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Mariage "lesbien" à Nancy : quand la logique administrative rejoint la "logique" de l’amour…

Publié le 06 juin 2011 par Sylvainrakotoarison

Un événement à la fois banal et exceptionnel dans la cause du mariage des homosexuels : la non reconnaissance d’un changement de sexe à l’état-civil a permis la célébration légale de ce qu’on pourrait appeller le premier mariage homosexuel de France. Pourtant, le vrai progrès social serait plutôt dans de plus grandes possibilités d’adoption.

Dans le flot parfois extrêmement inintéressant des informations qui passent à toute allure sous le nez du petit consommateur de nouvelles, il y en a une qui m’a paru originale car avant tout joyeuse. Cela s’est passé samedi 4 juin 2011 dans la matinée, en plein pont de l’Ascension, sous 30°C, une atmosphère torride sous un grand soleil lorrain et sur la belle place Stanislas de Nancy.

Que peut-il se passer de joyeux sur la place de l’hôtel de ville un samedi préestival ? Oui, vous avez deviné, bien sûr, un mariage !

Mais celui-ci est un peu particulier puisqu’il est dit le premier mariage homosexuel qui a été célébré légalement en France. C’est fou, hein ?

Vous avez dit mariage homosexuel ?

Le mariage homosexuel est pourtant formellement interdit, comme l’avait reconnu le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 28 janvier 2011 à la suite d’une saisine pour une question prioritaire de constitutionnalité. Les gardiens de la Constitution ont sagement estimé que l’autorisation de célébrer des mariages entre personnes de même sexe revenait uniquement au législateur, refusant de prendre partie sur un sujet très sensible.

La polémique avait éclaté entre autres le 5 juin 2004 (il y a sept ans) lorsque le député-maire de Bègles, Noël Mamère (Verts), avait célébré un mariage entre deux hommes, mariage qui avait été annulé par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 27 juillet 2004, annulation confirmée par la cour d’appel de Bordeaux le 19 avril 2005 et par la Cour de cassation le 13 mars 2007, en raison des articles 75 et 144 du Code civil qui évoquent une différence de sexe entre les deux époux (même si la définition du mariage n’apporte aucune indication sur le sexe des époux).

Olivier Husson, l’adjoint au maire qui officiait ce 4 juin 2011, a d’ailleurs pris une sage précaution : pour ne pas risquer l’annulation par la suite, il a tout simplement demandé au procureur de la République de lui dire si tout était en ordre dans ce mariage ou pas, et la réponse étant positive, il l’a célébré à la grande joie des nouveaux mariés.

Petite caractéristique particulière

Il y a cependant une petite originalité dans ce mariage homosexuel. Il s’agit de deux femmes. Oui mais non. Il y a l’épouse, Élise, une très jolie jeune femme de 27 ans qui paraît bien sympathique, et il y a l’autre épouse, Stéphanie, beaucoup plus âgée, 59 ans, qui ne s’est pas fait appeler Stéphanie par l’adjoint au maire mais …Stéphane.

Effectivement, Stéphanie ne s’appelle pas vraiment Stéphanie dans l’état-civil. Elle s’appelle, enfin, il s’appelle Stéphane et il est de sexe masculin. Pour l’État, le couple reste une femme et un homme. Donc, pour la République, tout va bien.

Née homme, Stéphanie a subi une opération pour se transformer en femme. Elle a donc changé de sexe. C’est difficile à comprendre, surtout physiquement, car cela doit être une rude épreuve personnelle, pour soi, son corps, pour ses proches, pour la société, les gens autour de soi. Cela devait sans doute être nécessaire dans sa tête, car il faut une sacrée motivation pour faire aboutir ce souhait.

Or, si le corps de Stéphane est devenu physiquement une femme, grâce aux subtilités de la chimie et de la médecine, Stéphanie n’est toujours pas reconnue comme femme pour l’état-civil. J’imagine qu’il faut une vraie dose de courage administratif pour essayer de faire changer le sexe. Il semblerait cependant que Stéphanie ait refusé de fournir à la justice des documents attestant son intervention chirurgicale, ce qui est pourtant indispensable depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1992.

Par conséquent, pour Stéphanie et sa jeune compagne, en couple depuis quatre années, il y a eu une fenêtre des possibles. Puisqu’on ne reconnaît pas le changement sexe, on va pouvoir reconnaître le mariage. Ce qui est d’une logique implacable.

Visiblement, ce mariage n’était pas une provocation mais plutôt, comme les deux épouses l’ont expliqué, « un moment d’amour et de tendresse avec nos proches ».
Le mariage homosexuel est-il une solution ?

Quand on voit la joie de ces deux mariées, nul doute qu’il serait normal d’autoriser les mariages entre personnes de même sexe. Pourtant je reste convaincu que le mariage devrait rester pour deux personnes de sexe différent. Pour une question de cadre et de référence sociale.

