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Un Etat de Droit, pour devenir exemplaire, ne peut être de Droit Divin.

Publié le 04 juin 2011 par Naceur Ben Cheikh

Il n’est pas réaliste ni digne d’un intellectuel qui se respecte, qu’en période exceptionnellement révolutionnaire, il se mette à discourir sur un mode abstrait,  à caractère philosophique. Mais j’estime que moi aussi, j’ai droit à la libre expression.

Considérant comme étant de  mon devoir de dire une parole que j’espère souverainement orpheline, (pour reprendre ce grand penseur maghrébin Abdelkebir Khatibi,) je me dois d’affirmer, en toute lucidité, que ce que nous venons de vivre, durant les années Ben Ali, il est impérieux qu’on l’analyse non pas seulement pour désigner des coupables, mais, en usant de la liberté d’expression ,  de le passer au crible de la pensée critique.

Pour le moment je prends la parole, que la révolution m’offre, pour dire que je ne compte pas me substituer aux déshérités et aux différentes catégories de victimes de la tyrannie qui, chacune  à partir de sa fonction sociale spécifique, ont dû subir soit l’abandon, l’indifférence, le racket, la spoliation ou bien tout simplement les effets destructeurs de la langue de bois.

Je ne suis porteur que de ma parole propre et je ne suis donc le porte parole de personne. Je laisse cela à mes amis poètes et à ceux qui se proposent d’être les représentants d’une révolution qui a surpris tout le monde dans le monde entier.

Peut-être même, y compris celui dont le sacrifice radical de soi, sur l’autel de la dignité, a provoqué  le séisme qui vient de mettre à bas un régime qui se croyait fort de ses différentes polices, de ses différentes milices de ses différentes familles et de ses différents clients.

Car le geste que l’on dit désespéré du jeune Mohamed Bouazizi n’est pas un geste politique. Il est plus que cela. Il est l’expression  tragique de son refus radical de l’indignité. En s’immolant par le feu, Bouazizi a signifié qu’une vie humaine sans dignité n’en est pas une. En tant que tel ce geste d’une violence salvatrice inouïe a atteint, par la densité de son expression, le seuil du sacré. Ce sacré que la majorité de notre peuple a refoulé, et que l’idéologie dominante (celle du pouvoir et de ceux qui s’opposent à lui) a remplacé par une « piété » de circonstance commune au bâtisseur de la Mosquée de Carthage  dédié aux « Abidines » dont il estimait être le « Zine » et à Rached El Ghanouchi ce professeur de philosophie converti en cheikh politique.

Et le sacré  quand il prend une dimension humaine cela se présente sous la forme symbolique d’un Hallaj ou d’un Messie sur sa croix, d’un Ismail consentant au sacrifice de sa vie, d’un prêtre bouddhiste vietnamien, d’un Yan Palash  ou bien  d’un Mohamed Bouazizi, s’immolant tous par le feu.

Le geste de Bouazizi n’est donc pas inédit mais sa signification l’est. Il s’agit, dans son « œuvre » d’irruption du sacré de là où l’on ne s’attendait pas, dans une société outrée, dans son ensemble, par l’indécence insolente d’un Sakhr EL Matri, avec  sa banque et sa radio,  toutes deux voulues islamiques.

La dignité est le propre de l’être humain. Elle est collective, indivise, comme la liberté. Elle est le fondement même de l’expression humaine du sacré qui réhabilite l’homme dans sa condition divine d’Origine.

Contrairement aux interprétations en cours le  geste de Mohamed Bouazizi  n’est pas le résultat du sentiment de désespoir d’un jeune chômeur  qu’il soit  diplômé ou pas. Sa signification  comme émergence du « sacré » ne peut donc être ni politisée ni dupliquée, sans être altérée et ensevelie sous les discours  mensongers des politiciens opportunistes et  des poètes orgueilleux.

Comme toute œuvre d’expression humaine, elle devrait être préservée des retombées nécessairement politiques qu’elle a provoquées et qui portent elles aussi la marque d’un sacré diffus qui donne sa légitimité à notre révolution populaire tunisienne dont la flamme de départ a été allumé à Sidi Bouzid.

Ce sacré diffus, aucun parmi nous ne peut prétendre en être le représentant. Il porte le peuple mais ne lui appartient pas. Le peuple donc ne peut le déléguer à un représentant sans risque de voir ce dernier se prendre pour  l’équivalent de Dieu sur Terre.

Dans les six prochains mois, nous devons, en tant que peuple, non pas élire un chef à une révolution qui ne peut en avoir un, mais profiter de cette  situation  authentiquement révolutionnaire , pour saisir la chance qui nous est donnée de construire un Etat de Droit  et une démocratie qui pour devenir exemplaire ne doit pas être idéale ou d’inspiration divine.

Nous n’aurons pas cette chance deux fois. Les mêmes causes apparentes ne produisent pas les mêmes effets. Il n’est pas certain, bien que nous l’appelions de tout cœur, que les peurs de nos voisins immédiats d’être contaminés par la révolution tunisienne soient justifiées. Les suicides par le feu, voulus au départ politiques, n’ont rien provoqué au sein des sociétés au sein  desquelles elles viennent d’avoir lieu. Comme tout geste  d’expression qui relève du sacré, le sacrifice de Bouazizi ne peut être dupliqué.

Soyons donc dignes. A la hauteur de cette dignité  divine, que cet humble et modeste jeune homme d’une ville qui porte le non mythique de « Abou Zid » nous a fait retrouver. Ne laissons pas nos politiciens de tous bords, nous priver de son souffle sacrée. Mohamed Bouazizi en est le « témoin ».

N’enterrons sa flamme sous les clameurs des discours politiques faits au nom d’une révolution  qui pour chasser les  marchands du temple de Carthage n’a pas eu besoin de leaders. L’indécence de l’insolent gendre du dictateur s’adressant à ses collègues députés quelques heures avant qu’ils ne soient tous balayés par le peuple n’a d’équivalent que celle d’un exilé politique qui a semblé, à l’aéroport de Carthage, vouloir se prendre pour Bourguiba débarquant, en Juin 1955, à La Goulette.

Ne faisons pas comme les dictateurs et ceux  qui en sont les projets, ne transformons pas l’hommage à nos martyrs en spectacle et faisons les vivre dans nos cœurs pour qu’ils demeurent à jamais vivants.

Naceur Ben Cheikh


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