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Sécurité routière : des mesures dissuasives … mais qui peinent à convaincre.

Publié le 09 juin 2011 par Delits

Sécurité routière : des mesures dissuasives … mais qui peinent à convaincre.Les Français ont été témoins durant la première quinzaine de mai d’une séquence pour le moins chaotique initiée par les membres du Gouvernement eux-mêmes, un chaos qui a pris sa source dans l’annonce des chiffres du nombre de personnes décédées et accidentées sur les routes en France pour le premier semestre 2011.

Retour en arrière : fin 2010, le prédécesseur de M. Guéant, Brice Hortefeux se félicitait du bilan enregistré depuis dix ans en matière de Sécurité Routière et de la baisse constante du nombre de personnes décédées ou accidentées sur le territoire. Mais le mois de janvier 2011 marque un point d’arrêt brutal à cette tendance. Le nombre de personnes tuées sur les routes dénombré sur ce premier mois de l’année se révèle en forte augmentation par rapport à celui de 2010 (331 décès contre 273 l’an dernier (+21,2%) et un nombre de blessés et d’accidentés corporels également en hausse, respectivement de +1,7% et +4,1%).
Ni une ni deux, le Gouvernement face à ces chiffres réagit et annonce le 10 février le lancement d’un plan national de lutte contre l’insécurité routière1. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le 9 mai dernier, la Sécurité Routière annonce dans un communiqué qu’« une « forte » hausse (19,9%) de la mortalité routière a été enregistrée au mois d’avril 2011 (355 tués) par rapport au mois d’avril 2010 (296 tués) ». Les bons résultats de la dernière décennie apparaissent dès lors comme de l’histoire ancienne. Les associations tirent la sonnette d’alarme et la machine s’emballe. C’est donc dans ce contexte qu’avec un peu d’avance sur le calendrier initial, le Gouvernement décide de convoquer en urgence un comité interministériel de sécurité routière afin de répondre à l’« aggravation des chiffres » constatée depuis le début de l’année. A l’issue de ce comité, toute une série de mesures développées autour de 5 grandes priorités ont vu le jour2 :

  • Dissuader les excès de vitesse
  • Lutter contre l’alcoolémie et les stupéfiants sur la route
  • Sécuriser l’usage des deux roues motorisées
  • Renforcer la vigilance au volant et combattre tous les facteurs qui réduisent l’attention portée à la conduite
  • Donner plus de place aux citoyens dans la politique de sécurité routière

Si ces mesures satisfont les pouvoirs publics, au sein des usagers en revanche la contestation grandit et l’Opinion semble loin d’adhérer à ces mesures voire même d’en comprendre l’utilité.

La cause perçue des accidents : l’alcool devance la vitesse

Ces dernières mesures annoncées par le gouvernement pour améliorer les résultats en matière de sécurité routière, font la part belle au respect des limitations de vitesse. Et pourtant, pour les Français le « vrai » problème n’est pas là. Depuis plus d’une décennie maintenant pour l’Opinion l’alcool apparaît (et de loin) comme la première cause des accidents de la route devant la vitesse.

Ainsi en 1990, à la question « qui sont, selon vous, les principaux responsables des morts et des blessés sur la route ? » les interviewés citaient en premier et à la quasi-unanimité l’alcool (92% de citations), suivi certes des « gens qui roulent trop vite » (52%) et de « l’imprudence des gens comme vous et moi » (46%) mais avec des scores nettement en retraits (respectivement 40 et 44 points de moins). Dix ans plus tard en 2000, la même tendance était observée : 82% des conducteurs interrogés citaient l’alcool comme principale cause aux accidents sur la route suivi de la vitesse excessive (62%, soit un écart de 20 points) et du non-respect des priorités, des stops et des distances entre les véhicules (40%). D’autres études plus récentes confirment ce ressenti, signe d’une perception fortement établie dans l’esprit des Français qui bien que réellement conscients des conséquences de la vitesse sur les routes (il la cite toujours en deuxième), la perçoivent davantage comme un danger « secondaire » et jugent la sanction liée au dépassement de vitesse autorisée parfois trop sévère.

Il y a quelques jours, la question suivante était posée aux Français. « Souhaiteriez-vous que dans les mois prochains, les mesures suivantes soient assouplies ou durcies ? ». S’agissant des mesures pour sanctionner les excès de vitesse une majorité relative des répondants (48%) se prononçait en faveur d’un durcissement et 31% d’un assouplissement des sanctions. Bien que cette proportion soit minoritaire, elle est la plus importante dans la liste des mesures soumises au jugement des interviewés. Viennent ensuite « les mesures contre la manque de civisme au volant » qui enregistre seulement  11% de citations en faveur d’un assouplissement des sanctions (soit 20 points de moins) et 75% qui souhaitent un durcissement. En revanche, lorsqu’il s’agit d’évaluer les mesures pour lutter contre l’alcool au volant et même les drogues, la volonté d’une plus grande répression est manifeste (respectivement 84% et 93% des personnes interrogées souhaitant un durcissement des sanctions).

Limiter la vitesse pour réduire les risques : une majorité de Français peu convaincue

Outre le fait que la vitesse n’apparaisse pas comme la première cause perçue des accidents, un autre élément permet d’éclairer la vive réticence des Français à l’égard des dernières mesures annoncées. Au début des années 1990, un décret fixe à 50 km/h en agglomération la vitesse autorisée et indique la création de la notion de « zone 30 » à 30 km/h. A l’époque, les études d’opinion révélaient le rejet majoritaire des Français à l’égard de cette mesure, près de six personnes sur dix considérant qu’il faudrait maintenir la limitation à 60 km/h en agglomération (57%), alors même que la plupart des pays européens avait déjà réduit la vitesse en agglomération. Dans le même temps, près des deux tiers (65%) souhaitaient conserver la limitation en cours à 130 km/h tandis que « seuls » 13% se prononçaient en faveur d’une plus grande limitation de la vitesse (par exemple à 110 km/h).

