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Quand le système de renvoi des étrangers se fissure

Publié le 26 mai 2011 par Unpeudetao

Depuis le début de l’année 2011, différentes décisions des plus hautes juridictions européennes et françaises ont fortement ébranlé l’échafaudage juridique visant à renvoyer les étrangers en situation irrégulière en France.

Quand la directive de la honte remet en cause la législation française sur le renvoi des étrangers

Cette remise en cause du système français est venue paradoxalement de la directive européenne sur le Retour de 2008, dite directive de la honte. Cette directive vise en effet à harmoniser les politiques européennes en durcissant les conditions d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Or la France avait jusqu’au 24 décembre 2010 pour la transposer. La directive est donc devenue une norme positive, elle est directement invocable par tous les justiciables et opposable aux législations nationales.

Or, certaines de ses dispositions se sont révélées en contradiction avec la législation française et plus favorables au respect des droits des étrangers.

La fin des mesures d’éloignement sans délai de départ volontaire

Ainsi, l’article 7 de la directive Retour prévoit que, sauf certaines exceptions, un délai de départ volontaire minimal de 7 jours doit être laissé aux étrangers se voyant notifier une mesure d’éloignement. Or jusqu’ici, de nombreux étrangers, arrêtés en situation irrégulière, se voyaient notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière qui entraînait un placement en rétention immédiat.

L’administration a certes tenté de restreindre l’application de cette norme. Mais le Conseil d’État, dans un avis du 21 mars 2011, a estimé que les dispositions de la directive « étaient suffisamment précises et inconditionnelles pour avoir un effet direct en droit interne ». Cet avis a asséné un premier coup de frein à la politique française fondée sur la multiplication des placements en rétention. Désormais, les préfectures ne peuvent placer en rétention que les étrangers ayant déjà fait l’objet d’une mesure d’éloignement et dont le délai de départ est expiré.

La réponse : des expulsions en catimini

Pour les autres étrangers (qui représentaient 70% des personnes placées en centres de rétention), la police est amenée à les libérer après la garde à vue après leur avoir notifié une nouvelle mesure inventée pour l’occasion : un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière prévoyant un délai de quitter le territoire d’au moins 7 jours. Dans ce cas, les étrangers sont alors relâchés, sans souvent saisir les enjeux de cette mesure d’éloignement. S’ils sont arrêtés une deuxième fois après les 7 jours de délai pour quitter le territoire, ils sont alors immédiatement expulsables, sans qu’aucun recours ne soit possible (le délai de recours contre l’Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière est resté en effet fixé à 48h. Lors de la deuxième arrestation, il est depuis longtemps dépassé).

Cette évolution a tout de même eu pour effet de faire diminuer immédiatement le nombre de placements en rétention. Cependant, c’est avec l’application de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 28 avril 2011 que le système mis en place pour éloigner les étrangers s’est considérablement fissuré.

Du délit pénal à la garde à vue illégale pour les étrangers en situation irrégulière

Selon la nouvelle loi sur la garde-à-vue du 14 avril 2011, celle-ci n’est applicable qu’aux personnes soupçonnées d’avoir commis un crime ou un délit passible d’une peine d’emprisonnement.

Entre leur arrestation et leur placement en rétention, les étrangers en situation irrégulière étaient donc placés en garde à vue sur la base du délit de séjour irrégulier, délit passible d’une peine de prison.

Or, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 28 avril 2011, a dit que condamner à la prison un étranger pour le seul fait de demeurer sur le territoire malgré un ordre de quitter le territoire français est contraire à la directive Retour (cette mesure empêche en effet un éloignement effectif).

Le motif du placement en garde à vue s’effondre donc. Si le délit de séjour irrégulier ne peut plus être passible d’une peine de prison, la garde à vue ne se justifie plus.

C’est dans ce sens que plusieurs Cours d’appel de France ont rendu des décisions, semant la pagaille dans les procédures et vidant certains centres de rétention.

Une circulaire absurdement absurde

La Chancellerie, après avoir déclaré que la jurisprudence européenne ne s’appliquait pas à la France, a adressé une circulaire aux parquets interprétant de manière restrictive l’arrêt de la CJUE en limitant ses effets aux seuls étrangers déjà sous le coup d’une mesure d’éloignement et restés sur le territoire français. Ainsi selon la Chancellerie, un étranger qui n’a jamais fait l’objet d’une mesure d’éloignement peut être placé en garde-à-vue pour le délit de séjour irrégulier.

Si on pousse un tout petit peu ce raisonnement absurde, un étranger en situation irrégulière qui est arrêté peut être placé en garde-à-vue en vue de son éloignement. Mais comme la directive Retour prévoit un délai de départ, il est relâché avec un arrêté de reconduite à la frontière avec un délai de 7 jours minimum pour quitter le territoire. S’il reste et s’il est arrêté une seconde fois, par contre, il ne peut plus être placé en garde-à-vue !

Pour exécuter sa mesure d’éloignement, les services de police doivent alors, dans les 4 h prévues pour la vérification d’identité, constater l’infraction, interroger la personne, rédiger tous les procès verbaux, éventuellement en faisant appel à un interprète et contacter la préfecture afin qu’elle décide de notifier un arrêté de placement en rétention. Jusqu’ici ces procédures étaient réalisées durant les 24h de la garde-à-vue.

Des procédures express pour éviter le regard du juge

Comment dans ce nouveau cadre juridique, les préfectures vont-elles pouvoir réaliser les quotas d’expulsion qui leur sont imposés ? Rappelons que le projet de loi sur l’immigration, actuellement examiné par le Conseil Constitutionnel, prévoit de repousser l’intervention du juge des libertés à après 5 jours au lieu de 2 actuellement. Ce qui donnera 3 jours de plus à l’administration pour expulser des étrangers avant même qu’un juge puisse constater l’illégalité de leur arrestation ou de leur garde-à-vue. Si aujourd’hui, les centres de rétention se vident et les arrestations diminuent du fait de la situation créée par ces jurisprudences, il est à craindre que se multiplient rapidement des procédures express, le plus souvent irrégulières, mais qui seront exécutées avant que l’étranger ne puisse voir le juge.

Au vu de la volonté farouche des autorités françaises d’écarter la justice et du mépris du droit européen et même français, on ne peut que craindre la multiplication des arrestations et des renvois en dehors de tout contrôle et dont l’illégalité ne pourra jamais être constatée, encore moins condamnée.

Fortement ébranlé, le cadre juridique mis en place pour renvoyer les étrangers en situation irrégulière, en respectant un certain nombre de leurs droits, risque donc de faire place à plus d’opacité et d’arbitraire. Au lieu donc de mettre en place des procédures d’éloignement en accord avec le droit européen et international, la France s’entête à raccommoder un système défaillant et inique au mépris des droits fondamentaux des personnes.

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 La Cimade, service oecuménique d'entraide :

http://www.cimade.org/


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