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Tout est politique, surtout le football

Publié le 07 mai 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“Les trois plus grands joueurs français de l’après guerre sont d’origine polonaise pour R. Kopa, d’origine italienne pour M. Platini, d’origine algérienne pour Z. Zidane” L. Jaoui dans La Ligne Jaune

Le football est important. Surement pas par le spectacle qu’il véhicule, que chacun peut apprécier selon ses propres critères, mais plutôt par ce qu’il représente dans ses symboles. Quoi que. Autour du globe au pied des tours, dans les quartiers, sur l’asphalte ou les terrains vagues ce n’est pas au rugby auquel les gamins s’adonnent, mais à une course effrénée après un “cuir” parfois fait de carton. On pourra toujours s’interroger, est-ce la faute à Coca-Cola ou grâce au roi Pélé… Universel le football, possible. En tout cas incontournable dans sa dimension sociale. C’est pourquoi l’affaire de discrimination ethnique au sein de la fédération française de football n’est pas un simple fait divers microcosmique circonscrit à un univers clos. Il est par différents aspects très représentatif de la manière dont se structurent la société et le rapport à l’autre.

Futebol 2002 - Gianpaolo Pagni - Editions du Rouergue

Futebol 2002 - Gianpaolo Pagni - Editions du Rouergue

Quand le management ethnique télescope à forte vélocité les valeurs universelles du sport ça fait petit bois. Tant l’écart est immense entre les discours lénifiants de confraternité humaine, et la gestion rationnelle des morphotypes déclinés en nuancier épidermique. Tout ce que le spectateur n’imagine pas : plutôt que des paillettes, l’univers froid de la détection pré pubère des talents footballistiques. Parce qu’à la fin des fins ce qui compte c’est “la gagne”, quel que soit la couleur des peaux qui composent l’équipe. En ce sens, il est marquant de constater qu’il a fallu que la France se mette à déjouer au milieu des années 2000 pour qu’émerge un discours racialiste sur la composition de l’équipe totem. Ce discours qui existait déjà à la base s’est trouvé un écho médiatique : en novembre 2006, G. Frêche “Dans cette équipe, il y a neuf blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre” ou en 2005, dans la foulée des émeutes de banlieues, A. Finkielkraut déclarera à HaaretzLes gens disent que l’équipe nationale française est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En fait, l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe.

Pourrait-on faire un parallèle “oiseux” avec la compétition économique globale ? Où, lorsque les choses deviennent délicates, voire totalement exécrables en termes de chômage et de pauvreté, fleurissent de tous bords les avanies xénophobes. Avec un double effet quand la France sociale dévisse couplée à une France du football qui se ridiculise, l’une ne peut plus compenser l’autre. Voire même l’entraine dans une spirale dépressive. La France de 1998 fut une magnifique bouffée d’oxygène pour l’Entertainment. Une bouée de sauvetage antimorosité qui transforme un chômeur décati en adepte de la gigue de salon face à son poste de télévision. Seule condition, il doit être fan de football. Et dans ce cadre, peu importe la couleur, pourvu qu’il y ait l’ivresse. En période de crise, dans tous les cas une France perdante l’est de la faute des minorités visibles quelle que soit la discipline. Une nouvelle habitude, presque une seconde peau. Plus fou encore, quitte à perde, elle le devrait dans une certaine pureté ethnique ou culturelle. C’est en substance le discours tenu par les sommités de l’État. Qui fait écho aux propos maladroits de L. Blanc* et des responsables de la Fédération Française de Football.

Futebol 2002 - Gianpaolo Pagni - Editions du Rouergue

Futebol 2002 - Gianpaolo Pagni - Editions du Rouergue

Quand N. Anelka outrage son sélectionneur dans les vestiaires “va te faire enculer sale fils de pute” lors d’un championnat du monde, déferlent avec férocité les sobriquets débilisants sur l’enfant gâté de la banlieue française, crétin, mal éduqué, asocial. Un reflet en trompe l’œil de stéréotypes racialistes de ce que les nouveaux liberalo-réactionnaires appellent les faits irréfutables sur l’échec de l’intégration. Or, lorsque dans une organisation (la FFF) tenue par une majorité de blancs pansus sont proférés, lors d’une réunion officielle, des directives sur des quotas “inversés” de joueurs de couleur, les mêmes qui ont reproduit les allégations de N. Anelka, demandent d’abord des preuves (dont P. Praud n’est qu’un exemple caricatural) puis euphémisent la portée des propos. Pourtant, ni verbatim, ni enregistrement ne sont venus étayer la véracité de l’esclandre entre N. Anelka et R. Domenech. Néanmoins placardés à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en Une de L’Équipe. Deux couleurs, deux mesures.

Les quotas n’ont de sens que dans un contexte global, en vertu des groupes minoritaires et majoritaires (des dominants et dominés, des racisants et racisés). Dans la perspective de la lutte contre le racisme, il ne faut jamais perdre de vue que la réalité de la société française est une domination économique et symbolique du mâle, riche et blanc. Que toute politique active et progressiste vise à renverser cette donne. Or, la composition d’une équipe de foot, prétendue à l’inverse des archétypes de la société (mais surtout des fantasmes de ceux qui la rêve) doit peut-être susciter d’autres questions. Que font tous ces enfants de l’asphalte dans les clubs de foot ? On ne peut louer les bienfaits de ce sport populaire d’un côté, et s’atterrer d’y voir nombre de joueurs issus des classes populaires y réussir de l’autre. Tout en posant comme prétexte le morphotype du “noir puissant”. Ce même noir (comme J. Tigana) complètement écarté des instances dirigeantes en fin de carrière. L’image de quelques millionnaires fait oublier qu’avant tout le football, dans sa pratique, est une affaire de gueux. Manifestement, en France, ces gueux ont une forte tendance à avoir le teint bigarré.

Et si des quotas doivent s’appliquer c’est d’abord dans la composition des équipes d’entretien qui prennent le métro aux aurores pour faire place nette dans les quartiers d’affaires avant le rush des costumes anthracites.

*Etant entendu que L. Blanc n’est pas raciste

Vogelsong – Paris – 6 mai 2011


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