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Folie psychotique contre folie bureaucratique

Publié le 04 juin 2011 par Lana

Ca fait mal d’entendre ce mot lancé comme ça, sans précaution. Schizophrénie. Mais au fond je m’en doutais. La vérité en face fait toujours mal, mais au moins cette fois on va me croire, on va me soigner.

Mais Lucia dit non, en rien. Elle discute avec son assistante, lui parlant des symptômes que je n’ai pas. Comment le sait-elle après si peu de temps, je ne sais pas, parce que moi je crois bien que je les ai ces symptômes. Mais Lucia dit que la voix qui m’a poursuivie pendant des jours étaient la mienne, je suis dépressive, voilà tout. Peut-être que je devrais lui parler des statutes du musées avec leurs têtes égorgées, ou lui dire que je n’étais pas dépressive avant l’Orfidal, enfin pas cette année, c’est vrai je l’ai déjà été, mais… Elle interrompt mes pensées, me dit que je dois arrêter l’Orfidal et prendre du Prisdal, c’est un antidépresseur. Ca ira mieux avec ça. Je vais aller chez la psychologue, elle me donne rendez-vous dans deux mois et me dit que je peux demander à avancer le rendez-vous si ça ne va pas, ou même venir aux urgences.

Bon, il y a du progrès, et j’ai l’autorisation de demander de l’aide, ce qui n’est pas rien pour moi, car il me semble toujours ne pas en avoir le droit.

Je vais au centre de santé mentale, d’abord voir une infirmière. Je lui parle sincèrement cette fois, je lui dis tout. Elle me demande si je suis triste d’être loin de chez moi. Non, pas du tout, au contraire. Je lui parle des taches de sauce tomate que j’ai vu sur un tee-shirt que j’accrochais au fil à linge,  je ne comprenais pas comment elles étaient apparues, et quand je suis revenue, elles n’y étaient plus. C’est débile comme hallucination, mais ça m’a rendu dingue. Je ne voulais pas y croire, alors j’ai voulu vérifier sur les autres tee-shirts, j’ai vidée toute mon armoire, jetant tout à terre en pleurant, pour retrouver un tee-shirt tâché qui n’existait pas. Et aussi des statues. Et aussi de la voix. Et de comment je l’ai tuée contre le lavabo. J’arrête de ne plus vouloir passer pour une folle, je m’en fous, je veux juste qu’on fasse quelque chose pour moi. Elle est gentille, cette infirmière, elle m’écoute vraiment, et je vois bien qu’elle prend les choses au sérieux. Elle me dit que je vais voir la psychologue, mais que dans mon cas, la psychiatre sera sans doute mieux.

J’ai aussi arrêté l’Orfidal comme me l’a dit Lucia. Du jour au lendemain. Elle ne m’a rien précisé. Pendant deux ou trois jours, je suis en manque, c’est affreux, je tremble, je me gratte les bras, je ne dors presque pas, quand je dors je fais des cauchemars. Dans mon lit, pendant mes insomnies, je ne pense qu’à une chose « je veux un Orfidal, je veux un Orfidal, s’il te plaît, s’il te plaît », je tends la main vers mon bureau où est le reste des comprimés, je me supplie de céder, mais je ne le fais pas, parce que sinon tout sera à recommencer, toute cette souffrance du manque, il faudra repasser par là puisque je ne vais pas prendre ce médicament toute ma vie. Ca m’a vaccinée contre la drogue pour le reste de mes jours, je crois. En tout cas, depuis je n’ai plus jamais pris de benzo plus de deux soirs de suite.

Le jour de mon rendez-vous chez la psychologue, une amie vient avec moi. J’apprécie beaucoup son geste. La psychologue ouvre la porte de son bureau et je me recule, je baisse la tête. Il y a au moins trois ou quatre posters de papillons. Je ne peux pas entrer là-dedans, c’est impossible. Qu’est-ce que c’est que cette passion qu’ils ont dans ce pays pour ces horribles posters, il y en a partout, à la fac, à la banque, et même ici. Claire explique à la psychologue que j’ai la phobie des papillons. Celle-ci me rassure, ce n’est pas là qu’elle va me voir. Elle aussi m’écoute beaucoup, elle écrit une longue lettre pour Lucia, avec tout ce que je ne lui ai pas dit. Elle me dit qu’elle ne peut rien faire pour moi, que j’ai besoin d’urgence d’un psychiatre et d’un traitement médicamenteux adapté. Je dois retourner à l’hôpital, demander qu’on avance mon rendez-vous. Comme toujours, la case urgent est cochée sur mes papiers.

Je revois donc Lucia. Elle me fascine, depuis la première fois où je l’ai vue. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu’elle s’est penchée doucement en me disant « Hay que contarme », peut-être parce qu’elle n’était pas muette et hautaine comme les deux psychiatres que j’avais vu deux ans auparavant. Je n’en sais rien, mais je ne peux m’empêcher de penser à elle. Elle ne comprend pas pourquoi les antidépresseurs ne font aucun effet, elle augmente la dose. Elle me dit que la psychologue croit que je suis schizophrène. Est-ce que je sais ce que c’est? Oui. En réalité, à part la définition du Que sais-je? sur les maladies mentales, je n’en sais pas grand-chose. Elle n’est pas d’accord avec elle. Je vais prendre mes antidépresseurs et revenir dans deux mois. Comme la psychologue pense que je n’ai pas besoin de suivi psychologique, on va se limiter à ça. Je panique complètement. Deux mois? Deux mois sans personne? Avec des médicaments qui ne m’aident pas? Je ne peux pas, non, c’est impossible, je ne vais pas y arriver. Je n’en peux plus que personne ne me croie, ne veuille m’aider. Mais je ne dis rien.

