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Christine Lagarde ne sera pas directrice du FMI. Ou bien.

Publié le 23 mai 2011 par Juan
Christine Lagarde ne sera pas directrice du FMI. Ou bien.Samedi matin, Mediapart a lâché sa bombe, un rapport de la Cour des Comptes sur l'arbitrage miraculeux qui donna raison aux époux Tapie dans leur litige contre le Crédit Lyonnais. On comprend assez vite de la lecture de ce texte que la ministre de l'Economie a agi, sans doute sur ordre élyséen, pour saborder la procédure opposant le CDR, successeur du Crédit Lyonnais, à Bernard Tapie. L'homme d'affaires s'en est bien tiré, 230 millions d'euros nets. L'Etat n'a même pas fait appel.
L'affaire tombe mal, puisque Mme Lagarde est pressentie pour remplacer DSK à la tête du Fond Monétaire International. Un nouveau sommet du G8 se tient cette semaine, sans directeur général du FMI. Dominique Strauss-Kahn est sorti de prison, assigné à résidence et ne sera remplacé qu'en juin prochain.
La succession de DSK
Pour le moment, la ministre n'a que peu d'adversaires sérieux pour le poste du FMI. Les pays émergents donnent de la voix, mais ils sont minoritaires dans le financement du fond. On cite le gouverneur de la banque centrale du Kazakhstan – une dictature par ailleurs soutenue en Sarkofrance, ou celui de la banque centrale mexicaine. Mais l'Asie et le Pacifique n'ont que 21% des droits de vote, contre 35% pour l'Europe et 17% pour les seuls Etats-Unis. Nicolas Sarkozy s'était engagé à une nouvelle gouvernance mondiale.
Samedi, une « source bien placée » à Bruxelles confiait au Figaro, que Christine Lagarde était « quasiment » intronisée comme candidate de l'UE pour remplacer DSK. « Vu de Bruxelles, Christine Lagarde semble incontestée » complétaient Les Echos.
Dimanche, même Martine Aubry lui apporte son soutien : « Ce serait bien que ce soit la France qui ait ce poste et je crois que madame Lagarde, au-delà des divergences que l'on peut avoir (...), est une femme respectable ».
C'est dire que l'affaire Tapie tombe mal.
L'arbitrage miraculeux
Dans son document, la Cour des Comptes rappelle que « lʼarbitrage Adidas/Tapie est couvert par une clause de confidentialité souscrite par les parties », une confidentialité qui ne s'applique pas pour la commission des finances de l'Assemblée nationale ni pour elle-même.
Plusieurs points des accusations contre Christine Lagarde étaient déjà connus, portés à la connaissance du public grâce à des fuites jusque là parcellaires. Mais cette fois-ci, le document publié par Mediapart est quasi-complet (quelques pages ont été censurées, sans explication), et offre une lecture étonnante et inquiétante de ce scandale financier.
Avant l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence, Bernard Tapie était, d'après les avocats du CDR, en mauvaise posture : « La position du CDR dans le contentieux Adidas était considérée par le CDR lui-même et par ses conseils comme favorable à la fin de lʼannée 2006, sur la base de lʼarrêt de la Cour dʼappel de Paris du 30 septembre 2005 et de lʼarrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006. Le Crédit Lyonnais qui avait pour avocat Maître Jourde faisait la même analyse. » Mieux, note la Cour, l'éventualité d'une sanction plus coûteuse que la précédente condamnation (135 millions) que le CDR avait réussi à faire casser en appel paraissait « improbable. »
Et pourtant, en juillet 2008, « le recours à lʼarbitrage, accepté et négocié par le CDR, se solde en 2008 par une condamnation à près de 403 M€, excédant largementle  montant de la condamnation par la Cour dʼappel de Paris le 30 septembre 2005 (135 M€), qui avait fait lʼobjet dʼune cassation le 9 octobre 2006 et le montant provisionné dans les comptes du CDR fin 2006, et encore fin 2007 (134 M€).» Ces 403 millions d'euros se décomposent comme suit : 240 M€ au titre du préjudice matériel ; 105 M€ pour les intérêts légaux sur préjudice matériel ; 45 M€ au titre du préjudice moral ; et 13 M€ de frais de liquidation.
Que s'est-il passé ?
La rupture... en 2007
Début 2007, les avocats de Bernard Tapie suggèrent une procédure d'arbitrage. Le CDR ne donne pas suite. Le changement d'attitude est venu plus tard, après l'élection de Nicolas Sarkozy. La Cour des Comptes rapporte que « lʼancien directeur du ministre de lʼéconomie a indiqué, lors de son audition par la Cour le 20 juillet 2010, quʼil lui avait été signifié par le ministre, dès sa prise de fonction le 22 mai 2007, que lʼorientation avait été prise dʼaller en arbitrage. »
En août 2007, les avocats des époux Tapie réitèrent leur demande de procéder à un arbitrage.Cette nouvelle demande a visiblement l'assentiment du gouvernement puisque quelques jours plus tard, le 11 septembre 2007, le patron de l'APE est informé au cours d'une réunion au ministère de l'Economie « de la décision définitivement prise par le gouvernement de donner son accord de principe (...) à lʼouverture dʼune telle procédure. » Et 4 jours plus tard, il reçoit même un projet de compromis déjà ficelé !
Le 2 octobre 2007, le dit projet de compromis est soumis puis validé par le conseil d'administration du CDR. Il comprend le nom des trois arbitres. La Cour relève que « La pratique courante pour le choix des arbitres nʼa pas été suivie » car, « de manière habituelle, les arbitres ne sont pas désignés au stade du compromis, qui prévoit leurs modalités de désignation.»
La version finale du compromis d'arbitrage, signée le 16 novembre 2007, fut différente de celle approuvée par les administrations du CDR en octobre, et sur un point majeur : le plafond de la demande d'indemnisation des époux Tapie, fixé à 50 millions d'euros, ne concerne plus que l'indemnisation du préjudice moral. Cette modification, essentielle, n'a jamais été portée à la connaissance des administrateurs. Comme le note la Cour, les modalités de lʼarbitrage, rapidement imposées, « ont contribué à en renforcer les risques ». En particulier, « les plafonds acceptés pour les demandes de la partie adverse apparaissent excessivement élevés. (...) Rien ne contraignait le CDR, qui nʼétait pas demandeur, à accepter de telles conditions.»
On connaît la suite : en juillet 2008, les trois arbitres condamnent le Crédit Lyonnais. Malgré l'énormité des dommages financiers (403 millions d'euros bruts), « le conseil dʼadministration du CDR sʼest prononcé le 28 juillet 2008 contre un recours en annulation à lʼencontre de la sentence arbitrale, par trois voix contre deux ». Le président de lʼEPFR, l'établissement public actionnaire du CDR, expliquera plus tard qu'il a voté contre tout appel sur instruction du cabinet de la ministre Lagarde. Mieux, les administrateurs représentant lʼEtat au conseil dʼadministration de lʼEPFR avaient reçu une note le 28 juillet 2008, signée par Mme Lagarde, leur demandant de se prononcer en défaveur dʼun recours.
Ces critiques que l'on a cachées
A la lecture du rapport, on comprend que Christine Lagarde comme le président du CDR (aux ordres) n'ont pas écouté les voix contradictoires. Ils n'ont pas davantage respecté les règles de bonne gestion des fonds publics.
1. Vu l'importance des sommes en jeu et du litige, le Conseil d'Etat aurait dû être saisi : «Compte tenu de ces incertitudes, il était nécessaire de s'assurer par toutes les voies appropriées, y compris la consultation du Conseil d'Etat, que le CDR était habilité à recourir à l'arbitrage pour le compte d'un établissement public.»
2. Le directeur général de l'Agence des participations de l'Etat (APE) a découragé les ministres des finances successifs de transiger. En février 2007, il l'écrit au ministre du budget. En août puis en septembre 2007, il réitère son opposition. En juillet 2008, il suggère que l'Etat fasse appel. En vain.

