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Grandes écoles, grand chantier : la voie de la mondialisation

Publié le 08 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Par Clea Caulcutt, pour Times Higher Education magazine

La proposition de Pierre Tapie sonne comme un appel aux armes. Le président de la Conférence des Grandes Écoles a exhorté les universités de France d’accepter la mondialisation et de puiser dans les populations d’étudiants de l’Inde et de la Chine, en croissance rapide et de plus en plus mobiles.

Dans un récent éditorial dans le quotidien Le Monde, le Dr Tapie préconise un triplement du nombre d’étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français, amplifiant la proportion de 12% du nombre total d’élèves à 30% au cours des dix prochaines années. Son plan verrait les étudiants de l’extérieur de l’Union européenne payer des frais de près de 15000 euros. Un système de bourses d’études serait introduit pour les étudiants méritants qui ne pourraient pas se permettre de financer leur part. Pierre Tapie, qui dirige l’ESSEC, fait valoir qu’il est crucial d’agir rapidement.

« L’occasion pour la croissance est à saisir maintenant. Si nous ne la saisissons pas, dans 10 ans, il sera trop tard et la France n’aura pas réussi à se positionner comme l’une des principales destinations du monde. »

La ligne de conduite préconisée par M. Tapie le fait passer pour un iconoclaste dans un pays qui est dirigé par une élite très soudée de dirigeants, d’hommes d’affaires et d’ingénieurs, tous éduqués dans les grandes écoles du pays. Mais Yves Poilane, directeur de Télécom ParisTech, une autre grande école, a fait valoir que le développement de cours enseignés en anglais plutôt qu’en langue française est une étape importante pour stimuler les inscriptions dans l’enseignement supérieur. « Dans les sciences informatiques et de télécommunications, nous nous efforçons de recruter les meilleurs étudiants disponibles parce que la concurrence est très intense« , a-t-il dit, ajoutant que les étudiants qu’il souhaite recruter ne parlent pas nécessairement français.

Pierre Tapie va jusqu’à demander que la loi Toubon, qui restreint l’utilisation de l’anglais en France, soit abrogée dans l’enseignement supérieur. Selon cette loi, toutes les études universitaires doivent être enseignées en français, à l’exception des cours de langue et ceux offerts par les institutions qui accueillent les étudiants étrangers ou fournissent des « cours internationaux ».

L’imprécision de cette loi offre des marges de manœuvre aux grandes écoles. Mais les établissements d’élite savent qu’ils s’aventurent sur un terrain sensible et se sont sentis obligés de communiquer un démenti sur le fait qu’ils puissent tourner le dos à la langue française. Beaucoup insistent pour que leurs étudiants étrangers anglophones quittent l’université avec une meilleure maîtrise de la langue française, et plus important encore, un amour de la culture française.

« La France n’a rien à perdre, car notre mode de vie ne sera pas mieux protégé s’il est conservé dans un musée, mais il sera plus vif, si nous le partageons avec les autres« , a déclaré Pierre Tapie.

« La France est exactement comme la Chine. Nous avons une culture très robuste qui est vieille de plusieurs millénaires. A l’ESSEC, les étudiants étrangers enrichissent la vie de l’école. Au lieu de diluer notre culture, ils la rendent plus universelle. »

La défense de l’usage du français dans l’enseignement supérieur

Néanmoins, Pierre Tapie a admis que l’appel pour la France à accueillir la mondialisation était une idée extrêmement impopulaire. « Lorsque nous avons présenté nos idées lors d’une conférence de presse en Mars 2010, elles étaient perçues comme très embarrassantes« , dit-il. Le Monde a attendu six mois avant de publier l’éditorial qu’il avait commandé à M. Tapie sur la question.

D’ardents défenseurs de la langue française ont été prompts à critiquer ses propositions. Dans une réfutation également publiée dans Le Monde, Bernard Sergent, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), accuse Pierre Tapie de renoncer à la langue française et de faire le jeu de l’extrême-droite et du Front National. « Alors que le français est actuellement encore la seconde langue scientifique au niveau mondial, la proposition de M. Tapie vise à son effondrement« , écrit-il.

Bien que ces arguments ne soient pas partagés par la majorité des scientifiques de France, d’autres ont fait campagne pour défendre l’utilisation savante de la langue française. En 2008, plusieurs milliers de chercheurs ont signé une pétition demandant à l’AERES, agence ayant pour mission d’assurer la qualité de la recherche et de l’enseignement supérieur, d’arrêter de snober les travaux universitaires publiés en français.