Je sors, accablée, à bout. Je m’assieds sur un banc face à l’hôpital, j’ouvre la lettre que la psychologue a écrit pour Lucia et qu’elle m’a rendue. J’ai aussi une lettre de Lucia pour le médecin généraliste, qui dit que, étant donné le rejet du centre de santé mentale, je n’ai pas besoin de suivi. La lettre de la psychologue est illisible, le seul mot que j’arrive à lire est « psychotique ». Alors je pleure, je pleure sur cette lettre, sur mon sort, sur mon abandon, je suis perdue, je ne sais plus vers qui me tourner. Je n’ai jamais été aussi mal de ma vie, et ce n’est pas peu dire. La mélancolie était une souffrance infinie, mais les choses étaient claires: je devais mourir, je ne m’en sortirais jamais. Tandis que cette fois, je deviens folle, je perds complètement pied, je ne comprends plus rien et j’ai peur, j’ai si peur. Ce mot, psychotique, me dit que je vais devenir complètement folle et finir ma vie ne psychiatrie, et mlagré ça, personne ne veut me soigner. Ca aussi c’est de la folie.

Mes amies me disent de retourner chez le médecin. J’arrive dans la salle d’attente, ma lettre toujours en main, et je ne peux pas m’empêcher de pleurer. Une infirmière passe, me regarde et s’en va. J’ai pourtant tellement besoin que quelqu’un me parle. Une autre a pitié de moi. Elle croit que je pleure parce que je suis loin de chez moi, je dis non, je pleure parce que je suis malade et que personne ne veut me soigner. Elle me dit qu’il faut du temps pour pouvoir voir un spécialiste, mais j’en ai déjà vu un, etc… et je continue à pleurer. Les gens qui étaient dans la salle d’attente avant moi me cèdent leur place, vas-y avant nous. Je les remercie, il y a encore des gens humains, même si ce ne sont pas eux qui vont me soigner, mais leur geste me touche. Me revoila devant le médecin. Il ne peut rien faire pour moi, je n’ai pas besoin de suivi psychologique, c’est écrit. Non, la psychologue a dit que je devais être suivi par un psychiatre, c’est différent. Oui, mais Lucia a écrit… Cette situation devient ridicule au plus haut point, mais je suis tellement loin que je n’arrive plus à me battre. Il me dit de prendre mon Orfidal. Non, c’est une drogue. Pas du tout. Si. Non, ça ne crée aucune dépendance. Mais est-ce que quelqu’un ici va finir par m’écouter? Entre lui qui ment et Lucia qui a décidé que j’étais dépressive et ne veut rien savoir d’autre, que puis-je faire pour faire bouger les choses? L’assitante se tourne vers le médecin et lui demande à haute voix, comme si je ne comprenais rien: Qu’est-ce qu’elle veut? Mais putain, je veux qu’on me soigne, est-ce que quelqu’un peut comprendre ça??? Mais je me tais. Le médecin me dit que je n’ai qu’à retourner chez la psychologue. Qui m’envoit chez Lucia demander un rendez-vous, celle-ci me dit que ce n’est pas son rôle de parler avec moi, je dois retourner chez la psychologue. Ah tiens, j’en ai besoin, maintenant. Elle veut surtout se débarasser de moi. Mais je l’aime toujours et je suis heureuse quand je la vois, même quelques secondes. Donc je retourne chez la psychologue. Qui dit la même chose, et me fait une lettre pour le service des rendez-vous, précisant que c’est très urgent. Là, on m’avance mon rendez-vous. Super. C’est quand? Dans sept semaines? Pardon? Mon rendez-vous est dans huit semaines et on me l’avance d’une seule semaine? Je m’énerve, ce n’est pas possible. Il est marqué urgent, vous voyez ça? Urgent! La dame me dit d’aller voir directement Lucia pour en parler avec elle. Vu la façon dont elle ma reçue la dernière fois, ça ne risque pas de donner grand-chose, mais je fais ce que m’on dit. Je vais encore une fois traîner mes dernières forces là où on m’envoie comme un paquet indésirable.

Le couloir est plein de patients. Je m’assieds sur la large appui de fenêtres, la tête sur les genoux, recroquevillée dans un coin. Je suis si angoissée que je n’entends plus que des brouhahas, que je vois les murs et le plafond sur refermer sur moi, je n’ai plus la conscience de ce qui se passe autour de moi. Je sors mon kit d’automutilation d’urgence, c’est-à-dire le morceau de verre que j’ai dans mon portefeuille, je me coupe le bout du doigt, juste un peu, histoire de faire diversion et d’avoir une chose sur laquelle me concentrer. Le temps passe, peut-être bien deux heures, mais je ne me rends compte de rien. Je sais qu’à un moment je tourne la tête et qu’il n’y a plus un seul patient dans le couloir. L’assitante sort et cite un nom. Un patient qui n’est pas là. C’est l’occasion. Je lui explique le problème, disant que c’est le secrétariat qui m’envoie. Elle va demander à Lucia et revient en me disant qu’elle ne veut pas me voir. Là, c’est trop. Je suis à bouts, réellement à bouts, j’ai plus ou moins réussi à me tenir jusqu’ici, mais c’est fini. Je m’écroule en pleurs, l’assistante dit qu’elle ne comprend pas ce que je dit, me demande de répèter. Je me lève, la tête toujours dans les mains, je crie pourquoi personne ne veut me soigner, pourquoi on ne veut jamais me soigner, et je me tape la tête contre les murs. Il ne me reste que ça, tourner le dos à ces gens, puisque un autre patient est arrivé entre temps, pleurer et me frapper la tête contre les murs, parler en français puisque de toute façon ça n’a pas d’importance qu’on me comprenne ou non.


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