Mais ce « refus » d’une baisse des limitations autorisées masque une autre réalité. Pour une majorité de Français, la réduction de la vitesse à 50 km/h en agglomération au lieu de 60 km/h « n’aurait pas d’effet sur la sécurité routière » (56%), contre moins d’un sur quatre qui partage l’avis contraire. Plus récemment, et selon la même logique, près d’une personne sur deux (47%) pense que la mesure consistant à multiplier par deux d’ici à 2012 le nombre de radars automatiques n’est pas utile pour la sécurité routière. Il apparaît donc que pour une part non négligeable des Français l’efficacité de ces mesures contraignantes pour l’usager est peu perçue.

Il faut ajouter à cela un jugement de plus en plus répandu au sein de l’Opinion selon lequel pour près des trois quarts des Français (73%) cette multiplication du nombre de radars sert notamment à remplir les caisses de l’Etat qui disposera dès lors de rentrées d’argent importantes, contre seulement 32% qui pensent au contraire que cela participera réellement à la réduction des accidents sur la route. La suspicion à l’égard des intentions de l’Etat est réelle et renforce ce sentiment de mesures liées au contrôle de la vitesse peu efficaces.

Un soutien majoritaire au durcissement des sanctions pour l’alcool et le téléphone au volant …

L’analyse détaillée des jugements portés à l’égard des dernières mesures prises par le Gouvernement révèle que si l’adhésion est nette en ce qui concerne le durcissement des sanctions pour certaines infractions commises telle que la conduite en état d’alcoolémie avancée et l’utilisation du téléphone au volant, en revanche celles liées à la vitesse et aux radars (augmentation de leur nombre, suppression des panneaux avertisseurs par exemple), est nettement plus nuancée. Deux instituts (Harris Interactive et l’Ifop), en publiant deux séries de résultats similaires en font le constat. Ainsi, le retrait de 8 points sur le permis de conduire lorsque le taux d’alcoolémie du conducteur est supérieur à 0,8g/litre de sang, contre 6 points actuellement est accueilli favorablement par plus des trois quarts des Français (76%, dont 45% tout à fait), signe là encore de la vraie prise de conscience de l’opinion sur ce comportement à risque, de même que le retrait de 3 points et de 135€ d’amende pour l’usage du téléphone au volant, contre 2 points et 35€ actuellement (72%, dont 42% tout à fait).

… mais des jugements plus sévères à l’égard des sanctions relatives au respect des limitations de vitesse qui pourtant semblent dissuasives

En revanche, lorsque l’on parle de vitesse et du contrôle de celle-ci les jugements sont moins cléments. Moins de six Français sur dix (58%) se déclarent favorables au fait de parler de délits pour tout excès de vitesse de plus de 50km/h avec pour sanction, le risque d’une amende de 3500€ et d’une peine de prison, soit une adhésion majoritaire mais loin d’être franche. Plus encore lorsque l’on évoque les radars, le rejet est massif et l’opposition majoritaire :
- le déploiement de 1000 nouveaux radars (50% sont contre, dont 23% « tout à fait opposés »)
- l’interdiction des avertisseurs de radars à bord des voitures (56% contre, dont 32% « tout à fait opposés »)
- la suppression des panneaux indiquant la présence de radars fixes (65% contre, dont 39% « tout à fait opposés »)

La peur de la sanction comme levier d’action pour la Sécurité Routière

Et pourtant, bien qu’une part importante des Français ne cautionne pas ces mesures, elles apparaissent dissuasives et suscitent chez les usagers de la route une volonté déclarée de changer les pratiques, plus par contrainte que par conviction. Ainsi, plus des trois quarts d’entre eux déclarent que suite à ces mesures ils vont réduire leur vitesse sur la route (78% ; 58% certainement), arrêter de téléphoner au volant (66% ; 52% certainement) et limiter leur consommation d’alcool quand ils prendront leur véhicule (66% ; 55% certainement).

Sans vouloir être pessimiste et douter d’une prise de conscience collective, il semble donc que la peur du gendarme et la crainte de la sanction constituent des éléments de premier plan dans la volonté de changer les comportements. D’ailleurs en 2003, dans un contexte où le nombre de personnes tuées sur la route enregistrait une baisse importante, près de 80% des Français déclaraient avoir observé au moins un changement favorable dans le comportement des conducteurs (réduction de la vitesse, meilleur respect du code de la route). Pour expliquer ce changement 43% des personnes interrogées désignaient en premier lieu la peur des sanctions, suivie à hauteur de 32% de la présence plus importante des forces de l’ordre sur les routes. Les campagnes d’information sur l’insécurité routière ne recueillaient que 20% de citations et la mobilisation des pouvoirs publics (4%).

Aujourd’hui dans un contexte économique et social difficile, une part importante des usagers de la route perçoit moins la dimension sécuritaire de ces mesures que le sentiment d’être une nouvelle fois touché au portefeuille pour l’intérêt non pas public mais privé de l’Etat. Les usagers lassés d’être traqués sur les routes s’organisent et se regroupent. L’Union des Usagers de la Route qui rassemble aussi bien des motards que des automobilistes, des professionnels de la route, voire même des victimes d’accidents, au travers d’une quinzaine d’organisations représentatives et qui préconise d’autres mesures pour améliorer la sécurité routière vient de voir le jour3. A quelque mois de l’échéance présidentielle, tout porte à croire qu’il va falloir au gouvernement faire preuve de beaucoup de pédagogie pour rallier à sa cause ces mécontents de plus en plus nombreux.


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