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Côte d’Ivoire : le règne du chaos

Publié le 25 avril 2011 par Wilnton @pam_wilnton

J’ai vu qu’il ne fallait plus écrire d’analyse qui remette en question ce qui se passe en Côte d’Ivoire aujourd’hui au nom de la paix…c’est ce qu’ont choisi les médias français et c’est ce que m’ont recommandé quelques amis. Mais on ne construit aucune paix sur le mensonge. Et je pense que la situation est encore critique aujourd’hui parce qu’il y’a beaucoup de confusions et que le chaos est passé sous silence.

J’avais déjà dans un précédent article et cela bien avant l’arrestation du président Laurent Gbagbo, indiqué qu’Alassane Ouattara aura fort à faire après Gbagbo. Toute la dynamique qui depuis 2000 l’a conduit au pouvoir aujourd’hui a semé des graines de complexité qu’il est difficile de démêler. Certains appellent à croire en lui et à lui faire confiance. Moi je préfère avoir un regard froid parce qu’il y’a des inquiétudes à avoir pour que les choses rentrent à l’ordre.

De l’imbroglio juridique

Laurent Gbagbo était bel et bien président de la Côte d’Ivoire. Au moins parce qu’il était investi par les institutions de son pays. Sinon parce qu’il était élu (la lumière ne sera plus jamais faite pour ce second point et donc, nous allons garder des réserves là-dessus).

Alassane Ouattara par contre se trouve devant une situation bien compliquée. Il pourrait avoir été élu, tout comme il pourrait n’avoir pas été élu (ce que j’ai dit sur Gbagbo est valable pour Ouattara sur ce point). Donc, du point de vue de la légitimité, on est dans le noir. Par ailleurs, il n’a pas été proclamé comme tel par les institutions de son pays. Il n’a donc aucune légalité. En d’autres termes, la seule présidence qu’Alassane Ouattara ait vraiment, est celle d’être reconnu comme président par la communauté internationale.

De ce point de vue, il ne peut donc légalement faire aucun acte ayant juridiquement foi au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire. L’union africaine lui a proposé de se faire investir par les institutions ivoiriennes, mais là aussi de gros soucis se posent.

La structure qui peut investir Monsieur Ouattara est le conseil constitutionnel. C’est la seule institution qui proclamé le vainqueur d’une élection et qui l’investit. Malheureusement, pour la même élection, elle a déjà proclamé Laurent Gbagbo vainqueur et l’a investi. Sur quelle base pourrait-elle donc annuler ce premier acte…Il n’y en a pas.

La cour constitutionnelle n’a aucun moyen juridique d’investir Monsieur Alassane Ouattara et donc, il ne peut être pour le moment qu’un président illégal…

Des solutions existent cependant…qui malheureusement auront des conséquences néfastes sur Alassane Ouattara. Il peut proclamer un coup d’Etat et donc se prévaloir d’un nouveau cadre juridique…d’une juridiction d’exception. Il n’aura alors pas besoin d’être investi et sera président de fait. L’autre solution se trouve chez Laurent Gbagbo. S’il reconnait une défaite et reconnait Alassane Ouattara comme président, il annule de fait son investiture et le cadre de cette investiture…La cour constitutionnelle peut alors se repositionner et investir Alassane Ouattara sans se mettre en contradiction avec elle-même.

Donc en l’état actuel des choses, Alassane Ouattara n’est pas officiellement le président de la Côte d’Ivoire…et cette situation ne peut pas durer. Parce que si on ferme les yeux dessus et que l’on fait comme si tout allait bien…c’est l’affirmation de la fin de l’Etat de droit en Côte d’Ivoire.

Il a promis de se faire investir en mi-Mai. Mais il va vers un forcing juridique et donc vers un état d’illégalité. La cour constitutionnelle n’a pas les moyens de proclamer et d’investir Ouattara comme président. Ca reviendrait à peu près au même pour lui que s’il se faisait investir par Dominique Ouattara ou n’importe quoi d’autre. Ce serait simplement nul juridiquement parlant.

Des violences et de l’impunité

Les médias occidentaux essayent de dépeindre l’après Gbagbo comme un redécollage. Ils vendent une Côte d’Ivoire qui petit à petit reprend vie…c’est pourtant une Côte d’Ivoire qui reprend mort qui se fait remarquer. Les crimes complètement impunis et passés sous silence sont nombreux. Les exactions se poursuivent et les populations sont complètement livrées à la merci des rebelles et des voyous qui font ce qu’ils veulent, comme ils veulent sans aucun contrôle. Nous l’avions déjà signalé, Alassane Ouattara n’a aucun contrôle sur la situation et cela rend la sécurité en C ôte d’Ivoire très compliquée.

D’un autre côté, les conflits au sein des rebelles continuent de s’accentuer. IB et son commando invisible se sont déjà faits attaquer par ses anciens camarades d’armes…et ce tout juste après que tout ce beau monde ait à peine savouré d’avoir contribué à prendre Laurent Gbagbo livré par l’armée française.

