

C'est aussi cela se réapproprier le débat économique : commencer par faire le bon constat et se poser ensuite les bonnes questions... C'est tout l'objet du dictionnaire révolté d'économie et de la page Facebook qui lui est associée !


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