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Le postromantisme

Publié le 19 mai 2011 par Les Lettres Françaises

Le postromantisme

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Brigitte François-Sappey, musicologue et grande biographe de Robert Schumann, propose un panorama synthétique et personnel d’un courant apparu après les révolutions de 1848-1849, à Vienne puis à Berlin, Paris perdant de son influence. L’auteur se sert de tableaux chronologiques indispensables, note qu’auprès des compositeurs la religion recule, Franz Liszt et Anton Bruckner exceptés, bien que catholiques dans un monde réformé. Johannes Brahms venu de Hambourg deviendra l’icône de Vienne à la fin du XIXe siècle, « entre un romantisme tardif et un postclassicisme ».
L’art est Dieu, Gustav Mahler en témoigne dans un panthéisme extrême, selon Christian Wasselin. Titan, le roman de Jean Paul, devient le titre de sa Première Symphonie, tandis que le Cor merveilleux de l’enfant repose sur un vieux fonds de chansons et de poésies du passé germanique.
Directeur de l’opéra de Vienne, Gustav Mahler n’écrira pas d’opéra mais dix Symphonies (la dernière inachevée). Sous l’influence de sa femme, Alma, il côtoie les milieux d’artistes, de peintres, de sculpteurs, Alfred Roller, Gustav Klimt, Egon Schiele, Adolf Loos, les membres de la Sécession… Il écrit plusieurs recueils et cycles associant orchestre et voix dans une certaine proximité des Poèmes symphoniques de Franz Liszt, qui ne fut pas seulement un héros du piano.
Richard Strauss en fut le premier adepte comme chef et compositeur dans des pièces du même type avant de se vouer quasi exclusivement à l’opéra.
Par sa longévité, il occupe toute la scène postromantique et même au-delà. Non sans se distancier des nouveautés de l’après-Première Guerre mondiale, ce n’est qu’après le second conflit et le terrible épisode nazi qu’il donne deux de ses grands chefs-d’œuvre, les Métamorphoses et Quatre Derniers Lieder. Brigitte François-Sappey se demande si, à la mort de son précieux librettiste Hugo von Hofmannsthal, Richard Strauss n’aurait pas été bien inspiré de collaborer avec des auteurs marqués par les changements de l’approche opératique de la nouvelle musique, que l’on se tourne du côté du révolu- tionnaire formel, Arnold Schoenberg, qui a « inventé » « le drame du cri » – compositeur d’opéra avant la guerre de 1914 mais aussi au cours des années 1920-1930, dans le sillage des transformations de l’écriture atonale – ou d’Anton Webern, et de Hanns Eisler, aussi.
Le Lied était toujours vivace et avait inspiré Hugo Wolf, fort exigeant pour la traduction du poème en musique. Son destin ressemble à celui de Robert Schumann. Dans la trace de ce foisonnement, rappelons le rôle de Bertolt Brecht, notamment dans sa collaboration avec Kurt Weill qui, à la suite de son exil, devint un postromantique américain.

APRÈS 1914-1918

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’effervescence artistique, musicale, est énorme, unique. Le jazz, les technologies de diffusion se développent. Igor Stravinski s’impose, hors de tout post-romantisme. Mais Paul Hindemith, Ferrucio Busoni,
Alexander von Zemlinsky, Erich Korngold, Franz Schreker aussi : l’empire wagnérien n’est plus depuis 1914. Ce qu’on appelle approximativement la modernité s’installe. Cependant l’âge d’or du régime de Weimar n’est pas pérenne, pas plus que le régime politique. Dans le sillage de la crise financière de 1929, le nazisme parvient à conquérir le pouvoir. Ce que Brigitte François-Sappey nomme « les années brunes » s’inscrit dans le chaos social et la montée d’un racisme aussi ravageur qu’élémentaire. Bien que converti, Gustav Mahler subit l’antisémitisme. Dès les années 1937-1938, des expositions stigmatisent « l’art dégénéré ». Les compositeurs sont mis au pas. Richard Strauss quitte la « Chambre des musiciens du Reich » et si certains s’exilent comme K. A. Hartmann, d’autres comme Paul Hindemith, soutenu par le chef Wilhelm Furtwängler, tentent de résister. Mais la partie est perdue.
Richard Strauss propose Capriccio comme curieux « cadeau » au régime tandis que les artistes juifs sont envoyés au camp de Terezin, avant d’être liquidés à Auschwitz. Viktor Ullmann compose l’Empereur d’Atlantis, soit la grève de la mort dans un lieu qui mène à l’extermination. Paul Hindemith monte Mathis le peintre, en Suisse, qu’il quittera pour les États-Unis. Il ne retrouve l’Europe qu’une décennie après 1945, ayant quelque peu perdu de son inspiration d’antan.
Le postromantisme n’est plus que de l’histoire ancienne, mais un trésor inépuisable comme le montre la manière dont ce qu’on a appelé « l’avant-garde », au lendemain de la guerre de 1945, s’est emparé a posteriori de l’école de Vienne. Les idéologies « modernes » sont souvent trop anciennes pour échapper à une certaine précarité même si elles sont nées dans l’effervescence d’une époque très brillante.

Claude Glayman

Gustav Mahler,
de Christian Wasselin. Découvertes Gallimard-Musée d’Orsay, 127 pages. 13,20 euros.
De Brahms à Mahler et Strauss. Le postromantisme musical,
de Brigitte François-Sappey. Fayard-Mirare, 261 pages. 14 euros.

Mai 2011 – N°82



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