Définition
État aux pouvoirs régaliens contenus
L’État minimal est un État doté de pouvoirs régaliens (impôts, police, justice, armée). Il prend éventuellement en charge quelques fonctions annexes (entretien du réseau routier, électrique, ferroviaire, etc.). La monnaie (faisant originellement aussi l’objet d’un droit régalien) ou l’éducation sont gérées par le secteur privé.
Précisons que le nombre limité de ces fonctions ne suffit pas pour parler d’État minimal au sens strict. En effet, il importe aussi que soient sévèrement circonscrites les prérogatives de l’État en chacun de ces domaines de décision. Par exemple, le rôle sécuritaire du gouvernement ne peut justifier qu’il surveille ses administrés comme autant de suspects potentiels. En franchissant cette limite, l’État n’est plus un État minimum, tout en restant régalien. C’est pourquoi, par souci d’exactitude, il faudrait définir l’État limité comme un État aux pouvoirs régaliens contenus.
Pour Ayn Rand, un gouvernement ne doit assumer que trois fonctions : la Police (pour protéger les citoyens des criminels), la Défense (pour se protéger d’une invasion étrangère) et la Justice (pour régler les conflits selon des lois objectives). Toute autre fonction du gouvernement requerrait l’usage coercitif de la force et serait donc immorale.
La minarchie, héritage du libéralisme classique
Préoccupation inaltérable des libéraux classiques, l’État minimal (appelé parfois « état veilleur de nuit ») est aujourd’hui un modèle défendu par les minarchistes. Leur plus célèbre représentant, Robert Nozick, définit deux conditions nécessaires à l’existence de l’État :
- un monopole de facto sur l’emploi ou l’autorisation de l’emploi de la force dans un territoire donné (état ultraminimal)
- une protection étendue à tous les habitants de ce territoire (état minimal).
John Hasnas défend dans Some Reflections on the Minimal State l’idée d’un État qui pourrait être une forme d’État ultraminimal : l’État contrôleur (remedial state). A l’encontre de l’argument lockéen qui justifie moralement l’existence de l’État parce que le marché ne pourrait fournir les biens publics nécessaires à la sécurité de la société (police et justice), Hasnas indique que la tâche de l’État n’est pas de fournir ces biens, mais de s’assurer que ces services soient fournis, arguant du fait qu’il est impossible de justifier a priori le monopole de la production de ces services par l’État. L’État contrôleur présente l’avantage de ne pas trancher entre les partisans d’un État minimal qui assure lui-même les services de sécurité indispensables et les partisans de l’anarcho-capitalisme qui s’en remettent entièrement au marché : si ces derniers ont raison, l’État contrôleur disparaîtra de lui-même, dans le cas contraire, il se transformera en État minimal.
Les différents points de vue libéraux
Alors que les anarcho-capitalistes croient à la possibilité d’un marché diversifié de la sécurité, les minarchistes pensent que la sécurité représente un monopole naturel, que l’État offre des économies d’échelle, et que les agences de protection privées en viendront à fusionner, se fédérer, ou à se combattre, ce qui aboutira à une unique agence dominante. Selon Nozick, l’agence dominante correspond à un État ultraminimal produit par un processus de main invisible (sans contrat social lockéen). L’agence dominante réussit, grâce à son monopole de facto, à faire respecter l’interdiction d’utiliser des procédures de justice non approuvées par elle. L’État ultraminimal se transforme en État minimal en offrant une protection gratuite à ceux qui sont désavantagés par son monopole de facto sur les procédures de justice.
Certains anarcho-capitalistes tels que Murray Rothbard contestent ce type de scénario. Ils ne voient pas d’une part comment peut surgir un État ultraminimal (« immaculée conception » de l’État, selon Rothbard), ni d’autre part pourquoi une agence dominante émergerait nécessairement, et qu’est ce qui empêcherait par la suite l’émergence de concurrents à cette agence. D’autre part, les anarcho-capitalistes doutent que l’État minimal reste minimal indéfiniment (et l’exemple des États-Unis, « État minimal » au XVIIIe siècle, en est une bonne preuve) :
«Les partisans de l’État limité défendent souvent l’idéal d’un État au-dessus de la mêlée qui ne prendrait pas parti ni ne ferait étalage de sa puissance, d’un « arbitre » qui trancherait avec impartialité entre les différentes factions de la société. Mais quelle raison les hommes de l’État auraient-ils de se comporter ainsi ? Étant donné leur pouvoir sans contrepoids, l’État et ses dirigeants agiront de manière à maximiser leur pouvoir et leur richesse et par conséquent, dépasseront inévitablement leurs prétendues « limites ». Ce qui est important, c’est que l’utopie de l’État limité et du libéralisme ne fournit aucun mécanisme institutionnel pour contenir l’État à l’intérieur de ces limites. Pourtant, l’histoire sanguinaire de l’État aurait dû prouver qu’on use nécessairement, et donc qu’on abuse, de tout pouvoir quel qu’il soit, dès lors qu’on l’a reçu en partage ou qu’on s’en est emparé. »
— Murray Rothbard
«À partir du moment où vous admettez que l’État, en tant que monopoleur territorial doté d’un pouvoir de taxation et apte à prendre les décisions ultimes, est quelque chose de nécessaire, vous n’avez aucun moyen de limiter son pouvoir pour qu’il reste un État minimal. En présumant simplement que les dirigeants ont tendance à promouvoir leurs propres intérêts, on constate que tout État minimal a tendance à devenir un État maximal, nonobstant les dispositions constitutionnelles qui s’y opposent. Après tout, la constitution doit être interprétée, et elle l’est par une Cour suprême, c’est-à-dire par une branche du même gouvernement dont c’est dans l’intérêt d’élargir le pouvoir de l’État, et par le fait même son propre pouvoir. »
— Hans-Hermann Hoppe
L’aspect fiscal est souvent négligé par les partisans de l’État minimal. Certains minarchistes admettent un impôt limité par la constitution, d’autres (comme Ayn Rand) souhaitent que l’État soit financé par une contribution volontaire.
Critiques envers la notion d’État minimal
Pour certains théoriciens, les défenseurs de l’idée de l’État minimal ne poussent pas la logique et ses conséquences jusqu’à son terme. En effet, en gardant toujours l’idée de ce qu’il serait possible politiquement, les défenseurs de l’État minimal ont tendance à opposer une situation idéale, l’État veilleur de nuit, avec celle de l’État actuel : n’est-ce pas contradictoire de prétendre que l’État puisse avoir la volonté de se réduire (idéal) alors que sa logique intrinsèque est d’avoir toujours des missions élargies ? La logique du pouvoir politique étant elle-même de nature expansionniste, comment les hommes de l’État pourraient-ils prétendre s’écarter de cette tendance ? Une multitude de critiques envers la notion d’État minimal souligne également l’incompréhension de la nature de l’État et dans le rapport que celui-ci entretien envers les individus, l’État garant des droits individuels peut facilement se démontrer comme étant non seulement impossible mais aussi profondément incohérent.
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Voir aussi
Bibliographie
- 1796, Wilhelm von Humboldt, Essai sur les limites de l’action de l’État, réédition Les Belles Lettres 2004, ISBN 2251390367
- 1974, Robert Nozick, Anarchie, État et utopie, réédition PUF 2008, ISBN 2130564712
Liens wikiberal
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Autres liens
- (en)Robert Nozick, Anarchy, State and Utopia, critique par Peter Vallentyne
- (en)Some Reflections on the Minimal State, par John Hasnas