Ce que me dit Robert un soir d'août 1953
Nous étions en bivouac sous un ciel de charbon
La journée fut fort rude ne donnant rien de bon
Et dans l’Erg rocailleux, par une nuit glacée
Robert m’a raconté son âme harassée.
Ce récit je te le donne c’est celui d’un mort
Un homme qui se tua car bien trop de remords
Si j’ai changé la forme j’en ai gardé le sens.
Toi qui le liras n’en gardes que l’essence.
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Pendant toutes ces heures sous un soleil de plomb
La bataille fit rage pour gagner cet aplomb.
Dans la nuit qui rougeoie un soldat égaré
Serrant fort son arme sur un torse bigarrée
Cherchait sous l’ondée tiède un lieu de bon répit.
Oublier cette guerre, ces combats, ces dépits
Oublier qu’on existe, ce corps martyrisé
Oublier tout de cette âme de douleur brisée.
Son corps trop épuisé par trop de sang perdu
Son âme fatiguée, de repos éperdue
Cherchait un lieu propice pour son corps fatigué
Par une lutte trop longue, à une nuit de guet.
Sous le voile de la pluie dans une écharpe claire
Une blême lueur un havre que montre l’éclaire
Une porte qui s’ouvre sur un peu de clarté
Une voix qui accueille avec tant de bonté.
Il a posé son arme comme on pose un fardeau
Séchant ses cheveux blonds lui a donné de l’eau.
Puis un bouillon chaud avec des morceaux de porc
Qu’il avala goulu et réclama encore
Sans force et sans conscience il s’est étendu
Sur un lit haut perché comme un enfant perdu.
A ses pieds elle ôta ses chaussures éculées
Sa vareuse ses vêtements tout de pluie mouillés.
Elle soigna sa blessure sans rien lui demander
Et dans le lit carré elle l’a réchauffé
Le serrant bien contre elle lui donnant sa chaleur
Pour chasser son angoisse, ses larmes et ses peurs.
Au matin il s’est réveillé ragaillardit
Un soleil laissait passer une raie affaiblie.
Sur le sol à genoux passant un vieux chiffon
Sur un sol de bois brun qu’elle récure à fond
Une forme, une femme la blouse bien tendue
Frotte comme chaque jour dans sa lutte éperdue
Pour garder chez elle l’aspect de la propreté
Faisant danser sa croupe comme de volupté.
Le soldat de vingt ans que la jeunesse agace
Sent monter la sève devant cette forme sans grâce.
Sa pulsion, son instinct qui embrase son ventre
Lui fait trousser ces hardes, cette femme la prendre.
Après avoir jeté sa semence juvénile
Il vit le visage fin de cette femme sénile.
Une larme pas de joie coulait sur la joue douce
Qu’elle essuya doucement du bout de son pouce.
Honteux, honteux de sa conduite digne d’un porc
Il prit son arme pour ne pas montrer son remord
Son uniforme lavé par les mains de la vieille
Le rendait autre à celui qu’il était la veille.
Sans se tourner vers elle il ouvrit grand la porte
Recevant sur lui le frais que le vent apporte
Il murmura un pardon mêlé de larmes.
La vieille dit : va petit je ne suis qu’une femme.
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Pour ne plus supporter cette honte qui le ronge
Qui écartèle sa vie et pourrit tous ses songes
Robert s’est jeté de l’avion sans parachute
Pour offrir à cette femme l’horreur de sa chute.