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Dimanche dernier, Paris Métis en écriture.

Par Ananda

 

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De gauche à droite, David DIOMANDE, Suzanne DRACIUS, Pierre BOUVIER, Tahar BEKRI et Ernest PEPIN.

 

 

 

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Intervention de Suzanne DRACIUS.

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Ernest PEPIN.

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Intervention de Pierre BOUVIER.

 

 

 

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En plein débat...

 

 

 

 

 

 

Le 08 Mai de 17h è 21h, Paris Métis en écriture, table ronde suivie d’un débat.

Avec David DIOMANDE , Suzanne DRACIUS, Pierre BOUVIER, Tahar BEKRI et Ernest PEPIN.

Voilà une soirée dont on ne peut que garder le souvenir.

Tout d’abord, une table ronde, réunissant plusieurs auteurs (« quatre hommes et une seule femme », ainsi que se plait  à le faire remarquer Suzanne DRACIUS) autour du thème de l’écriture et de la parole métisses, et autour de la mémoire et de la parole de ces géants de la prise de conscience que furent Aimé CESAIRE, Frantz FANON et Edouard GLISSANT.

Evocation des « plumes rebelles » qui, par le verbe, firent bouger le monde francophone : Césaire, qui, aux yeux des autorités françaises, sentit presque jusqu’au terme de sa vie, le soufre, dont le mot d’ordre aux écrivains de couleur fut « Il faut marronner » mais qui n’en cultivait pas moins, en arrière-plan de la vigueur de son verbe, une « pensée fraternelle » ; Fanon – déjà beaucoup plus violent et radical dans sa pensée, dont on nous retrace le pour le moins remarquable itinéraire (du combattant volontaire de la Seconde Guerre Mondiale qui était mu par un authentique désir de « se battre pour sa patrie », et qui fut même décoré par le général Salan, au psychiatre d’Algérie auteur de « Peau noire et masques blancs » et des « Damnés de la terre ») marqué au fer rouge par une rencontre décisive, celle du racisme des Français, et, pour finir, Edouard Glissant qui, après la « négritude » et les « Peaux noires » de ses glorieux prédécesseurs, incarne, décisivement, « l’émergence d’une parole métisse » dans l’espace culturel d’expression française.

Il est certain que leur action, que leur influence furent capitales en tant qu’ "éveilleurs de conscience ".

Pourtant, la « canonisation républicaine » de Césaire au Panthéon laisse les intellectuels noirs profondément méfiants.

Quant à Fanon, son œuvre pourtant capitale reste encore très peu connue du grand public hexagonal.

En cela, il faut voir les conséquences de persistantes pesanteurs dans le mode de fonctionnement français.

Comme dans le monde arabe qu’évoque, pour sa part, l’écrivain Tunisien Tahar BEKRI, le « problème noir » et métis demeure un problème qu’on préfère survoler, voire nier.

Qu’on en convienne ou non, les tabous du monde francophone (francophone dans le sens de « dominé par l’influence française ») ont encore la vie dure.

Ainsi que le souligne, au cours du débat, fort à propos, une intervenante, il y a toujours eu, de la part des autorités françaises, une notable réticence à aborder de front les « sujets brûlants et douloureux » que demeurent l’esclavage et la colonisation. L’ensemble du corps social français a choisi, dans ce domaine, l’omerta.

Reflet du conservatisme « lourd » de la société française ?

Conséquence du rapport très problématique à l’altérité qu’entretient l’ « impérialisme des Lumières » typiquement jacobin ?

Expression du sempiternel « paternalisme à la française » ?

Ce qui est hors de doute, c’est que, pourtant, faire ainsi l’autruche n’arrange rien. C’est même le pire des mauvais calculs puisque moins on en parle, plus ça fermente. Conclusion : « il faut en parler ». Tout le monde, là-dessus, tombe d’accord.

Suzanne DRACIUS et David DIOMANDE soulignent que « les écrivains ultra-marins sont encore peu connus dans l’hexagone ». A fortiori quand ils sont femmes. Suzanne DRACIUS insiste sur le double handicap de la femme de couleur. « Pour une femme, quelque soit sa couleur, comme pour un homme Noir, écrire et être reconnu dans l’écriture représente une conquête ».

