Ce soir, ils sont heureux, oui, ce mot si désuet dans la bouche de certains snobs, ou d'autres désabusés de la vie, de ces joies, des moments complices. Elle et lui, lui et elle, tous les deux, ils sont venus dans ce petit restaurant, un ancien bistrot qu'ils aiment tant. Ils avaient lu, durant ces longues soirées, alanguies sur un lit, sur un canapé, coincés entre des coussins, les belles critiques. Plus d'une fois, ils avaient croisé ce lieu de bistronomie, de plaisir du chef entre ses origines basques et les plaisirs marins du patron breton. Un sucré-salé de nos régions, une réussite disaient les magazines, mais aussi une terrasse, une vue sur Paris, le soir, la Seine. La province, comme eux, leurs racines, mais dans la Capitale.
Ce soir, ils profitent, avec une bouteille de champagne dans la seau de glace, deux grands sourires sur les lèvres. Deux bouches aussi qui salivent avec le menu, la gourmandise les a toujours réuni, dans toutes les épreuves, comme un témoin dans un équipe. Des petits plats pour le moral, des découvertes l'un pour l'autre. Lui adore la surprendre, elle est agacée de ne pas savoir ce qu'il mijote, mais adore les surprises (et elle n'a jamais été déçue car il anticipe toujours ses envies, ah l'amour !).
Deux menus, des doigts serrés, un sourire pour deux en s'embrassant. Elle est radieuse, ils trinquent pour eux, pour la vie, pour de nouveau croquer la vie. Les derniers mois, pour ne pas dire les deux dernières années ont été dures, douloureuses même. Mais quand l'un baissait l'autre remontait, supportait, jamais ils ne sont partis, un soutien à deux, l'un pour l'autre, pour eux. Ce soir c'est fête. Elle est radieuse, une robe noire aux genoux, une écharpe en soie fine qui glisse sur les épaules, si le vent frais de la Seine se levait. Elle est maquillée, ce plaisir retrouvé, sa coiffeuse lui a refait un carré, mêché légèrement avant l'été, enfin une saison dehors ensemble qui se prépare.
Sur ses jambes, elle a tant souri de son cadeau pour lui annoncé la soirée, une boite rose, un ensemble Chantal Thomass, des bas nylon noir, si fins si doux. Il a pris le temps de lui attacher es jarretelles, de lui glisser avant les bas. Cette sensation, un renouveau, un pacte nouveau avec sa féminité. Elle a adoré, c'était l'entrée avant de partir pour ce lieu magique, enfin, non plus sur un carnet "à faire demain ou bientôt" mais là, ce soir.
Ils sont complices, ils mangent, ils dégustent plutôt, le patron passe les voir. Ils discutent, papotent entre passionnés de cuisine, de saveurs,de bouts de vie. Des souvenirs s'inscrivent dans leurs deux mémoires. Le dessert, après avoir fait un chassé-croisé avec quatre entrées partagés et chacun un plat. Oui, ce soir on croque l'attente. Fin de la bouteille de champagne, un taxu viendra les récupérer. Ils prennent leur temps, encore quelques bulles, la lune sur le Paris plus calme, cette terrasse et leur amour.
"Madame, Monsieur, votre taxi vient d'arriver !"
"Merci."
Il se lève, récupère la veste boléro pour lui glisser sur les épaules. Il passe derrière elle, clic-clac, les freins du fauteuil roulant, des sourires, on glisse ensemble vers le taxi. Il aperçoit ses jambes, voilés de nylon, elle est si belle avec cette robe. Presque deux ans après l'accident de voiture, les mois d'hôpital, sa féminité, elle l'a cru la perdre, elle l'a oubliée, ce soir elle l'a retrouvée.
Elle sourit au-dessus de son épaule.
"Merci, mon homme, pour ces talons si hauts, si beaux, si moi."
Nylonement