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Cassienne, le feu de l'Amour céleste

Publié le 22 mai 2011 par Tudry

Du feu céleste de l'amour,

Cassienne, l'enseignement sur l'amour chrétien, « roman » de saint Nicolas de Jitcha, L'Age d'Homme, Lausanne, 1988.

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Disons le tout net, pour l'Occident, la sainteté rime souvent avec naïveté, voire avec une sorte de mièvrerie un peu « neuneu ». Pour plus d'indulgence disons que ceci est surtout vrai de notre charmante époque. Et (oui oui je sais c'est un peu obsessionnel...) ajoutons que la littérature a très largement participé de cette approche ! Même un texte aussi intense que le La Légende de saint Julien l'Hospitalier (avec son caractère nettement cruel, et son rude rapport crime/sainteté) ne dément pas mon assertion... Non ! En outre, Flaubert, malgré ses indéniables qualités et sa recherche spirituelle (néanmoins très, très marqué par la désorientation occidentale), est le parangon des « vertus » littéraires ! S'il est un « maître » de littérature, il fut très loin d'être un saint (et entendons bien que ceci ne saurait concerné un quelconque jugement « moral ») !

Un saint peut-il donc écrire des romans ? Et, qui plus est, des romans d'amour... Finalement, qui pourrait être mieux placé ?

Toutefois, pour les saints, et particulièrement, pour les saints orthodoxes, le roman semble bien être le lieu de toute perdition, de tout éloignement de la connaissance véritable et complète de l'amour, de Dieu... L'imagination sous le règne du péché (« non lavée du non-humain », pour paraphraser W. Blake) est un entre deux, une interface énergétique qui mène, dans la voie ascétique, à la contemplation des « micrologos » de toute chose, mais également aux fantaisies et fantasmes du démoniaque...

Depuis les Pères de l'Église le lieu de rencontre théologique du langage est la poésie... Les traités théologiques, les hymnes, les prières ne sont que poésie ! Le traitement poétique du langage fait partie intégrante de la cure christique...

Le plus proche, en terme, stylistique, serait alors l'hagiographie... !

Une « légende »... pff, soupire le moderne très au fait de ce qui est « ré-el » et de ce qui ne l'est pas !

Oui, une « légende », c'est-à-dire « ce qui ce dit » et ce qui ce dit de « vrai », ce qui nous mène au-delà de ce qui est « réel », vers l'essence-indicible de la « réalité ».

Aux premiers temps de l'Église, les Pères ce sont emparés du langage de leur temps afin de « l'adapter » à la cure christique. Ils auront « reverbifié » la langue. Le roman n'existait pas... Le temps déroulant son corps serpentiforme, il devint évident que la verbification devait également s'emparer et s'intégrer au récit, à la légende (imitation du Maître qui savait que les simples préféreraient une « histoire contée » à une doctrine exposée...). L'hagiographie fut alors le rapport exposé de la vie et des oeuvres d'un homme ou d'une femme ayant vécue, soit d'une expérience de vie avec, souvent, l'avant et l'après de la cure... Evocation poétique du processus...

Malheureusement le temps allongeant encore sa « cauda draconis », la répétition s'installe et la « lettre » repris le dessus, pas assez de « nouveautés » et l'esprit des simples comme des « supérieurs » (et celui-là surtout) se détournait, voulait allez voir ailleurs, désirait d'autre forme, d'autres « aventures »... A l'oeuvre audacieuse avait succédé la duplication sans âme de procédés, là ou le Christ et ses docteurs avaient imposé une véritable rupture stylistique s'installait à nouveau les scribes et leur idolâtrie de la « lettre », du « beau style académique »... ennui et stérilité !

La sainteté, c'est-à-dire la vrai transfiguration du coeur-esprit, est intervenue très tôt en Nicolas Velimirovitch. Il était un chantre de l'érudition, collectionneur de textes et d'études. La métanoia que la souffrance lui « imposa » n'a nullement détruit son intelligence acérée, au contraire, la réorientation, en la purifiant des insignifiances de la vaine gloire l'aiguisa plus encore tout en l'assouplissant...

Au récit à plusieurs voix de l'histoire de Ioulia/Cassienne, se même l'enseignement que l'higoumène, père spirituel de la moniale Cassienne, avait rédigé. Au lecteur tout est révélé progressivement dans le même récit. Le texte, sous nos yeux, est presque entièrement composé

des lectures des différents manuscrits que les personnages découvrent. L'histoire n'est pas uniquement un « pré-texte » à l'enseignement, elle est l'incarnation de celui-ci, l'enseignement du Père Kallistrate « n'est que » l'illustration théologique de la vie en Christ dont lui-même et Cassienne ont fait l'expérience. C'est un memento offert à sa fille spirituelle pour qu'elle sache toujours, qu'elle se souvienne, le texte est l'icône de sa vie en Christ, sa vie est la confirmation du texte... Le manuscrit sera retrouvé caché sous l'autel du sanctuaire bien après la mort de Cassienne...

Le changement de nom dans le monachisme n'est pas une simple fomalité, une règle sans résonance véritable, translation d'un nom à l'autre, transport qui dépouille peu à peu le vieil homme pour révéler l'homme intérieur. Le monachisme « est semblable à ces verbes irréguliers sans lesquels il n'est pas de discours complet. » (Cassienne)

Cassienne est donc une histoire non-historique mais une histoire vraie, non pas un roman réaliste, car il ne s'agit pas de faire entrer les personnages dans la réalité, d'en faire des éléments du monde-chose. C'est le rapport de l'action véridique de l'Amour dans des vies véridiques, vécues... L'expérience est à la fois absolument unique et universellement partagée. L'hagiographie n'est pas une « biographie » (qui est, en vérité, encore du domaine du « fictionel réaliste ») mais la consignation d'un expérience unique et partagée de déification.

La déification (théosis) est rendue possible par l'économie christique, elle est verbification (logosis)/christification. Souvenons-nous : nous n'avons pas à devenir chrétiens mais « christs » (micro-theos, selon certains Pères).

Le Père Kallistrate est le christ de Cassienne. Elle, elle-est sa Marthe ou sa Marie-Madeleine. Elle, sa vie, séparée de ses grands péchés (orgueil, meurtres, blasphèmes), vécue dans le monastère, dans l'Église, c'est-à-dire dans le CORPS vivant du Christ, dans l'AMOUR qui est Dieu Tri-un, l'a faites christ pour tous ceux qu'elle sauvera non « par » amour mais EN Amour...


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