Comme la culture, l’acte artistique reste propriété d’une élite.

En filigrane, c’est un peu un portrait de la société française qui se profile. On n’en parle jamais ouvertement mais pourtant ça transparait : comment faire son chemin dans une société aussi élitaire, aussi mandarinale et, en définitive, aussi fermée (pas seulement aux Noirs) ? Quand ce n’est pas la « race », le faciès, le sexe, c’est le manque de diplômes…

Au rebours de la société américaine, la société française reste très compassée et très entachée d’immobilisme.

Ernest PEPIN constate : « le Noir est le seul homme qui doit toujours donner la preuve qu’il est un homme ». Du Code Noir au discours de Dakar…vive la continuité !

Pourtant, dès lors que des voix s’élèvent pour dénoncer le « racisme » de la France, le même Ernest PEPIN vous arrête tout de suite : « les attitudes de supériorité des Blancs hexagonaux ne sont pas dues au racisme, mais à l’ignorance : on les a conditionnés, que ce soit par l’enseignement ou par les médias ». Et, même si Pépin convient que le désir de « grandeur de la France » a présidé à l’entreprise coloniale de la IIIème République, quand il s’agit de pointer l’éventuel « lepénisme » de la France profonde, il ne suit pas. Il a sans doute à la fois tort et raison ; les choses sont si complexes !

Plusieurs intervenants conviés à cette table ronde confirment la « résistance » globale de l’Education Nationale et des milieux universitaires français à tout essai de réflexion sur le rapport à l’Outre-Mer.

Faut-il y voir une forme de mépris ? Ils se gardent d’aller aussi loin.

Ils soulignent aussi que, par exemple, le discours antillais reste ambigu, partagé qu’il est entre la persistance des tentations « assimilatrices » (dues à l’héritage jacobin propre à la France) et le discours très « revendicateur ».

David Diomandé parle carrément de « racisme » à propos d’attitudes qu’il a constatées dans le monde audio-visuel.

Alors…secouer une telle « frilosité » serait-il de l’ordre d’une « mission impossible » ?

N’oublions pas que le grand, l’immense Victor Hugo lui-même était franchement négrophobe et qu’il tenait sans états d’âme des propos racistes. Selon lui, l’éducation des jeunes savoyards passait avant celle des Noirs !

Pour Ernest PEPIN, « la culture européenne est capable du meilleur comme du pire ». On mesure là combien est difficile la véritable rupture avec la France.

Quelqu’un dit : « les Antillais ont été maintenus dans une illusion ». Laquelle ? Celle qu’une intégration pleine et entière à la société française se fera un jour ?

Mirage assimilateur, certes.

Mais aussi dépendance profonde, dont il faut sans doute trouver l’origine dans l’arrachement, le traumatisme de la traite. Et c’est là qu’intervient ce que tous nomment le phénomène de « créolisation ». Le métissage crée, de facto, une identité et une culture nouvelles. Mais une identité complexe, déchirée, incertaine, harcelée de quête. Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive -enfin !- que s’assumer, se vivre métis, c’est assumer harmonieusement toutes les composantes que l’on a reçu de ses ancêtres, d’où qu’ils viennent.

Et Suzanne DRACIUS de nous parler de sa « joie », de son « bonheur » d’être métisse, même si c’est loin d’être facile (d’où le titre de son dernier recueil de poèmes, « Exquise déréliction métisse »). La prise de conscience de sa « féminitude » est à ses yeux indissociable de sa prise de conscience en tant que Noire et métisse.

On est frappé par la volonté de recul qu’affichent tous ces auteurs.

Concernés par les combats, oui.

Mais pas vraiment clairs, semble-t-il, quant à leur rapport à la France. Peut-être parce que l’identité îlienne est une identité « faible ».

Comment, d’autre part, se réclamer d’un continent ancestral, l’africain, quand celui-ci ne donne que l’image de l’échec, et notamment celle de l’échec des indépendances ?

