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La théorie du genre s’invite dans les lycées

Publié le 07 juin 2011 par Veille-Education

Les nouveaux manuels de première de sciences naturelles abordent l’identité et l’orientation sexuelle. L’enseignement catholique appelle à la vigilance.

« Devenir homme ou femme », Simone de Beauvoir n’aurait pas trouvé meilleur titre pour le chapitre du nouveau programme de sciences et vie de la Terre (SVT) des classes de première, actuellement au coeur d’une polémique. La façon dont les manuels scolaires de la rentrée 2011 des sections L (littéraire) et ES (économique et sociale) se sont emparés de la question de la formation de l’identité sexuelle suscite la colère d’une partie de l’opinion catholique. Plus mesuré, Claude Berruer, adjoint au secrétaire général de l’enseignement catholique, a néanmoins écrit aux chefs d’établissement pour les mettre en garde : certains livres vont au-delà de ce qu’exige le programme et affirment comme scientifique une approche qui relève d’un débat idéologique. Selon lui, la théorie du genre a pesé pour une part sur le contenu des manuels. « En tentant de minimiser l’importance de la différence biologique des sexes, elle va à l’encontre de l’anthropologie chrétienne », affirme Claude Berruer, qui appelle les équipes éducatives à choisir les manuels avec discernement. Éclaircissements.
Pourquoi ce nouveau programme ?

Dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 30 septembre 2010, seules quelques lignes décrivent l’objectif du nouveau chapitre intitulé « Devenir homme ou femme ». L’approche est réservée aux classes de première littéraires et économiques et sociales, sections où les sciences sont souvent mises en relation avec des questions de société, et sera au programme du bac dès 2011.

À la rentrée, les professeurs de SVT devront non seulement enseigner la détermination biologique du sexe, mais aussi « saisir l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». On voit qu’il s’agit avant tout d’aborder la question de l’homosexualité. « C’est une tentative perfectible de lutter contre l’homophobie, estime Laurent Lemoine, frère dominicain et professeur d’éthique sexuelle à l’université catholique d’Angers. Le ministère veut donner aux enseignants et aux élèves des outils théoriques pour éviter la stigmatisation de l’homosexualité qui est une des premières causes de suicide chez les adolescents. »

Mais peut-on lutter contre l’homophobie sans relativiser l’hétérosexualité, sans en faire une simple « orientation », voire une « construction sociale » ? « L’enjeu pour les éducateurs est d’expliquer que les sexualités ne sont pas équivalentes mais que ce n’est pas forcément problématique, dit Laurent Lemoine. La sexualité est tout sauf un choix : c’est la moins mauvaise solution que l’individu a trouvée en réponse à son histoire psychique. Ce n’est pas une question de norme, mais de respect dû à la personne et à sa singularité. »
Les éditeurs sont-ils allés trop loin ?

Pour remplir cette mission – prévenir des comportements d’exclusion –, les éditeurs sont-ils allés trop loin en imposant des points de vue discutables comme des vérités scientifiques ? Cela dépend des manuels. Chez Hachette, les auteurs se contentent d’indiquer que les « facteurs affectifs et cognitifs, et surtout le contexte culturel, ont une influence majeure sur le comportement sexuel ».

Chez Bordas, le cours affirme que « si, dans un groupe social, il existe une forte valorisation du couple hétérosexuel et une forte homophobie, la probabilité est grande que la majorité des jeunes apprennent des scénarios homosexuels ». Cette phrase pour le moins surprenante est en fait un raccourci d’études certainement sérieuses mais qu’il est hasardeux de vouloir présenter en deux lignes et sans recul à des jeunes de 17 ans. Ces manuels sont constitués pour une grande part de « documents » (extraits de livres, affiches publicitaires), ils vaudront surtout par le recul de l’enseignant chargé de faire réfléchir les élèves sur ce sujet délicat.
Ces textes sont-ils inspirés des théories du genre ?

Oui, d’après Laurent Lemoine. Dès la première ligne, l’option est claire dans tous les manuels, y compris ceux qui ne mentionnent pas le mot genre. « Quand on commence par la question “Comment se construit l’identité sexuelle ?”, cela suppose que la sexualité n’est pas donnée par la nature mais qu’elle se construit au fil de la vie, influencée par l’environnement, l’éducation, les relations parents-enfants. »

Pas si nouveau, selon lui. « Les théories du genre sont portées par des personnes aux points de vue très divers. Tout n’est pas à rejeter. Il est intéressant que les élèves apprennent que la différence des sexes n’est pas la différence sexuelle. La différence des sexes est une donnée biologique, la différence sexuelle, au sens freudien, intègre l’histoire du sujet. »

Le psychanalyste Jacques Arènes est du même avis à une nuance près : « En tant que psychanalyste, je ne peux pas nier que la sexualité dépasse la biologie. Que les élèves abordent son aspect anthropologique est une bonne chose. Mais présenter ces travaux comme des données scientifiques empêche leur mise en perspective. Nous sommes dans le domaine du débat. »

« Nous appelons à la vigilance sur le choix du manuel et à la formation des équipes enseignantes, explique Claude Berruer. Ces théories circulent, c’est pourquoi il faut les aborder avec les jeunes, mais de façon fondée. » La lettre propose deux outils de réflexion aux enseignants : un document sur les théories du genre écrit par Jacques Arènes pour l’épiscopat français et l’ouvrage de Xavier Lacroix De chair et de parole, notamment le chapitre sur la différence des sexes. Un gros travail préalable sera en effet nécessaire aux enseignants pour y voir clair. Dans le manuel Bordas, par exemple, le mot genre n’est pas expliqué. Un paragraphe est même intitulé « Identité sexuelle ou identité de genre ». On y lit que celle-ci « dépend du genre conféré à la naissance et d’autre part du conditionnement social »…
Quelle marge de manoeuvre pour l’enseignant ?

Des sites catholiques plutôt conservateurs appellent déjà à l’ « objection de conscience », voire à l’entrée en « résistance » des professeurs. Faut-il en arriver là ? Leur virulence témoigne de la crainte de voir les revendications homosexuelles (mariage, adoption, procréation assistée…) progresser dans les esprits via l’école. Rappelons que le programme se limite à deux objectifs : montrer que la biologie et l’anatomie n’épuisent pas la question de l’identité sexuelle ; distinguer la vie publique, où l’on est homme ou femme, et la vie privée, où s’exerce la sexualité.

Stéphane Roux, professeur de SVT dans un lycée public, estime, quant à lui, qu’il s’en tiendra à ce service minimal : « Je ne connais rien aux théories du genre et je me contenterai d’indiquer qu’il y a un débat. Quant à l’homosexualité, c’est si délicat que je préfère déléguer le sujet aux associations extérieures, formées pour répondre aux interrogations des élèves. » « On peut faire un bon cours avec un mauvais livre, l’important est de maîtriser son sujet », affirme Claude Berruer. La formation des enseignants et des adultes qui accompagnent les jeunes sera bien plus déterminante que le contenu du manuel.

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