Christine Solnon, présidente de l’Association Française pour la Programmation par Contraintes, a refusé de prioriser l’usage du français pour des opportunités de retombées internationales, mais a déclaré que ses efforts visent à soutenir les jeunes chercheurs qui ne maîtrisent pas encore couramment l’anglais.

« Je ne demande pas à l’AERES de coter les revues scientifiques écrites en français à un niveau aussi élévé que les revues internationales, mais notre travail doit être pris en compte », dit-elle. L’AERES insiste toutefois sur le fait que la langue de publication ne figure pas parmi les critères de ses évaluateurs pour apprécier les revues scientifiques.

M. Tapie a trouvé des alliés au-delà des salles de classe des grandes écoles, mais n’a pas encore obtenu le plein appui du monde universitaire.

Jean-Charles Pomerol, président de l’Université Pierre et Marie Curie, le plus grand complexe scientifique en France, déclare que, bien qu’en faveur de l’accroissement des frais de scolarité pour les étudiants non-européens, il s’est abstenu d’introduire toute nouvelle politique.

« Nous attendons les préconisations de l’État, afin de savoir si nous devons exiger des frais de scolarité plus élevés des étudiants étrangers », a-t-il dit, ajoutant qu’il croyait qu’il était injuste de demander aux contribuables français de financer l’éducation de riches étrangers.

Le Professeur Pomerol a reconnu que les frais de scolarité sont une question sensible et a déclaré que les syndicats d’étudiants batailleront durement pour empêcher une hausse des frais pour les étudiants étrangers. « Ils diront que ce n’est qu’une première étape avant l’introduction de frais pour tout le monde« , prévient-il, ajoutant qu’il est difficile d’affirmer si leurs craintes sont justifiées.

Pendant ce temps, le syndicat universitaire SNESUP (Syndicat National de l’Enseignement Supérieur) fait valoir que les parcours offrant des cours en anglais sont un luxe que peu d’universités peuvent se permettre, même si les étudiants étrangers versent des frais de scolarité plus élevés. « Les universités sont sous-financées de sorte qu’aujourd’hui je ne peux imaginer l’ouverture de tels cours ; en effet nous luttons déjà pour payer nos enseignants de langues actuels », a déclaré Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat.

Dommages pour la recherche

M. Tassel affirme que la décision des grandes écoles de cibler davantage d’étudiants étrangers endommagerait la recherche et l’enseignement supérieur en France.

« Nous allons voir quatre à cinq tours d’ivoire émerger dans un désert universitaire dans lequel il sera impossible de pratiquer une recherche de qualité »

M. Tassel a également soutenu que, dans la course pour attirer les étudiants internationaux, les grandes écoles ont une longueur d’avance. « Il est intéressant de noter que ces propositions viennent des grandes écoles qui reçoivent deux à trois fois les fonds alloués aux universités non-élitistes », dit-il. Dans un secteur connu pour ses grèves et ses manifestations, il semble que tous les ingrédients pour l’apparition de nouveaux troubles soient en place. Mais la plupart des observateurs estiment qu’il est peu probable que quoi que ce soit ait lieu avant les prochaines élections présidentielles.

Il est plus probable que les grandes écoles, dont certaines sont des établissements privés, continueront tranquillement d’ouvrir la voie au changement. L’école de commerce HEC de Paris, par exemple, a depuis longtemps embrassé la mondialisation, avec des frais de scolarité élevés.

Globalement, 24% des effectifs de l’établissement sont des non-européens. Et parmi les étudiants inscrits à son prestigieux programme de MBA, 70% sont non-européens et 15% proviennent de pays européens autres que la France. « Nous y sommes déjà », a déclaré le directeur général de HEC Paris, Bernard Ramanantsoa.

« Pour nous, le changement a été progressif. »

Il a ajouté que l’internationalisation de l’enseignement supérieur avait déjà brouillé les divisions entre les grandes écoles et les universités. Alors que certaines universités entrent dans l’arène de la concurrence internationale, d’autres sont au point mort.

« C’est une question de volonté pour les uns, mais pour d’autres c’est une question de ressources. »

Source : article traduit depuis Times Higher Education magazine avec l’aimable autorisation du magazine.

Traduction : Barem


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