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Texte de Patricia Laranco.

Par Ananda

La rue sombre aux couleurs vineuses. On s'y coule  et l'on s'y faufile.On se perd dans ses complications, ses mirages tortueux qui clignent.

On a soudain le cœur glacé. Rendu à son anonymat. Blocs de pierre fauve ou de béton gris...autant de masses noyées dans la brume.

Les choses et les contours se perdent.

Et enfantent des illusions. Toute une frontière incertaine, fangeuse...entre le réel et ses masques.

Parfois, c'est le souk. Plein de proliférations, de protubérances. Tout s'y mêle et tout s'y déforme : chaos de tuyaux musculeux qui boursouflent les murs...alvéoles comme tassées sur elles-mêmes des intérieurs d'échoppes qui ressemblent à des orbites trop enfoncées...baies vitrées glauques des troquets qui se démultiplient dans les miroirs, créant des perspectives nouvelles et complètement déroutantes.

Et puis  les carrefours. Où l'on grelotte d'hésitation. Par la force des choses.

Oui, l'ombre grise qui se projette sur les carrefours.

Leur distanciation nébuleuse.

Les carrefours, ça trouble toujours. ça brouille un instant les repères. Cela vous impose l'effort d'un choix. Entre trois possibles lourds de conséquences.

A chaque carrefour, j'ai envie de pleurer. J'ignore pour quelles raisons.

J'associe chaque carrefour à une dérive des continents, qui m'éloigne. J'ai toujours peu ou prou l'impression que les carrefours attirent la pluie.

Mais voilà que je retrouve le compact, la cohésion de la ville. Parfois, les rues se réduisent à des amoncellements de tapis qui pendent. Elles deviennent si familières qu'elles vous font penser à des coursives. Les notions d'intérieur, d'intime et d'extérieur, d'autre s'abolissent.

Ce sont des rues de tissu qui vous palpent de leur douceur; qui vous captivent de leur souffle, de leur bruit d'étoffes duveteuses, froufroutantes.

Les terrasses de cafés sont là. Fragiles. Ne tenant qu'à un fil.

On tente de s'y accrocher comme à des bouées...mais elles s'évanouissent.

Des jouets surgissent dans le noir.

En rangs d'oignons  dans des vitrines.

Leur brillance s'impose à vous. Bien que faible, aussi faible qu'un reflet.

Je les examine, penchée, l'œil aux aguets : cymbales de singes en peluche au regard un peu fou et au sourire non moins dément, faces de poupées de porcelaine bleue.

Tout cela me rend bien pensive, et j'ai peine à en détacher mon regard.

De manière assez peu explicable, ça réveille en moi le souvenir du temps où je menais des conciliabules à l'intérieur des murs ou dans l'espace compris entre le plancher d'un appart et le plafond d'un autre.

Un voile, tout à coup...Mon passé.

Ces salles des fêtes paumées. De hameaux.

Mon regard de désœuvrée, d'intruse, qui court le long des verrières  huileuses.

Ce sentiment de ne pas savoir où poser les pieds, où ME poser.

Ces déambulations, en dernier ressort, dehors, où ça sent l'air, l'eau, le roc, l'herbe.

Un bord de route, quelques maisons...le ciel froncé de la montagne. Cet air à réveiller un mort !

Quelquefois, ça revient. Dans un songe.

Peut-être parce que c'est l'heure des bilans.

Et puis là-bas. Dans les faubourgs.

Très loin. Les faubourgs fatigués.

Le ciel qui rosit lentement. Autour des poteaux electriques. Le rose qui lutte avec le blanc : masque de Pierrot. Papier mâché. Faux pétales qui, déjà, se fripent.

Je pense aux faubourgs. Avec envie.

Et peur. Reste d'agoraphobie.

Je veux m'échapper. Mais...la crainte. C'est froid, l'espace grand ouvert.

Trop immense...Comme le manque.

Retour à la case départ. Les rayons de bibliothèque. Les marbrures du linoléum...caressées par le karcher qui passe. La hâte de traverser le sas. De sortir.

De quitter ce lieu, désormais voué au crépuscule.

L'escalier aux marches dures et austères de béton nu, obscur, où je m'engouffre.

La rue sombre, aux couleurs vineuses.

On s'y coule et l'on s'y faufile.


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