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Malraux pendant le Front Populaire

Publié le 12 mai 2011 par Les Lettres Françaises

Malraux pendant le Front Populaire

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Le Front Populaire a suscité beaucoup de passion chez les intellectuels et les artistes. Comment rester tranquillement chez soi à peaufiner ses ouvrages quand des rues monte avec puissance une exigence de vie meilleure que nombre d’écrivains ne cessent d’appeler de leurs vœux ? Et pourtant, combien parmi eux se défièrent de ce mouvement populaire ? D’autant qu’en 36 il ne prit pas l’apparence d’une revendication classique. Ces grèves avec occupations et fêtes ouvrières étaient scandaleuses au regard des possédants qui trouvent répréhensible tout trouble à l’ordre qu’ils ont établi et cherchent toujours à s’en venger comme nous le rappellent les condamnations qui frappent aujourd’hui nombre d’étudiants en lutte contre le CPE.

Quelques années avant 36 André Malraux avait plutôt la réputation d’être un trublion, plus connu pour ses frasques en Asie que pour son talent. Son intégration parmi les intellectuels en vue, révolutionnaires de surcroît, se fait rapidement et en 1936 il se trouve au premier rang de ceux qui veulent la révolution. Ses Carnets du Front populaire sont donc l’occasion de suivre son implication dans des événements d’envergure nationale. En fait il rapporte beaucoup plus ce qu’il a vu et entendu qu’il ne le commente, peut-être dans la perspective de réutiliser plus tard les matériaux recueillis. Certains se retrouveront d’ailleurs dans des romans, mais au total leur nombre est restreint.

Malraux est au cœur du problème majeur du Front populaire : les relations communistes/socialistes. Le récit commenté qu’il fait d’un discours de Léon Blum devant un auditoire populaire essentiellement communiste, montre les difficultés de Blum à convaincre cet auditoire de sa bonne foi et le désir de l’assistance d’y croire tout en s’en méfiant. Malraux place ainsi le lecteur face à des enjeux historiques décisifs. Pour autant ces pages n’éclairent guère sur ce qu’il pense de Blum. On sent Malraux désireux de pousser dans le sens du mouvement populaire, tenant compte de la personnalité de chacun, en fait connaissant les limites politiques de chacun et jouant avec une certaine ambiguïté sa propre partition dans ce cadre qui le dépasse.

Un autre grand moment de ces carnets est constitué par le récit des propos d’un chauffeur de taxi doriotiste qui déblatère avec violence contre les communistes « aux ordres de Moscou », et les « vendus », donnant à penser que la Milice de Pétain, quelques années plus tard, ne tombera pas du ciel.

Ces carnets ne changeront certainement pas l’image de Malraux mais nous n’en discuterons pas l’intérêt. Il faut toutefois relever l’affirmation péremptoire d’un des présentateurs qui écrit qu’en 36 « les milliers de grèves et d’occupation d’usines menacent le pays ». Qu’en eût pensé Malraux qui était alors pour ceux qui « menaçaient ». Qu’a-t-il fait pour mériter pareil outrage en tête de ces carnets ? Mais nous sommes apparemment rentrés dans une période où on ne prend plus la peine de garder un masque. Les mouvements populaires dérangent, et toujours les mêmes.

François Eychart

André Malraux, Carnets du Front Populaire, 1935-1936, Gallimard, 2006, 116 pages, 18 euros.


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