Elle habite une grande demeure de cinq chambres qui est en train de tomber en ruines. Elle l’a acquise dans les années soixante dix lorsque la famille pour laquelle elle travaillait comme domestique s’est exilée. Au début elle circulait chaque jour dans les chambres, la cour intérieure ; elle caressait la rampe de marbre de l’escalier qui conduisait au deuxième étage ; elle s’amusait à remplir les baignoires des trois salles de bain, seulement pour se rappeler que cet hôtel particulier néoclassique était maintenant à elle. La joie ne dura qu’un temps, jusqu’à ce que les premières ampoules sautent, que la peinture commence à se lézarder et que la mauvaise herbe pousse dans le jardin. Elle trouva un emploi de femme de ménage dans une école, mais six fois le même salaire n’auraient pas suffi pour maintenir l’antique splendeur de cette bâtisse qui chaque jour lui paraissait plus grande, plus inhospitalière.
Des milliers de fois cette femme a pensé à vendre la demeure héritée de ses anciens employeurs, mais elle ne voulait rien faire en dehors des lois. Pendant des décennies le marché immobilier a été, en pratique, interdit ; il était seulement possible d’échanger des biens selon un concept connu sous le nom de « permutation ». Pour réguler et aussi contrôler cette activité avaient surgi des dizaines de décrets, de restrictions et de limitations qui avait transformé en calvaire tout action de déménagement. Un Institut du Logement tout puissant veillait à ce que tout un chapelet de conditions soient respectées. Avec de telles prescriptions les démarches duraient plus d’un an et quand les familles pouvaient enfin s’installer dans leur nouveau foyer elles étaient épuisées d’avoir rempli des formulaires, contacté des avocats et subi les inspecteurs.
De telles angoisses avaient alimenté l’espoir que le VIème Congrès du Parti Communiste lancerait le départ de l’ immobilier. Lorsque dans le communiqué final on indiqua que l’achat et la vente de maisons était possible et qu’il manquait seulement l’instrumentation légale, des centaines de milliers de cubains se sont sentis soulagés. La dame de la maison était au moment de l’annonce devant son téléviseur évitant une gouttière qui tombe du toit au milieu de son salon. Elle regarda autour d’elle les colonnes à chapiteaux décorés, les grandes portes d’acajou déjà endommagées par l’humidité et l’escalier de marbre dont elle avait arraché la rampe pour la vendre. Elle pourrait enfin mettre un écriteau sur la grille : « A vendre maison de cinq chambres, à restaurer d’urgence. Achète appartement F1 dans n’importe quel autre quartier. »
Traduit par Jean-Claude MAROUBY