Le mariage en effet n’est pas seulement la reconnaissance sociale d’un couple. Depuis plusieurs décennies, cette reconnaissance sociale ne nécessite plus le mariage car un simple certificat de concubinage ou mieux encore depuis la loi n°99-944 du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (PACS) sont autant de possibilités de reconnaissance sociale d’un couple, hétérosexuel ou homosexuel.

Notons d’ailleurs pour l’anecdote que le premier parlementaire à avoir déposé une proposition de loi pour « créer un contrat de partenariat civil » a été Jean-Luc Mélenchon le 25 juin 1990 (il y a bientôt vingt et un an), à l’époque sénateur socialiste et devenu ce 5 juin 2011 le candidat officiel du Parti communiste français à l’élection présidentielle du 22 avril 2012.

La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 et celle n°2007-1223 du 21 août 2007 ont modifié la forme du PACS pour approcher le régime fiscal à celui des personnes mariées.

Besoin d’un consensus social sur une institution

Le mariage n’est pas seulement un contrat entre deux personnes, il est aussi une véritable institution, celle essentielle dans une société, le concept traditionnel de la famille. Il existe certes aujourd’hui beaucoup de familles "recomposées" (parfois "décomposées") qui sont la conséquence logique du divorce et surtout (heureusement) de l’autonomie financière des femmes (un élément majeur dans l’évolution de la société).

Dans ce cadre traditionnel, il est question d’une femme, d’un homme, et de leurs enfants, et donc, d’une mère et d’un père. Ce cadre ne convient pas à tout le monde, et même s’il est parfois souhaité, il n’est parfois plus possible pour de multiples raisons personnelles. Permettre à un couple homosexuel de se marier, c’est casser cet outil social très ancien et surtout, c’est casser le consensus national sur une notion essentielle : la famille.

Au même titre que la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité est désormais largement approuvée pour sa capacité à gérer le libre exercice du culte (ou non culte) au sein de la même nation ; au même titre que la loi n°2005-370 du 22 avril 2005 dite loi Leonetti relative aux droits des malades en fin de vie a réussi à trouver un équilibre qui fait désormais consensus pour traiter l’euthanasie passive sans encourager les abus ; la loi du 15 novembre 1999 créant le PACS, qui fit beaucoup couler d’encre par les passions qu’elle a suscitées, est devenue elle aussi consensuelle et approuvée par une large majorité des citoyens.

L’adoption par les couples homosexuels, voici la vraie voie de progrès social

La seule différence actuelle qu’il y a entre couples reconnus d’homosexuels par rapport aux hétérosexuels, c’est la possibilité d’adoption d’enfants pour les couples homosexuels. C’est sans doute la voie de progression sociale pour rendre moins discriminatoire l’homosexualité.

Je ne trouve en effet aucun argument pour refuser l’adoption aux couples homosexuels. On explique que l’éducation de l’enfant adopté serait déséquilibrée parce qu’il n’aurait aucun père ou aucune mère et deux mères ou deux pères selon les cas. Mais de qui se moque-t-on ? Combien y a-t-il de familles monoparentales (essentiellement une mère seule avec son ou ses enfants) ? Les enfants avec l’absence d’un seul parent ont moins de chance que ceux qui en ont deux, et dans une société plus tolérante aujourd’hui qu’hier, les enfants sont plus capables d’assumer socialement la situation d’avoir des parents homosexuels.

D’ailleurs, concrètement, l’adoption existe déjà. À partir du moment où une personne célibataire peut adopter, pourquoi le refuserait-on à un couple homosexuel ? L’adoption commune aurait des avantages juridiques très importants en cas de décès d’un des deux parents adoptifs. C’est surtout là l’enjeu. Car pour parler d’éducation équilibrée, ce n’est plus une question de sexe, c’est une question d’individu ; même la cellule familiale traditionnelle peut être plus désastreuse dans l’éducation des enfants que d’autres modèles ; c'est ce que suggère la lecture de quelques faits divers assez glauques…

François Bayrou dans une logique de réalité

Bref, je m’aperçois que dans mes réflexions, je rejoins pleinement la position rationnelle de François Bayrou exprimée le 2 septembre 2006 qui refuse le principe sémantique du mariage homosexuel tout en prônant l’évolution du PACS en lui donnant les mêmes droits juridiques que le mariage et qui approuve l’adoption simple pour les couples homosexuels et la reconnaissance du second parent en cas d’adoption par un couple homosexuel.

Les partisans du mariage homosexuel polarisent, à mon sens, trop leur combat sur un aspect très symbolique qui va à l’encontre de la réalité vécue par les couples homosexuels qui élèvent déjà trois cent mille enfants et dont l’éducation devrait être garantie par les deux personnes du couple.

En attendant…

Dans tous les cas, félicitations à Élise et Stéphanie, et longue vie à elles et à leur union.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (6 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Textes sur le PACS depuis le 15 novembre 1999.
L’homoparentalité selon François Bayrou (2 septembre 2006).

L’homophobie en Afrique.

Coming out de Tintin.

Les mariages posthumes.

Les mariages gris.

Annulation de mariages.




http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/mariage-lesbien-a-nancy-quand-la-95472


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