Annoncé depuis longtemps, le développement à grande échelle du véhicule électrique pourrait enfin débuter dans les toutes prochaines années, du fait des dernières évolutions tant sociales que technologiques. Les différentes projections tablent sur une part de marché du véhicule électrique de 5 % à 10 % d’ici 10 ans, soit 1 à 3 millions de véhicules en France.
A l’échelle mondiale, une étude du MIT prévoit que 10 millions de véhicules électriques seront en circulation en 2016.
Or l’assurance automobile constitue un produit clé pour les assureurs : produit d’appel, il représente 40 % du marché de l’assurance dommages et s’adresse d’abord aux particuliers[1], mais aussi aux professionnels ou aux entreprises[2]. Depuis plusieurs années, ce marché est atone : le volume des cotisations stagne voire régresse, les clients sont plutôt captifs et les produits grand public se montrent peu différenciants. Dans ce contexte morose, une assurance attractive pour les véhicules électriques pourrait donc constituer la clé de la croissance pour les précurseurs. En effet, elle leur permettrait d’attirer de nouveaux clients aux dépends de la concurrence, tout en améliorant leur image en les positionnant comme acteur du développement durable.
Un nouveau produit d’assurance à concevoir
Pour concevoir une offre attractive, une des deux conditions suivantes est nécessaire : des tarifs plus faibles que pour les véhicules traditionnels et des conditions spécifiques aux véhicules électriques incluant des innovations propres à ces véhicules. La première condition est aujourd’hui déjà remplie puisque plusieurs sociétés proposent des offres d’assurance pour voitures électriques à un prix moindre que celui des véhicules à essence. De plus, à court terme, tant que les volumes de véhicules électriques resteront très faibles, les assureurs pourront proposer des offres à moindre coût, voire déficitaires, sans prendre des risques démesurés.
En revanche, la seconde condition est loin d’être remplie à l’heure actuelle : ces assurances aujourd’hui commercialisées ne sont pas spécifiques à cette nouvelle motorisation mais consistent principalement en une réduction offerte sur une assurance automobile classique. Or le challenge pour les assureurs est tout au contraire de concevoir un nouveau produit spécifique et une tarification adaptée puisque la sinistralité tout comme les garanties seront profondément affectées.
D’abord, le mode de fonctionnement du véhicule, radicalement différent, va constituer la première rupture technologique en matière de voiture grand public[3]. Les assureurs vont donc devoir suivre un long processus d’apprentissage pour acquérir les connaissances nécessaires concernant les véhicules électriques et leur sinistralité. A l’heure actuelle, le retour d’expérience est très faible, sur le véhicule électrique en général, et sur chacun des modèles en particulier. De plus, certains de ces modèles sont conçus par des sociétés jusque là inconnues dans l’automobile. En premier lieu la Blue car, véhicule retenu pour l’Autolib dans l’agglomération parisienne, est développée par la Bolloré. En termes de tarification, le niveau de fiabilité aura un impact potentiellement important sur le coût des garanties d’assistance ou dépannage, aujourd’hui inclues dans la plupart des contrats. De plus, certains risques pourraient augmenter en fréquence, tels les incendies dans les parkings, et d’autres apparaître, comme l’électrisation de tierces personnes.
Outre le fonctionnement, l’usage sera également différent, avec là encore, un impact notable sur la tarification et de nouvelles garanties correspondant à cet usage particulier à inventer. D’une part, les véhicules électriques étant destinés essentiellement à un usage urbain, la sinistralité sera principalement citadine avec par exemple une vitesse moyenne réduite. D’autre part, en raison du coût prohibitif des batteries, des modes d’utilisation et d’acquisition alternatifs vont très certainement se développer : autopartage, location longue durée, propriété du véhicule mais avec location des batteries etc. En particulier, les constructeurs pourraient avoir tout intérêt à louer ces véhicules autant pour garder la maîtrise de cette technologie naissante que pour offrir à leur clientèle un produit plus compétitif. Ces modalités détermineront l’identité du propriétaire et donc du client des assureurs : le conducteur du véhicule, le loueur du véhicule ou encore celui de la batterie.
Des chantiers à lancer dès à présent
Si le développement à grande échelle du véhicule électrique n’est pas complètement acquis, un faisceau de facteurs amène à l’envisager sous peu, et au plus tard lorsque la technologie des batteries sera mature. Pour les assureurs et mutuelles, l’enjeu est de taille : une part de marché du véhicule électrique de 5 % à 10 % représenterait en termes de primes d’assurance un marché de 1 à 2 milliards d’euros.
Pour les assureurs, ne pas s’atteler à ce chantier dès maintenant est un danger : celui de perdre des parts de marché au profit de concurrents précurseurs en la matière, mais aussi de payer beaucoup plus cher d’ici quelques années les données sur les véhicules électriques nécessaires à la tarification. Plus largement, le développement du véhicule électrique va certainement s’accompagner de l’apparition de nouveaux acteurs dans la chaîne de valeur (loueur de batteries) ou l’élargissement des activités de certains (constructeurs automobiles devenant également loueurs). C’est de ces acteurs que pourrait venir la concurrence la plus dangereuse pour les sociétés d’assurance actuelles. A la manière des assureurs low cost, les constructeurs pourraient bâtir leur propre assurance ex nihilo afin d’assurer leur propre flotte. Si par la suite ce mode de distribution venait à se développer aussi sur les véhicules à essence comme certains le prédisent, c’est une part de marché énorme que pourraient perdre les assureurs.
Dans cette optique, les assureurs doivent dès maintenant s’atteler à la mise en place d’une tarification dédiée aux véhicules électriques. Pour cela la première étape sera probablement la formation des équipes aux problématiques du véhicule électrique : formation des actuaires pour cerner le marché et définir la tarification mais également formation des sous traitants, experts comme réparateurs, pour anticiper les impacts des véhicules électriques sur le traitement des sinistres, etc. La deuxième étape sera ensuite d’obtenir un volume important de données détaillées sur ces véhicules, condition indispensable à une tarification adaptée donc compétitive sur le long terme. Pour cela, les assureurs devront nécessairement se rapprocher des seules parties prenantes disposant de ces données : les constructeurs et les gestionnaires de flottes. Que ce soit au niveau des collaborateurs ou de la tarification, meilleure sera la connaissance du véhicule électrique et de ses spécificités et plus grande sera la part de marché conquise.
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