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Heures sup: le "forfait jour" sur la sellette

Publié le 08 juin 2011 par Ludovicgiraud

Si comme le craignent les juristes, la Cour de cassation invalide prochainement le régime du forfait-jour, les entreprises pourraient avoir à rembourser des millions d'heures supplémentaires. Explications.


Le sujet agite les cabinets avocats depuis plusieurs semaines. Hier ils se sont réunis au Barreau de Paris pour faire le point sur la délicate question du forfait-jour. Ce mercredi la Cour de cassation doit examiner le cas d'un cadre commercial, qui après la rupture de son contrat de travail en 2006, demande le remboursement de ses heures supplémentaires. Si la plus haute cour de justice venait à lui donner raison en invalidant le principe même du forfait-jour, près d'1,5 million de salariés pourraient venir réclamer le remboursement de leurs heures sup. De quoi agiter les entreprises, et leurs conseils juridiques...

Le forfait-jour, c'est quoi?

C'est un régime qui a été créé par la loi Aubry de 2000 sur les 35 heures. Il s'applique aux cadres autonomes dans l'organisation de leur emploi du temps et aux salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée. En raison de cette particularité, les salariés en forfait-jour échappent au respect des durées légales du travail (10 heures par jour, 48 heures par semaine ou 44 heures en moyenne sur 12 semaines). Seules les durées minimales de repos s'appliquent: 11 heures par jour et 35 heures consécutives par semaine.

Pourquoi est-il remis en cause ?

A l'origine, les contestations portent sur la multiplication des risques psychosociaux qu'entraîne ce type de contrats. Avec le forfait-jour en effet, les salariés peuvent se retrouver avec une charge de travail difficilement soutenable, tiraillés entre leur besoin de flexibilité et les horaires collectifs propres à toute entreprise (réunions etc...). Or juridiquement, il apparaît que ce régime pourrait être contraire aux normes européennes. La Charte européenne des droits sociaux prévoit en effet que la durée de travail "ne doit pas être déraisonnable". Avec le  forfait-jour, les salariés sont susceptibles de travailler jusqu'à 78 heures par semaine. A quatre reprises, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) -questionné par la CGT et la CGC- a donc jugé que la France violait la Charte européenne des droits sociaux. Jusqu'à présent le gouvernement ne s'en est guère inquiété. De fait la violation de la Charte, d'application obligatoire, n'est assortie d'aucune sanction en droit européen, et les décisions du CEDS n'ont pas la force juridique de celles de la Cour européenne de justice. Mais cette fois c'est la Cour de cassation elle-même qui a été saisie sur cette affaire. Si elle le décidait, elle pourrait donc rendre obligatoire en France l'application de la Charte et invalider de fait le forfait-jour.

Quelles seraient les conséquences d'une invalidation par la Cour de cassation?

Potentiellement près d'1,5 million de salariés sont concernés. Si le forfait-jour était jugé contraire aux normes européennes, les entreprises pourraient être obligées de rembourser leurs heures supplémentaires à tous les salariés en forfait-jour, et ce sur les 5 dernière années (délai de prescription). Encore faudrait-il que ces mêmes salariés viennent demander leur dû en justice. Vu les sommes en jeu, cela est à craindre. Théoriquement en effet, les salariés en forfait-jour peuvent avoir travaillé chaque semaine 42 heures de plus qu'un salarié lambda. Si l'on s'en tient à une moyenne de 10 heures de plus par semaine, on obtient déjà 270 heures supplémentaires à payer rétroactivement par an. Un chiffrage de toutes façons très difficile à établir puisque le forfait jour ne prévoit pas le décompte des heures, et que le forfait-jour est assorti de jours de repos compensatoires qu'il faudrait soustraire en cas d'indemnisation. C'est d'ailleurs l'une des difficultés à laquelle pourrait être confrontés les juges : comment chiffrer des heures supplémentaires qui n'ont pas été comptabilisées au fur et à mesure? Sur ce point, la Cour de Cassation est plutôt laxiste. Dans un arrêt de 2010, la Chambre sociale estimait qu'un décompte établi au crayon par un salarié suffisait à prouver les heures supplémentaires. Selon certains avocats néanmoins, le risque d'un déferlement devant les tribunaux ne serait pas à craindre, la plupart des salariés n'ayant pas les moyens de prouver le nombre d'heures supplémentaires accomplies sur les 5 dernières années.

Et pour l'Etat ?

En cas d'invalidation, tout serait à revoir : la loi, les conventions collectives prévoyant le recours au forfait annuel en jours ... Un imbroglio juridique fortement redouté des avocats d'employeurs, mais surtout des entreprises elles-mêmes. Dans un récent article du Monde, Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CGPME s'émouvait des conséquences d'une éventuelle invalidation sur la stabilité juridique. "Les contentieux vont se développer, observait alors Hervé Gosselin, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation. Dans ce contexte, soit nous ne soulevons pas la question de la licéité du forfait-jour. S'annoncent alors deux années d'instabilité juridique, car les juges prendront des décisions différentes jusqu'à ce qu'une affaire arrive jusqu'en cassation. Soit nous estimons que les éléments de droit sont connus et qu'il vaut mieux ne pas attendre." Autre risque pour l'Etat, celui que les entreprises se retournent contre lui pour avoir adopté une législation contraire au droit européen.


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