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Une île (11)

Publié le 06 juin 2011 par Feuilly

Je suivis donc mon guide. Par des couloirs compliqués, nous pénétrâmes dans une autre partie de la maison. C’était un véritable labyrinthe et j’étais déjà complètement perdu et je ne parvenais plus à m’orienter, quand elle ouvrit une porte qui donnait sur un escalier de pierre, lequel semblait plonger littéralement dans les entrailles de la terre. On n’en voyait pas la fin. Une salle de bain, cela ? Une cave, oui, ou un cachot… La princesse remarqua mon inquiétude et me sourit avec tendresse, d’un petit air complice, ce qui me rassura aussitôt. Nous entreprîmes la descente et mentalement je me mis à compter le nombre de marches : soixante-deux, soixante-trois, soixante-quatre… Ca n’en finissait plus. Quatre-vingt-cinq, quatre-vingt-six. Ouf ! Nous étions enfin en terrain plat.

Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. Je croyais être arrivé à destination, mais il fallut me rendre à l’évidence. Le couloir que nous empruntions maintenant n’était qu’une étape, un palier, en quelque sorte, dans l’interminable descente que nous avions entreprise et bientôt un autre escalier, plus étroit, fit son apparition. « Eh bien, elle n’est pas très d’accès facile, votre salle d’eau… » Elle se retourna : «C’est vrai, aussi, quand nous venons ici, c’est toujours pour un long moment. » Et en disant cela elle me fixa longuement de son regard grave et sérieux. Qu’est-ce qu’elle voulait dire ? Etait-ce un piège ? Me conduisait-elle vers quelque cachot sordide ou quelque oubliette de type moyenâgeux ? J’étais sur mes gardes, tout en continuant à compter : cent quarante-deux, cent quarante-trois… Nous étions maintenant dans une sorte d’escalier à vis, qui plongeait littéralement vers le bas, dans une descente vertigineuse. Deux cent vingt-huit, deux cent vingt-neuf, deux cent trente. Ouf ! Nous étions enfin arrivés.

Une solide porte en chêne nous barrait le passage. Elle prit son trousseau de clef et ouvrit. Curieux. Depuis quand ferme-t-on les salles de bain quand elles sont inoccupées ? Je m’attendais vraiment à me retrouver dans un cachot et pour rien au monde je n’aurais franchi cette porte le premier. Mais non, c’est elle qui entrait, tout en me souriant d’un air mystérieux. « Nous y voilà » Ca alors ! En fait de salle de bain, je n’avais jamais rien vu de semblable. On se serait cru dans une espèce de grotte. En tout cas une des parois avait été taillée directement dans le rocher et d’ailleurs fort grossièrement, ce qui donnait à l’ensemble un côté « naturel » assez étonnant. De plus, une grande cuve de pierre, taillée elle aussi dans le roc, tenait lieu de baignoire. Le plus curieux c’est qu’elle était déjà remplie d’eau. D’une ouverture dans le rocher, une petite cascade tombait dans la baignoire, laquelle se vidait à l’autre bout par une sorte de trop-plein. La lueur des flambeaux que nous tenions à la main donnait à la scène un aspect féérique et quand la princesse s’avança pour tremper une main dans l’eau, son ombre, gigantesque, s’agita sur la paroi. « Les bains froids » dit-elle simplement, sans rien ajouter d’autre. « Pour les bains chauds, c’est par ici. »

Elle ouvrit une autre porte et une nouvelle volée d’escaliers apparut. Décidemment, on n’en verrait jamais la fin ! Heureusement, après une petite cinquantaine de marches, nous étions déjà arrivés. Le même spectacle s’offrit à moi : le rocher nu et une grand baignoire de pierre, taillée elle aussi directement dans le roc. Mais ici régnait une chaleur incroyable et de l’eau qui tombait dans la baignoire s’élevait de la vapeur. Cette fois, c’est moi qui trempai ma main. L’eau était vraiment chaude, presqu’à 37 degrés autant que je pus en juger. Comment était-ce possible ? Sans que je ne lui demandasse rien, la princesse me donna l’explication : nous étions à trois cents mètres sous le niveau de la mer, autrement dit à plus de six cents mètres par rapport au niveau du château. Les deux salles de bain récoltaient naturellement l’eau de deux lacs souterrains, l’un d’eau froide, provenant probablement du ruissellement de la pluie, et l’autre d’eau chaude. Mais comment cette eau pouvait-elle être chaude ?

Elle me regarda d’un air amusé. « Vous oubliez que nous sommes sur une île… » « Sur une île, oui et alors ? Je ne vois pas le rapport. » « A votre avis, qu’est-ce qui a pu être à l’origine de cette île ? » « Ben, je ne sais pas moi… Un tremblement de terre ? Ou la pression du sol qui a fait surgir ces montagnes. » « Voilà, vous y êtes presque. La pression du sol, autrement dit de la lave. Nous sommes sur une île volcanique et dans les profondeurs de la terre le magma incandescent fait monter la température. Du coup, l’eau des lacs souterrains devient chaude et mes ancêtres ont eu l’idée géniale de la récupérer. » Je n’en revenais pas. C’était absolument ingénieux et supérieur encore comme invention au chauffage central des Romains. La princesse m’observait toujours, mi-sérieuse, mi-amusée.

« En tout cas, il fait chaud » dis-je pour garder une contenance, car son regard me troublait sans que je susse pourquoi. « Bien sûr qu’il fait chaud. C’est normal. Au fait, vous voulez voir le centre de la terre ? » Elle ouvrit alors une porte latérale et la chaleur devint aussitôt étouffante, suffocante même, tandis qu’une forte odeur de souffre faillit nous faire reculer. Nous étions sur une petite plate-forme de quelques mètres carrés seulement, laquelle dominait une immense grotte. De nos têtes, nous en touchions presque le plafond. Mais là, sous nos pieds, tout en bas, à cent ou deux cents mètres peut-être, une inquiétante masse rougeâtre bougeait lentement. « Et voici la lave… » dit-elle simplement, comme si c’était là le spectacle le plus naturel du monde. J’osais à peine regarder, de peur de tomber, car il n’y avait ni barrières ni garde-fou. Mais elle avait raison. Cette masse mouvante au fond du gouffre était bien de la lave en fusion.

Elle m’expliqua que tout était calme pour le moment, mais qu’elle avait connu des périodes où le magma devenait plus chaud et donc plus liquide. Ce qui coulait alors là en-dessous, c’était une véritable rivière de feu, qui se déplaçait à la vitesse d’un grand fleuve. Petite fille, elle était souvent venue ici, fascinéepar ce spectacle grandiose. Elle avait été une enfant fort solitaire, surtout après la mort de son père et elle n’aurait pu dire combien d’heures elle avait passé là, à observer la lave en fusion. Parfois, l’envie lui prenait de se jeter dedans, ce qui aurait résolu tous ses problèmes. Mais seul le désir de venger son père l’avait empêchée d’accomplir ce geste fatal. C’était à l’époque où tout le monde croyait encore que les marins allaient revenir. Depuis, évidemment, cette idée de vengeance s’était évanouie, puisque fort probablement les assassins avaient dû périr en mer. Il n’y avait qu’une chose qui était restée la même. « Votre solitude » dis-je spontanément. « Oui, ma solitude » répéta-t-elle en me fixant de nouveau d’une étrange façon. Je sentis aussitôt un trouble étrange m’envahir et pour la première fois le désir de l‘embrasser, là, sur le champ,s’imposa à moi. Je parvins pourtant à me contenir et nous regagnâmes la salle de bain.

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