Petit séisme juridique en matière de suspension de permis de conduire : dans un arrêt récent du 2 février, le Conseil d’Etat vient de mettre fin à une vieille règle de plus de 40 ans qui rendait quasi-impossible l’octroi de dommages et intérêts à l’automobiliste qui s’était vu retirer son permis illégalement !
Les faits de l’affaire étaient les suivants :
Le requérant, un automobiliste du département de l’Aube, avait été intercepté par des gendarmes qui l’avaient flashé au moyen d’un radar fixe à plus de 50 km/h au-delà de la vitesse maximale autorisée. Ces derniers lui avaient alors immédiatement confisqué son permis de conduire à titre conservatoire. A la suite de cette arrestation, le préfet du département a alors utilisé la procédure de l’article L.224–2 du code de la route qui lui permet, dans les soixante-douze heures de la rétention du permis, de suspendre provisoirement le permis de conduire pour une durée de 6 mois maximum. Seulement voilà : un mois après, le tribunal de police de Troyes a relaxé le conducteur du chef de la contravention relevée à son encontre. Celui-ci a alors saisi le juge administratif pour obtenir l’annulation de l’arrêté préfectoral et la condamnation de l’Etat à lui octroyer des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui avait été causé par cette suspension. Le tribunal administratif de Dijon et la cour administrative d’appel de Lyon lui ayant refusé cette indemnisation, le requérant a alors porté l’affaire devant la juridiction suprême qu’est le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat a alors jugé que lorsqu’une décision d’un juge pénal relaxe un automobiliste au motif qu’il n’a pas commis l’infraction, les conditions nécessaires à la suspension du permis (dépassement de plus de 40 km/h de la vitesse maximale autorisée et interception du véhicule, article L.224–2 du code de la route) ne sont plus réunies et la suspension est dès lors illégale. La nouveauté se trouve dans le fait que la Haute juridiction a considéré que cette illégalité constitue « une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». En clair, l’automobiliste peut recevoir une indemnisation pour réparer le préjudice résultant de la suspension de son permis.
Pour comprendre en quoi cette décision est la bienvenue, il faut savoir que depuis un arrêt de 1971, le juge administratif conditionnait une telle indemnisation au fait que l’administration avait commis une « faute lourde ». Dans le langage du juge, cela signifiait une faute d’une particulière gravité qui dans les faits n’était pratiquement jamais établie en matière de suspension du permis de conduire. Dorénavant, une faute simple suffit, qui consiste en le fait que les conditions pour procéder à une suspension d’urgence ne sont plus réunies dès lors que le juge pénal constate que l’infraction n’a pas été commise.
Cette décision doit être saluée puisqu’elle met fin à l’incompréhension des automobilistes qui se voyaient retirer à tort leur permis (et qui étaient donc injustement privés de leur liberté de circuler) mais qui n’avaient ensuite aucun moyen de faire condamner les services de l’Etat pour leur erreur ! Cette situation était inacceptable compte tenu des conséquences désastreuses que peut engendrer une suspension du permis sur le plan professionnel. Désormais, les services de l’Etat sont, comme tout un chacun, placés devant leurs responsabilités : s’ils ont commis une faute, ils doivent alors en assumer les conséquences. On ne peut que s’en féliciter.