Dans une interview récemment accordée sur Causeur, Nicolas Dupont-Aignan dénonce le « scandale France Trésor », un scandale qu’il a « découvert sur Internet ». Comme j’ai moi-même découvert un certain nombre de scandales sur Internet – l’homme n’a jamais mis le pied sur la lune, le monde est en réalité dirigé par une secte extraterrestre et, pire encore, Elvis Presley n’est pas mort – je me fais un devoir de vérifier les assertions de ceux qui les dénoncent et ce, en particulier, quand le « scandale » en question fleure la théorie du complot à plein nez.
L’Agence France Trésor (AFT), donc, est une agence gouvernementale française dont le métier consiste à gérer la dette et la trésorerie de l’État [1] – à laquelle monsieur Dupont-Aignan reproche d’être conseillée (pas dirigée) par un comité stratégique « composé de banquiers internationaux qui en sont aussi les bénéficiaires ». Traduction : l’AFT, dont le métier consiste à emprunter de l’argent sur les marchés financiers pour le compte de l’État, est (plus ou moins) dirigée par des banquiers privés (apatrides et avides de profits comme il se doit) qui ont tout intérêt à nous faire payer le plus possible d’intérêts puisque ce sont leurs banques qui achètent la dette de l’État. D’où l’« énorme conflit d’intérêt », d’où le scandale.
Le comité stratégique existe bel est bien et il n’a effectivement qu’un rôle de conseil – l’AFT étant, bien évidemment, dirigée par des représentant de l’État à commencer par monsieur Philippe Mills, son directeur général et monsieur Anthony Requin [2], son adjoint. Par ailleurs, le comité stratégique est composé de dix membres [2] parmi lesquels seuls deux correspondent vaguement à ce que monsieur Dupont-Aignan appelle des « banquiers internationaux » – messieurs de Larosière (ancien gouverneur de la Banque de France et conseiller du président BNP Paribas) et Hau (membre du directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild) – à moins que l’on ne considère BlackRock (qui est une société de gestion), la Banque nationale suisse (qui est la banque centrale de nos voisins helvètes) et la BEI (qui est un organisme public de l’Union Européenne) comme des « banques internationales » ; ce qui élèverait – en tirant bien par les cheveux – la proportion de « banquiers internationaux » à cinquante pour cent de l’effectif. Passons…
Pour illustrer le scandale de ce « racket de la richesse nationale », monsieur Dupont-Aignan affirme que « la Banque centrale européenne prête aux banques au taux de 1%, et celles-ci prêtent à la France à 3% ». Il faudrait un livre d’introduction à l’économie pour expliquer à quel point cette affirmation est ridicule mais restons simples : 1%, c’est le taux que payent les banques commerciales à la BCE pour des emprunts sur une journée (c’est un taux « au jour-le-jour ») et 3%, c’est le taux que paye l’État pour des emprunts à dix ans. Avec un minimum de culture économique – et j’admets ici que c’est un problème de culture économique –, monsieur Dupont-Aignan aurait certainement cherché à comparer des choses plus comparables : par exemple, pas plus tard que le 9 mai 2011, alors que le « taux refi » de la BCE (c’est-à-dire le taux auquel les banques commerciales empruntent de l’argent à la BCE) était à 1,25%, l’AFT a emprunté €4 milliards sur 3 mois à un taux de… 1,02% ; soit 0,23% de moins [4].
Rajoutons que la dette de l’État français est majoritairement détenue par des compagnies d’assurance, des fonds d’investissement ou des organismes de retraite c’est-à-dire – in fine – par d’honnêtes gens qui ont placé les économies d’une vie de travail dans des contrats d’assurance-vie, des OPCVMs ou des plans de retraite complémentaire. Les banques ne détiennent vraisemblablement pas beaucoup plus d’un dixième de notre dette publique et – mieux encore – ne le font que parce que la réglementation bancaire les y incite fortement ! C’est une simple question de bon sens : quel intérêt pourrait bien avoir une banque à prêter de l’argent à un État qui, par nature, se finance moins cher qu’elle si on ne l’y a pas incité par voie réglementaire ?
Enfin, juste pour le principe, cette accusation portée contre les instigateurs de cette fameuse loi de 1973 – aussi connue chez ses détracteurs sous le nom de « loi Rothschild » [5] – relève non seulement de l’analphabétisme économique mais surtout du procès d’intention le plus abject. Cette petite théorie complotiste que monsieur Dupont-Aignan a découvert sur Internet dégage un fumet nauséabond qui n’est pas sans rappeler une époque où l’on tenait le même genre de discours en marchant au pas, le bras tendu bien haut. Puis-je suggérer à monsieur Dupont-Aignan de mieux sélectionner ses sources à l’avenir et, par la même occasion, de se fendre d’une lettre d’excuses adressée à l’équipe de l’AFT ?
