La physique nucléaire de propagande
Vous voulez de la polémique qui tache ? Vous voulez de l’article mal boutiqué, avec des arguments rikikis et une science definitely settled comme le dirait Al Gore ? Vous voulez des calculs mathématiques faits à la grosse louche ? Vous aimez, vous aussi, le bon gros argument d’autorité où le diplôme ronflant fait figure d’ultime preuve que le discours est en béton armé ? Rien de plus simple avec le nouveau service Demaerd Journalisme : envoyez simplement via un SMS peu surtaxé le code « BIDON » à la rédaction de Libération qui vous recontactera !
Finalement, c’est simple, la vie de journaliste, puisqu’il suffit de laisser parler dans le micro les premiers clowns venus pour qu’ils vous pondent, sur commande, des articles certes farfelus mais qui ont le mérite d’occuper de la place.
Cette fois-ci, pour cette magnifique Pignouferie de Presse, c’est grâce au réseau aux mailles de plus en plus serrées des hashtablonautes que ce brillant papier de l’inénarrable Libération m’a été signalé.
À ce sujet, si toi aussi, ami lecteur, tu veux rejoindre l'armée de moins en moins rachitique des hashtablonautes, des rabatteurs d'articles croustillants et des informateurs séditieux sur les cafouillages d'une République en perdition, n'hésite pas à me contacter (par twitt, par mail, par facebook, peu importe).
L’article, sobrement intitulé « Accident nucléaire : une certitude statistique« , a été écrit par deux pointures : un polytechnicien, Bernard Laponche, physicien, spécialiste des réacteurs nucléaires chauds et des potages froids, et un rutilant ingénieur/économiste/troubadour, Benjamin Dessus, qui sévit aussi en tant que président de Global Chance, parce qu’il estime sans doute avoir globalement de la chance d’être ingénieur/économiste/troubadour (ce qui n’est pas donné à tout de le monde, il faut en convenir).
Avec des références de cette taille, on s’attend à une suite argumentaire taillée au cordeau, à des chiffres à deux décimales vérifiés sept fois avant d’avoir été écrits, et à des phrases indiscutables sur le plan scientifique.
Et dès le premier paragraphe, on est effectivement servi.
Le risque d’accident majeur dans une centrale nucléaire a été considéré comme la combinaison d’un événement d’une gravité extrême et d’une très faible probabilité d’occurrence. Certes, la multiplication de zéro par l’infini pose quelques problèmes mais les promoteurs du nucléaire, mettant en avant cette très faible probabilité, affirmaient qu’il n’y avait aucun danger.
Oui, la claque est violente. Elle démet la mâchoire, elle abîme l’émail des dents et empêche le poil des joues de repousser pendant plusieurs jours, facilement. Car si je résume, le paragraphe revient à :
Gravité extrême x Probabilité très faible = infini x zéro
L’imbécillité mathématique s’y dispute avec la crétinerie rhétorique. Le procédé est tellement transparent qu’on a l’impression de découvrir une brochette de pervers se dandinant devant une école et se croyant invisibles parce qu’intégralement nus…
Cette explosion de mauvaise foi et d’approximation calculatoire continue ensuite avec une bonne humeur communicative que seuls les clowns entraînés savent transmettre à leur assistance sans que celle-ci se lasse.
On décrit alors une méthode théorique de calcul de la probabilité d’occurrence d’un événement catastrophique, pour ensuite enchaîner sur la méthode dite expérimentale, basée sur les dits événements catastrophiques qui se sont donc passés pour de vrai.
On en connaît facilement … hum … heu … disons trois : Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima. On avouera que pour calculer une probabilité avec un tel nombre d’échantillons, on va devoir s’accorder un intervalle de confiance très large. Très très large. Au point que … le calcul n’aura tout simplement aucun sens.
Et pire, dans ces trois échantillons là, comparer deux défaillances humaines notoires avec une catastrophe naturelle exceptionnelle, c’est un peu mélanger des choux et des carottes. Comparer deux catastrophes qui firent … 0 morts avec une qui en laissa 4000 sur le carreau suite à une gestion politique calamiteuse, c’est là encore placer des torchons sur des serviettes et les additionner de pommes et d’oranges pour faire bonne mesure.
Mais le pompon est atteint quelques lignes plus bas. Je cite in extenso, parce que c’est … de la bombe atomique sur le plan statistique, les enfants. Attention, cela va faire pouf très vite :
La France compte actuellement 58 réacteurs en fonctionnement et l’Union européenne un parc de 143 réacteurs. Sur la base du constat des accidents majeurs survenus ces trente dernières années, la probabilité d’occurrence d’un accident majeur sur ces parcs serait donc de 50% pour la France et de plus de 100% pour l’Union européenne. (POUF!) Autrement dit, on serait statistiquement sûr de connaître un accident majeur dans l’Union européenne au cours de la vie du parc actuel et il y aurait une probabilité de 50% de le voir se produire en France.
Notez que j’ai inséré un « pouf » dans la citation précédente pour noter l’endroit où nos deux énergumènes ont pété le pignoufotron. C’est un grand moment. Si. Je vais sauter une ligne ou deux en signe de recueillement.
…
Nous avons ici découverts, mes amis, chères lectrices, chers lecteurs, chers agents des RG qui me pistent, qu’une probabilité peut être, après des calculs réalisés par un physicien et un ingénieur, supérieure à 100%.
Et c’est la Fraônce qui a pondu ça. Et c’est Libération qui l’a révélé le premier. Cela devra faire date.
Notez au passage qu’il ne s’agit pas pour nos deux sémillants clowns de définir précisément la valeur de cette probabilité supérieur à 1 ; si ça se trouve, on est dans le 124%. Ou, allons-y gaiement, c’est peut-être de la proba qui se donne à fond, à 200% !
On peine à comprendre ce que serait une proba > 1. Je jette UN dé à six face et POUF j’ai DEUX six qui tombent. Eh ouais. C’est aussi ça, la physique nucléaire quand on écrit dans Libé : on ajoute des effets quantiques à l’écriture mathématique ; après le chat de Schrödinger, nous avons donc l’article de Libération qui est à la fois mathématiquement audacieux ET mathématiquement con.
Puissant, non ?
Ce qui est problématique, ici, est la conclusion que tirent nos amis des savants bricolages mathématiques qu’on imaginera, par pitié, rédigés à 2h du matin après moult Johnny Walker.
« La réalité, c’est que le risque d’accident majeur en Europe n’est pas très improbable, mais au contraire une certitude statistique. »
Certitude statistique, rien de moins.
Couillu, non ?
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