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"Le taux de chômage devrait se dégrader légèrement pour s’établir à 9,4 % fin 2011"

Publié le 09 juin 2011 par Vincentpaes

Entretien avec Éric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et professeur à la SKEMA Busines School

Économie et société : Selon le gouvernement, les chiffres du chômage sont, depuis le début de l’année, encourageants. Partagez-vous ce point de vue ?

Éric Heyer : On observe effectivement une très légère baisse du chômage depuis le début de l’année. Mais plusieurs faits cachés doivent tempérer l’optimisme du gouvernement. Premièrement, la baisse ne s’observe pas dans l’ensemble des catégories de chômeurs : elle se concentre sur les chômeurs n’ayant eu aucune activité au cours de la période. Si l’on prend en compte les chômeurs ayant eu une activité réduite alors cette baisse s’annule. 
Autrement dit, certains chômeurs ont repris une activité réduite (moins de 78 heures par mois) mais sont encore à la recherche d’un emploi en fin de mois. Par ailleurs, cette stabilisation arrive après une hausse du chômage exceptionnellement forte et donc la situation, si elle cesse de se dégrader reste particulièrement mauvaise et inquiétante. Parmi les facteurs inquiétants, on notera la forte augmentation de l’ancienneté au chômage (+33,4 % d’augmentation sur un an pour les chômeurs de plus de 2 ans, +18,4% pour les plus de 3 ans). Pour ces chômeurs de longue durée, la situation administrative n’a pas changé mais leur situation réelle continue de se dégrader : d’un point de vue financier d’abord (fin de l’indemnisation chômage et entrée dans les minima sociaux) et d’un point de vue de leur retour à l’emploi ensuite (la probabilité de retrouver un emploi diminue avec l’ancienneté au chômage). 
Le taux de chômage quant à lui, s’il cesse de se dégrader, se maintient à un niveau très élevé (9,2 %). La très légère amélioration du taux chômage constatée depuis un an est concomitante d’une baisse du taux d’activité d’une ampleur équivalente. Ainsi, ces prémices d’amélioration sur le front du chômage seraient davantage dues à un effet de flexion négatif lié au découragement des chômeurs dont l’ancienneté au chômage à continué à s’allonger plutôt qu’à une réelle amélioration du marché du travail. Cette fragilité se retrouve dans la nature des emplois créés en 2010, dont 85 % sont des emplois intérimaires et compensent les fortes destructions de ce type d’emplois au cours de la crise. Enfin, à l’instar de nombreux pays développés, la France a connu un ajustement de l’emploi plus faible que ce que l’on aurait pu attendre, compte tenu de ses caractéristiques structurelles propres, laissant subsister de grandes incertitudes quant à l’évolution future, mais dont la plus probable serait celle d’une croissance de l’économie pauvre en emplois dans les années à venir.

Économie et société : Depuis deux décennies, la France n’arrive pas à résoudre la question du chômage. Comment expliquez-vous cela ?

É. H. : Plusieurs raisons peuvent être évoquées. La première réside dans une insuffisance de croissance économique. Depuis 20 ans, la croissance économique, à l’exception de la période 1998-2001, a été décevante en France, comme dans l’ensemble de nos partenaires économiques européens. Ainsi, la zone euro est la zone économique qui a crû le moins vite au cours des dernières années. 
La France a, de ce point de vue, eu des performances proches de celles de ses partenaires, donc modestes. Mais, contrairement à l’Allemagne par exemple, le besoin de croissance de l’activité est supérieur en France qu’outre Rhin afin de résorber le chômage. Cela s’explique par une productivité du travail plus élevé et par une plus forte progression de la population active. Autrement dit, à croissance identique, la France crée moins d’emploi que ses partenaires européens ; et à créations d’emplois identiques, le chômage baisse moins en France qu’ailleurs en Europe. 
La seconde réside dans des politiques spécifiques de l’emploi pro cyclique au lieu d’être contra cyclique : au cours des 20 dernières années, la politique de l’emploi a été activée dans des périodes de croissance forte et de créations d’emplois dynamiques et désactivée en période de croissance molle et de créations d’emplois insuffisantes pour faire baisser le chômage.

Économie et société : Les politiques de l’emploi mises en place par le gouvernement vous semble-t-elle adaptées ?