Toutes ces tensions font de la Côte d’Ivoire un pays sous une violence permanente…la guerre contre Gbagbo ayant débouché sur une vraie déchirure où l’impunité terrorise les ivoiriens, loin de ce qu’ils avaient jamais pu voir. Le témoignage d’Amnesty International est édifiant : « Vous savez comment Amnesty a critiqué constamment pendant dix ans ce qu’a fait Laurent Gbagbo. Mais ce qui se passe actuellement est inimaginable! ». Les mots sont encore faibles…Il faut voir les corps qui jonchent les rues, tués par des rebelles ayant discerné un étudiant, un Bété ou soupçonné un « pro-Gbagbo ». Il faut voir les larmes de ces femmes violées…l’amertume de ces jeunes gens affamés pendant une dizaine de journée dans le parc à nettoyage d’une station-service…le désarroi de cet habitant à qui l’on vient de prendra sa voiture…la galère de ces planteurs qui livrent leur cacao à des rebelles qui ne paient pas…les villages qui continuent de brûler…et les corps découpés de tous ceux-là qui rebaptisés en milice, sont accusés de ne pas penser que Ouattara est le président…

Il faut vivre cela pour comprendre que la violence est d’actualité. Bien pire qu’elle ne l’a jamais été depuis Novembre 2010.

Des élans de dictature

Désormais en Côte d’Ivoire, il est presqu’interdit de parler autrement que positivement d’Alassane Ouattara. Les contrevenants risquent leur vie. Les médias peu favorables à Alassane Ouattara ne publient presque pas…Leurs responsables sont surveillés et menacés. Dans les quartiers, pour peu que vous soyez reconnus comme un ‘pro-Gbagbo’, votre vie est en danger. Des assassinats continuent contre les ressortissants de la tribu de Laurent Gbagbo, contre les étudiants et contre certains anciens du régime Gbagbo sous le silence total. Pour une déclaration à la presse, Pascal Affi Nguessan, président du FPI a été arrêté. Ceux qui cherchaient Elena ceaucescu en Simone Gbagbo doivent certainement faire des efforts impossibles pour se bander les yeux devant l’atmosphère hitlerienne en cours en Côte d’Ivoire…

Et l’opinion publique internationale est acquise grâce aux médias français à cet état de fait. J’ai lu sur mon Facebook ce matin une amie qui disait que cette situation était ‘normale’ et qu’il fallait se taire pour que les choses rentrent dans l’ordre…Une vue bien particulière de la démocratie et des droits de l’homme.

Même au sein de la scène politique, les cadres du RHDP sont dans la crainte, notamment ceux du PDCI. Il est impossible de remettre en question Alassane Ouattara et la situation actuelle en Côte d’Ivoire sous peine de disparaitre dans le silence le plus absolu. Quant aux cadres du FPI, contraints à la discussion, ils ont presque tous un couteau à la gorge…au nom de la paix. Dans le style ‘tu dis qu’on doit tous accepter la situation ou on tue ta famille’…Pour le reste, il ne faut rien attendre. La justice sera aux ordres, comme d’ailleurs toute la vie. Il faudra toujours dire « C’est la faute à Gbagbo », sous peine de tout et de n’importe quoi.

La situation n’ira pas en évoluant. Le règne de Ouattara s’il venait à régner, sera bel et bien celui d’une dictature. Peut-être voudra-t-il la modérer…ce ne sera pas plus qu’une dictature modérée. En tout cas, la liberté connue sous l’ère Gbagbo est bel et bien entre parenthèses.

Ouattara a besoin de souffle pour s’en sortir

L’armée française a fait ce qu’elle a pu : capturer Laurent Gbagbo et le livrer aux rebelles. L’ONUCI aussi…s’assurer que toute cette situation soit possible. C’est du côté du Burkina que se joue désormais les choses en attendant que Ouattara prenne ses marques. Les partenaires qui veulent investir en Côte d’Ivoire vont voir Blaise Compaoré. Le Ministre norvégien de l’environnement est allé parler des investissements futurs de la Norvège en côte d’Ivoire. Choi est également allé le voir pour « rendre compte » (ce sont exactement ses propos devant les médias burkinabés). La France quant à elle n’a pas attendu le répit pour commencer à endetter la Côte d’Ivoire…Ce que d’ailleurs Ouattara a toujours su bien faire…

Pour Alassane Ouattara, les équations sont encore difficiles. Finalement, c’est au sein de l’appareil de Laurent Gbagbo que semble se trouver son salut. L’armée fidèle à Laurent Gbagbo est sa seule garantie d’une armée républicaine et il essaye de se la capitaliser. Par la force et par les négociations. Les institutions de la Côte d’ivoire sont les seules qui peuvent lui donner un minimum de légalité. Par la force et la négociation, il essaye de composer avec elles pour qu’elles l’acceptent. Le Front Populaire Ivoirien est le seul parti dont l’autorité morale peut asseoir sa propre autorité. Par la force et la négociation, il essaye de le faire se rapprocher d’elle. Le peuple de Côte d’Ivoire sera le seul peuple sur lequel il peut régner…il devra négocier avec lui s’il en a les arguments pour qu’il l’accepte.

Mais dans le cœur des Ivoiriens…personne n’a rien oublié. Ni ce qu’il a fait pour arriver au pouvoir, ni ce qui est entrain de se passer. Et si les Ivoiriens aspirent à la paix et à lé réconciliation…c’est une erreur de penser que cette paix et cette réconciliation se feront sous le manteau des crimes, de l’impunité et de la violence.  C’est très mal connaitre l’histoire de la Côte d’Ivoire et la personnalité des ivoiriens.  Il faut prendre note de tout ceci. Fermer les yeux sur le chaos en espérant qu’il passera…c’est de la politique de l’autruche.



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