3. En septembre 2007, le gouvernement a fait remplacer l'un des administrateurs du CDR atteint par la limite d'âge par un autre, Bernard Scemama, lui-même atteint par la limite d'âge 3 mois plus tard (sic !). Un mandat qui a été prolongé jusqu'en février 2009, « soit une durée de quinze mois qui excède manifestement la durée de désignation dʼun nouveau président, comme lʼa relevé lʼAgence des participations de lʼEtat (APE). »
4. Un second administrateur a démissionné avec fracas. Patrick Peugeot, dans sa lettre de démission le 28 juillet 2008, s'indigne que « que les autorités de tutelle tendent à prendre lʼinitiative (sur les affaires dites « non chiffrables »), sans guère tenir compte des avis que peut émettre le conseil, au point dʼailleurs, dans le cas ADIDAS, dʼinformer la presse des décisions avant même que nous ne soyons réunis pour en débattre. » Il n'a pas été remplacé, si bien que le conseil s'est trouvé réduit à 4 membres...
Pour la Cour, la gouvernance du CDR a été affaiblie pendant cette période cruciale : « Durant près de deux ans dont la période cruciale de lʼarbitrage Adidas/Tapie. La composition du conseil au cours dʼune période cruciale sʼest écartée des dispositions du code de commerce applicables aux sociétés anonymes. »
5. Quand il a validé le recours à l'arbitrage, en octobre 2007, le conseil d'administration du CDR nʼa pas « été informé de la lettre du directeur général de LCL datée du 28 septembre 2007 qui exprimait une position « très réservée » sur le principe même de lʼarbitrage.» Le Crédit Lyonnais n'a d'ailleurs pas été entendu par les trois arbitres avant leur jugement. « La présence du Crédit Lyonnais aurait pourtant été utile en défense sur des points capitaux pour les condamnations prononcées » note la Cour.
6. Le comité d'audit du CDR n'a été que deux fois tenu au courant de l'affaire Tapie, et à chaque fois pour des points d'informations mineures.
7. La Cour note le coût exorbitant des honoraires d'avocats dans la fin de procédure. En 2007 et 2008, les avocats mandatés par le CDR ont touché 6,57 millions d'euros dans le cadre de l'affaire Tapie/Adidas. Soit presque autant qu'en 11 ans de procédure depuis 1995 (7,1 millions d'euros) ! Le principal heureux bénéficiaire de cette manne d'honoraires fut le cabinet August et Debouzy, retenu par le nouveau président du conseil d'administration nommé fin 2006.

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