É. H. : La mesure phare du gouvernement en matière d’emploi est la défiscalisation des heures supplémentaires. Cette mesure s’applique à l’ensemble des salariés des secteurs public et privé en France. Concrètement, la rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures hebdomadaires est maintenant majorée de 25 % quelle que soit la taille de l’entreprise, n’est soumise ni à l'impôt sur le revenu ni aux cotisations sociales salariées et bénéficie d’une réduction de cotisations employeurs. Elle vise donc à redonner du pouvoir d’achat aux salariés français en abaissant le coût du travail et en augmentant leur durée du travail. 
Dans un contexte de grave crise économique, la question est donc de savoir si cette incitation à travailler plus n’a pas nuit à l’emploi, et notamment à l’emploi intérimaire. Car face à un choc imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

"D’après nos simulations, un supplément de 1 % des heures supplémentaires aurait détruit près de 6 500 salariés du secteur marchand"

Or, au cours de cette crise, le rôle d’amortisseur joué par la durée du travail en France a été à la fois moins puissant que dans les autres pays développés mais aussi moins important que durant les récessions précédentes, notamment celle du début des années 1990. Plus précisément, la baisse de la durée du travail a été de même ampleur au cours des deux épisodes de crise mais avec un ralentissement de l’activité trois fois plus important au cours de la période récente. Cette différence de comportement, malgré un fort recours au chômage partiel, peut être liée à la mise en place de cette mesure de défiscalisation des heures supplémentaires. D’après nos simulations, dans un contexte de basse conjoncture cette mesure a été nocive : un supplément de 1 % des heures supplémentaires aurait détruit près de 6 500 salariés du secteur marchand dont les ¾ seraient des emplois intérimaires. 
Par ailleurs, dans ce contexte de marché du travail détérioré, la politique de l’emploi, par l’intermédiaire du traitement social, n’a pas joué pas son rôle de « stabilisateur » du chômage. Après avoir amplifié la hausse du chômage en 2008, du fait de leur réduction, les emplois aidés dans le secteur non-marchand, en hausse en 2009 et 2010, seront à nouveau en légère baisse en 2011 et 2012. Le niveau en fin d’année 2012 sera similaire de celui observé en fin d’année 2007 alors que dans le même temps le chômage aura augmenté de 640 000 personnes.

Économie et société : Quelles sont les classes de population les plus touchées ?

É. H. : Les principales victimes en début de crise ont été les hommes et les jeunes. Si cela ne constitue pas une surprise du côté des jeunes qui sont traditionnellement la principale variable d’ajustement en situation de crise, le cas des hommes est plus exceptionnel : cela s’explique principalement par le fait que cette crise a touché principalement les secteurs industriels et du bâtiment, secteurs où les hommes sont fortement représentés. Fin 2009, on a dénombré, pour la première fois, plus de chômeurs inscrits à Pôle emploi que de chômeuses. 
Mais depuis mi-2010, la situation s’est inversée : le nombre des chômeuses s’est accru de 63 000 personnes quand celui des chômeurs n’a pas progressé. Une explication réside dans l’impact du plan de rigueur qui touche surtout l’emploi public, le secteur associatif et le social, des domaines où l’emploi féminin domine. Dans le même temps, le chômage des jeunes semble s’améliorer (-7,1 % sur 1 an) alors que celui des séniors s’aggrave significativement (+12,9 % sur 1 an). Mais là aussi l’amélioration constatée chez les jeunes est toute relative car elle ne se traduit pas par une reprise de l’emploi mais par un recul de leur taux d’activité qui peut s’apparenter à un découragement de cette classe d’âge.

Économie et société : En termes d’emploi, quels sont vos prévisions pour cette fin d’année et 2012 ?

É. H. : À l’horizon de notre prévision, les entreprises, notamment industrielles, tenteront de redresser leur taux de marge en rétablissant progressivement leur productivité. Après avoir connu une croissance de 0,1 % au cours des années 2008-2010, celle-ci augmenterait en moyenne annuelle de 1,2 % en 2011 et de 1,4 % en 2012. La croissance dans les trimestres à venir sera, selon nous, pauvre en emplois. L’emploi marchand continuera certes de croître jusqu’à la fin 2012 (+130 000 et +127 000 en 2011 et 2012) mais à un rythme insuffisant pour stabiliser le taux de chômage. Car, sous l’effet cumulé de la suppression des départs anticipés des séniors, de l’extinction des dispositifs d’accompagnement des licenciés économiques et des premiers effets de la réforme des retraites adoptée en 2010, la population active devrait, chaque année, augmenter de près de 140 000 en 2011 et 2012. Le taux de chômage devrait à nouveau se dégrader, légèrement, pour s’établir à 9,4 % fin 2011 et à 9,5 % en 2012, après 9,3 % fin 2010.


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