Cette loi de 1973, votée sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, est un des rares garde-fous qui nous restent pour empêcher des politiciens incompétents de financer leurs lubies en dévaluant massivement la valeur de nos économies et le niveau de nos salaires réels. Depuis quand les politiciens sont-ils plus compétents que les gens dont c’est le métier – et par ailleurs l’intérêt bien compris – pour savoir combien et où investir ? Qui peut être assez naïf pour croire qu’il suffit de faire « tourner la planche à billets » pour créer de véritables richesses ? À combien d’expériences désastreuses – comme celle de la république de Weimar en 1923 ou les imbécilités de Robert Mugabe plus récemment – faudra-t-il que nous assistions pour comprendre que la création de richesse, l’innovation et – finalement – le bien être des gens ne se planifie pas ? La proposition de Nicolas Dupont-Aignan représente bien le même genre d’alternatives que celles de Marine le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon : le suicide collectif.
Notes :
[1] Ce que monsieur Dupont-Aignan appelle improprement « la dette de la France » ; tombant ainsi dans le vieux travers socialiste qui consiste à confondre la société et l’État.
[2] Ca ne s’invente pas !
[3] Donc vous trouverez la liste ici.
[4] Si, comme Nicolas Dupont-Aignan, vous avez internet chez vous : vous pouvez vérifier.
[5] Georges Pompidou fut directeur général de la Banque Rothschild ; il est donc ici accusé d’avoir « vendu » notre intérêt national à une banque… Sans commentaire.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 16 juin à 00:30
Je me permet de poster l'excellent article de charly10:
Continuez à croire nos élus ! !
Gauche ou droite nous n’arriverons pas à nous en sortir sans que nos élus prennent des décisions fermes contre la finance. Petit retour en arrière. Dans la loi du 3 janvier 73, portant sur la réforme des statuts de la banque de France, nous trouvons en particulier cet article 25 très court, qui bloque toute possibilité d’avance au trésor : « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France. »Ce qui signifie que l’article 25 de la loi 73-7 du 3 janvier 1973 interdit à la Banque de France de faire crédit à l’État, condamnant la France à se tourner vers des banques privées et à payer des intérêts ; alors qu’avant cette loi, quand l’État empruntait de l’argent, il le faisait auprès de la banque de France qui, lui appartenant, lui prêtait sans intérêt. Autrement dit : auparavant, l’État français avait le droit de battre monnaie, et avec cette nouvelle loi, il perd ce droit qui est du même coup légué aux banques privées, qui en profitent pour s’enrichir aux dépends de l’État en lui prêtant avec intérêt l’argent dont il a besoin. Cette décision correspond à une privatisation de l’argent et ramène la nation au même rang que n’importe lequel de ses citoyens. L’accroissement sans fond de la dette publique trouve son origine précisément là... Deuxième coup de boutoir : Cette loi adaptée et amplifiée par le traité de Maastricht article 104 qui interdit aux états de se financer auprès de leur banque centrale et impose de s’endetter auprès des marchés et banques privées, lesquels ne se privent pas de se sucrer largement en intérêts ; Ces intérêts représentent aujourd’hui en valeur, plus que l’argent emprunté La dette à fin 1979 était de 239 milliards d’euros (*), déjà injustifiables ; la dette à fin 2008 s’établit à 1327 milliards d’euros ! Ainsi, entre 1980 et 2008, la dette a augmenté de 1088 milliards d’euros et nous avons payé 1306 milliards d’euros d’intérêts. Par la grâce des fameuses agences (Fitch, Moodys, Poors), qui suite à leur notation permettent aux marchés de prêter à des taux supérieurs à 8 % alors qu’elles se fournissent à 1% à la BCE les dettes s’emballent ; Le déficit et la dette, sont, comme le chômage aujourd’hui, structurel. C'est une nécessité ; Voulue d’abord par finance internationale qui en tire profit avec le concours d’un grand nombre de politiciens aux ordres. Il est aussi, la part, que les plus aisés d'entre nous refusent de reverser sous la forme de l'impôt. Si toutes les grandes entreprises payaient leurs charges, et l'Urssaf au lieu de faire du chantage à l’emploi, si les salaires étaient en adéquation avec le coût de la vie actuelle... Si les égo démesurés pensaient à autre chose qu'à la puissance personnelle, peut - être pourrions- nous parler d'autre chose que ces débats qui tournent en rond depuis 1500 ans... C'est usant à la fin. Ce que je sais, c'est qu'à chaque fois que le peuple gronde, 1789, 1830, 1936... 1945... Les puissants se taisent et acceptent. Ensuite ils passent leur temps à truander ce qui a été mis en place pour la justice sociale. Dire que la France ne peut rien faire toute seule est une erreur. La France à le devoir d'être un phare, un idéal de société, ni communiste, ni libérale, ni angélique, juste humaine et solidaire...