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La conquête, défense et illustration du sarkozysme

Publié le 19 mai 2011 par Variae

Deux éléments auxquels on peut parfois résumer un film : l’affiche, et les premières images. Pour La conquête de Xavier Durringer et Patrick Rotman, d’abord l’affiche, donc, représentant le petit président Sarkozy juché sur un tabouret trop haut, ses jambes sur talonnettes battant dans le vide ; quant aux premières images, ce sont celles d’un homme dans la pénombre, l’air maussade, triturant son alliance. D’un côté, la promesse d’une comédie grinçante, au vitriol, sur le vainqueur de 2007 ; de l’autre, la réalité d’un feuilleton sentimentalo-politique, construit autour de la conquête du pouvoir et de la reconquête de Cécilia Sarkozy.

La conquête, défense et illustration du sarkozysme

C’est donc le fil conducteur de ce film : la relation Nicolas-Cécilia, le rôle de la seconde dans l’ascension, et les doutes, du premier. Sur cette trame viennent se greffer les grandes séquences de 2002-2007, les rapports filiaux (jusqu’au parricide politique) avec Chirac, la compétition avec De Villepin, la conquête de l’opinion et des médias, l’émergence du « style Sarkozy » jusqu’à la campagne de 2007 à proprement parler. Si le sujet pouvait laisser espérer un grand film politique, le résultat final, par manque de souffle (et probablement de moyens), tend plus vers le téléfilm façon France Télévision, comme son casting d’ailleurs (Bernard Le Coq et Florence Pernel, très convaincants dans leurs rôles respectifs de Chirac et Cécilia Sarkozy). Mais c’est le traitement différencié des personnages qui attire rapidement l’attention.

Pour faire court, il y a d’un côté Nicolas et Cécilia Sarkozy, ainsi que leurs proches (les sarkoboys et Hippolyte Girardot en Claude Guéant florentin), et de l’autre le reste du monde. Nicolas ? Au fond, un brave type, dévoré d’ambition mais bourreau de travail, « insolent » (dixit Chirac) mais sympathique en diable, et bien décidé à faire bouger une France qui n’attend que cela. Workaholic survolté, il captive les journalistes par son franc-parler en off, court sur le terrain soutenir ses policiers ou parler aux ouvriers délaissés par la gauche, démasque la perfidie et le double-langage de Villepin. Quand sa compagne vient à le quitter, fatiguée de son rythme de vie, surgit sous la carapace du fauve le mec sympa amoureux et un peu largué, qui retrouve ses copains pour chanter du Johnny Halliday.

La comparaison avec les autres protagonistes principaux est sans appel. Alors que Denis Podalydès interprète un Sarkozy plus vrai que nature, Samuel Labarthe et Bernard Le Coq jouent moins Villepin et Chirac que la caricature faite par les Guignols du duo élyséen. Chirac ? Un beauf’ sans convictions, qui apparaît rarement à l’écran sans sa bouteille de Corona, sa voix imitant l’imitation rendue célèbre par un autre Le Coq (Yves). Villepin ? Un bellâtre ridicule, fourbe et manipulateur (son rôle dans l’affaire Clearstream est assez longuement développé). Quant à Ségolène Royal, elle n’apparaît que singée et ridiculisée par Pierre Charon, interprété par un certain … Dominique Besnehard (qui semble ici venir régler des comptes personnels d’une façon bien peu élégante). Parallèlement, on cherchera en vain les aspects et actes les plus questionnants ou critiquables de Nicolas Sarkozy : dalle d’Argenteuil et karcher, pédophilie « génétique », identité nationale, autant d’épisodes soit effacés, soit présentés sous la forme d’une allusion dans la bouche de Chirac ou de tierces personnes (Sarkozy est à un moment décrit comme « atlantiste » et « communautariste », Chirac lui reproche d’avoir mis le feu aux banlieues), soit encore réduits à des euphémismes (Sarkozy lui-même parlant de l’immigration comme clé de l’élection). En revanche, on met longuement en scène le tribun charismatique lors des grands meetings, l’homme désireux de faire exploser le clivage droite-gauche avec l’aide d’Henri Guaino, et de siphonner les électeurs du FN sans complaisance pour ce parti.

On sort donc de la salle de cinéma avec le sentiment d’avoir vu un film sarkozyste, au sens où l’on peut dire du site Atlantico qu’il est de droite. Non pas frontalement hagiographique, non pas sous la forme d’une propagande grossière et brutale, mais sur un mode plus subtil, présentant les événements du point de vue de Sarkozy, et lui donnant le beau rôle face à une armada de guignols et d’incompétents. La promesse de l’affiche – l’histoire d’un homme pas au niveau de ses fonctions – s’efface au bout du compte devant le portrait plein d’empathie, et à décharge, d’un homme politique pas comme les autres. Libre à chacun de se faire son avis sur les motivations, conscientes ou inconscientes, d’un tel projet cinématographique, à quelques mois de 2012.

Romain Pigenel


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