A ce propos, les auteurs jettent unanimement la pierre aux leaders africains. A aucun moment – chose pour le moins curieuse – nous n’entendons parler de ce qu’on nomme la « Françafrique » !

Scrupule à égratigner une puissance tutélaire qui les impressionne encore ( en particulier, ainsi que le dit Tahar BEKRI, par ses  «  Lumières » ) ? On perçoit tout de même une certaine gêne, une sorte de « marche sur des œufs ». De même, on peut regretter qu’à aucun moment ne soit fait le moindre parallèle avec ce qui se déroule dans l’univers anglo-saxon. Comment se fait-il qu’alors que, dans la sphère de ce dernier, les choses « avancent », en France, et ce « quelque soient les gouvernements, la situation change peu en ce qui concerne la place des Noirs » ?

Sur ce plan-là, la discussion peut apparaître un peu décevante, incomplète.

Reste que, dans l’ensemble, elle se révèle très intéressante, de haute tenue (ne boudons pas notre plaisir !). Le dialogue qui s’engage entre les auteurs et les intervenants du public rebondit sans cesse.

Un jeune homme prend le micro pour appeler à cesser de ressasser le passé pour se tourner plus pleinement, plus décisivement, vers l’avenir. Suzanne DRACIUS le « recadre » en lui rappelant fort justement qu’avenir et passé sont indissociables.

Le Tunisien Tahar BEKRI, lui, nous parle du monde arabe.

Après nous avoir appris que les actuels « printemps arabes » étaient « totalement prévisibles », et même prévus de longue date par les intellectuels de son pays et que « la surprise n’a été que pour les médias et l’Occident », il aborde la question du problème noir dans le monde arabe.

A l’origine, nous apprend-t-il, l’esclavage y concernait surtout des personnes blanches d’origine européenne (principalement turque et slave). Mais avec la nécessité d’effectuer de grands travaux dans la région de Bassora, les califes de Bagdad se sont trouvés confrontés à une pénurie de main d’œuvre servile. En effet, les esclaves blancs, tous convertis à l’islam, étaient devenus trop peu nombreux.

C’est ainsi que Bagdad s’en alla razzier des esclaves en Afrique Noire.

Aujourd’hui, le « problème noir », en société islamique, est toujours tabou. Et pourtant, il y a eu, comme partout ailleurs, de mémorables révoltes de Noirs esclaves. BEKRI nous cite même un état noir fondé par un de ces groupes de révoltés, à l’époque du califat de Bagdad.

Et puis, il y a également, là aussi, une « réticence » patente à admettre les liens qui unissent les pays du Maghreb (comme la Tunisie) à l’Afrique Noire, liens cependant beaucoup plus profond qu’on ne serait tenté de croire.

Bekri rappelle que le monde arabo-musulman n’est pas seulement " tourné vers la Méditerranée" comme on tendance à le prétendre, mais que, depuis la plus haute antiquité (comme en témoigne l’Egypte ancienne), le monde noir a été partie prenante de la vie du Maghreb et du Proche-Orient. Voilà qui méritait assurément d’être mis en avant.

Le « mot de la fin » reviendra à une intervenante du public, Patricia Laranco : « nous, métis, nous avons une parole à porter » et « la première grande civilisation, l’Egypte antique, était une civilisation métisse ».

Qu’on se le dise, ce sont les métis, les mélanges de cultures et de peuples qui font avancer le monde !

Suzanne DRACIUS, au reste, avait précédemment souligné que le métissage avait été, pour elle, une « richesse », une incitation à s’intéresser à « toutes les cultures », à « s’ouvrir » au monde.

Le débat terminé, vint le temps d’une dédicace de livres des auteurs présents.

Le magnifique Hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres, vit ensuite l’assistance se restaurer et boire dans son très beau jardin…l’ambiance était détendue, conviviale et, le beau temps et le punch aidant…presque tropicale !

Plus avant dans la soirée, le slameur JYB, de sa voix puissante, se mit à clamer du Delgrès au milieu de la petite foule qui se restaurait. Il fut relayé par une actrice, qui lut à haute voix des extraits de livres.

Ernest Pépin participa également à ce « récital » en plein air .

Paris Métis en écriture…une excellente initiative !


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