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Les hommes politiques doivent-ils être vertueux ?

Publié le 03 juin 2011 par Variae

A quand « l’envie de vertu en politique » ? C’est le cri du cœur de Thomas Legrand dans Slate. Partant des récents scandales autour de DSK et Georges Tron, le journaliste récapitule une longue série de déboires moraux de la politique française – affaires de la ville de Paris sous Jacques Chirac, municipalités détournées de l’intérêt général par Boucheron et Balkany, vacances de Longuet et Alliot-Marie dans les dictatures maghrébines … Et le chroniqueur de se désespérer : pourquoi élisons-nous et réélisons-nous des immoraux notoires, quand l’intégrité façon Jospin ne passe pas le premier tour d’une élection présidentielle ? Les récentes affaires hôtelières et podologiques vont-elles produire « l’électrochoc » qui nous fera – enfin ! – choisir la « vertu » lors des prochains scrutins ?

Les hommes politiques doivent-ils être vertueux ?

Il y a quelque de chose de tout à fait frappant dans ce billet : à aucun moment Legrand ne s’interroge sur la disparité des situations qu’il évoque, si ce n’est pour l’évacuer d’un trait de plume, en expliquant que l’on voit à chaque fois les ravages du « tout est permis ». Donc, d’une accusation d’agression sexuelle au détournement avéré de moyens publics, il n’y aurait qu’un pas. Soit. En retour, Legrand ne s’interroge pas plus sur la  « vertu républicaine » qu’il appelle de ses vœux chez les politiciens. Est-ce la même vertu qui est en jeu quand on offre des séances de podologie (et plus si affinités) à ses collaboratrices, ou quand on détourne l’argent du contribuable à son intérêt propre ?

C’est un des traits caractéristiques du moralisme que de (faire semblant de) croire qu’il n’y a qu’une vertu, évidente, et qui s’applique partout et toujours de la même façon. La vie quotidienne démentit pourtant cette croyance. En règle générale, on ne décide pas d’aller chez tel ou tel boulanger en fonction de la façon dont il mène sa vie privée, mais en fonction de ses qualités de boulanger. Ces qualités de boulanger n’échappent pas à un questionnement moral : mais la vertu du boulanger, c’est de faire son travail correctement, de ne pas tenter de voler ses clients, de ne pas mentir sur la qualité ou la composition des produits qu’il fournit, de traiter respectueusement ses employés, etc. Cela étant, sauf à ce que je sois un intime du boulanger en question, je n’ai aucune prise sur la façon dont il agit dans sa vie hors boulangerie. Peut-être est-il un mauvais père, un alcoolique violent et menteur ; mais à moins que ces traits de caractère atteignent un niveau proprement inacceptable et/ou passible de comparution devant les tribunaux, il y a peu de chance que cela interfère dans le choix de fréquenter la boutique d’un bon professionnel.

Le même raisonnement peut s’appliquer à la politique. J’imagine que bon nombre de citoyens votent non pas pour une sainte figure dont ils pourront être certains du comportement en toutes circonstances, mais plus modestement pour quelqu’un capable de faire le job. Contrairement à Thomas Legrand, je ne vois pas là le signe d’un retard regrettable sur les normes morales mondiales, mais bien au contraire la preuve d’une maturité et d’un détachement raisonné vis-à-vis de la politique. D’une capacité de faire la distinction entre « vices » publics et « vices » privés. L’homme ou la femme politique ne sont pas, ni n’ont à être, des surhommes / surfemmes toutes catégories : on leur demande d’administrer en fonction de l’intérêt général, et c’est déjà beaucoup s’ils réussissent honorablement en ce domaine. De même, et pour reprendre le cas Jospin, la rigueur et l’honnêteté, personnelles et publiques, réelles ou surjouées, ne comblent pas le déficit de projet politique. Qui s’en plaindra ?

On me rétorquera peut-être que la politique est justement ce cas particulier où la barrière entre vertu professionnelle et vertu personnelle s’affaiblit, parce que les élus sont choisis non seulement pour gouverner, mais aussi pour représenter, symboliser leurs électeurs. C’est en partie exact (même si cette notion de représentation est, en ce sens, éminemment discutable) et la faute en est largement imputable au scrutin uninominal dans sa forme la plus paroxystique, à savoir l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Tant que les Français éliront leur roi quinquennal, la confusion sera entretenue sur la vertu à rechercher chez les candidats, tant cette élection pousse à la personnalisation, à la mise en spectacle de l’intime et de l’individu. Je pense que la problématique serait tout autre dans une république parlementaire. Mais c’est un autre débat.

Admettons que l’on suive quand même Legrand dans son raisonnement et que l’on décide de « choisir nos élus sur des critères de vertu, sans sombrer dans le puritanisme et sans renier notre tradition de respect de la vie privée des personnages publics ». Comment procéder ? Le cas de la vertu professionnelle pourrait sembler facile à régler : si un homme politique a déjà commis des fautes de gestion dans le passé (type Balkany), il ne faut plus voter pour lui. Et pourtant, cela implique de penser que « qui a bu, boira », et d’aller contre l’esprit de la loi, qui fixe des peines d’inéligibilité pour une certaine durée. Concrètement, on refuserait au bout du compte le droit au pardon et la possibilité d’une rédemption. Autant de choix pas forcément évidents qui expliquent, une fois mis en balance avec la qualité politique, pourquoi des individus que l’on pourrait qualifier de peu vertueux (au sens « legrandien » du terme) sont néanmoins (ré)élus. Deuxième cas, celui de la vertu personnelle, intime. Comment la vérifier ? Comment savoir, pour reprendre les exemples de Legrand, si tel ou tel candidat est un satyre risquant à tout moment de déraper vers l’agression sexuelle ? Je ne vois pas comment on peut vérifier cela sans, justement, « renier notre tradition du respect de la vie privée ». Il faudrait imaginer une sorte d’enquête de moralité imposée aux candidats. Ce qui légitimerait d’aller fouiller dans les poubelles et les caniveaux, pour exhumer des preuves – que l’on imagine bien cachées – des vices secrets des prétendants. Avec quelles limites ? Un baiseur frénétique, ou un fétichiste des pieds, présentent-ils nécessairement un risque de dérapage ? Jusqu’où remonter dans une histoire personnelle pour déceler les traces d’une conduite immorale ? Si « qui vole un œuf, vole un bœuf », à partir de quand un œuf est-il significatif ?

On ne substitue donc pas facilement la vertu et la morale à la loi. Il faut un cadre légal le plus juste et le plus précis possible (ce qui implique peut-être de revoir les motifs d’inéligibilité et les modalités de cette dernière). Après, il faut, me semble-t-il, reconnaître qu’une élection n’est pas une évaluation mathématique et intégrale de l’ensemble des qualités d’un individu, mais un pari fait par l’électeur, d’abord sur les chances de voir une collectivité bien gérée, ensuite sur les risques de dérapages d’ordre personnel avec des répercussions publiques. Faire de la « vertu », comprise comme une qualité générale, un critère central ne peut que générer des débordements puritains dont on ne voit que trop les conséquences actuellement.

Romain Pigenel


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LES COMMENTAIRES (1)

Par CupOfCoffee
posté le 20 juin à 09:23
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"Pourquoi demander aux hommes politiques d'être plus vertueux que la moyenne des français" ? Pierre Méhaignerie - France-Culture - 7 mai 2011 (approx. 11h06) - La messe est dite. ITE MISSA EST.

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