par Jacques Salomé
Dans notre vie, les frustrations
les plus douloureusement ressenties, au point parfois de paraître insupportables et de provoquer des réactions disproportionnées, sont les frustrations émotionnelles. Nous pouvons vivre très mal
les frustrations matérielles et physiques, mais celles qui se réfèrent à la sphère des émotions sont souvent vécues comme inacceptables. Car elles touchent aux blessures les plus anciennes de
notre histoire (humiliation, injustice, impuissance, abandon…). Elles peuvent concerner aussi nos besoins relationnels vitaux (pouvoir être entendu, reconnu, avoir une valeur…) ou notre
imaginaire (rêves, anticipations, désirs…). Trop de contrôle sur les désirs dans une vie conjugale, familiale ou professionnelle bloque nos énergies psychiques et abaisse notre seuil de
tolérance, nous rend plus vulnérable aux comportements, paroles et attitudes de notre entourage.
Nous avons aussi des points de fixation, qui mobilisent des enjeux connus (ou mal connus) de nous seuls. Cela peut concerner nos enfants (je n’accepte pas qu’on les maltraite),
un proche (je suis sensible aux regards portés sur ma femme), un objet (s’attaquer à ma voiture, c’est me blesser), mon jardin (abattre un arbre est un crime), mes livres (ne pas les récupérer me
met dans tous mes états). Quand nous nous identifions à telle ou telle situation, même si l’événement ne nous concerne pas, le retentissement éveille des émotions et une décharge d’adrénaline qui
nous submergent. Tout se passe comme si c’était notre propre personne qui était en cause. « Quand j’ai vu cet homme taper son chien, je me suis jeté sur lui et j’ai commencé à le frapper… J’étais
hors de moi, j’aurais pu le tuer ! » Quand nos croyances sont mises en cause, nous ressentons le besoin de les protéger, de les défendre… en attaquant !
Nos émotions sont l’équivalent d’un langage, qui parle de ce qui résonne en nous autour d’une blessure ancienne, d’une situation inachevée, d’une perte. C’est ce qui permet de
comprendre que les frustrations émotionnelles surgissent brutalement et nous traversent à la vitesse de l’éclair. Elles implosent avant de se manifester à l’extérieur. Elles nous laissent
démunis, désorganisés et le plus souvent dans un chaos où la raison n’a plus sa place. C’est dans ces moments-là que nous sommes le plus réactionnel, parfois le plus injuste, et que nous risquons
de prendre des décisions qui se révéleront plus tard totalement inadéquates ou peu cohérentes avec la situation ou avec ce que l’autre est en droit d’attendre de nous. Une frustration qui s’est
déposée sur le registre émotionnel nous pousse à en parler à des proches, à un tiers. Cela explique la logorrhée qui habite certains, quand ils veulent à tout prix faire comprendre ce qui s’est
passé (à partir d’une situation qui paraît parfois très banale) et comment ils l’ont vécu (avec un excès qui paraît suspect !).
Quand nous ressentons des frustrations émotionnelles à répétition, il nous appartient de commencer un travail d’exploration, sur nous et sur notre histoire.
Psychosociologue et écrivain, Jacques Salomé est l’auteur de, notamment, “Vivre avec soi” (Editions de l’Homme, 2003), “Si on en parlait… Trouver une issue à la
violence conjugale” (Jouvence éditions, 2003). www.j-salome.com
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